De cette rencontre providentielle autant qu’improbable et qui perdure, Fred Nardin en sort magnifié évidemment, imaginez un peu ce jeune pianiste bourguignon, déjà brillant et qui joue et tourne avec une légende internationale de la batterie Monsieur Léon Parker, pour compléter le gang, qu’il a voulu trio classique, les excellents contrebassistes se succèdent jusqu’à Or Bareket qu’il nous fait découvrir. C’est un enregistrement à compte d’auteur comme on dit, et oui parce qu’aussi talentueux soit-il, aucun producteur ne le soutien… et c’est une tournée qui profite d’un carnet d’adresse déjà bien agrémenté, jusqu’à ce prix national qui témoigne la qualité d’un artiste français œuvrant pour et avec le jazz. « Opening »
“Je travaille depuis de nombreuses années avec le batteur américain Léon Parker, surtout en trio, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup et qui m’a beaucoup apporté musicalement… j’adore jouer avec lui, nous sommes “connectés””
C’est ce french trio qui ouvrait la résidence de trois jours comme pour offrir une nouvelle chance à ceux qui ne le connaissait pas encore, puis en quartet et enfin en sextet pour la véritable rencontre de la résidence. On ne l’attendait pas forcément sur ce terrain, mais c’est avec son “Latin Jazz” que Fred Nardin a souhaité nous faire connaitre ses amis du soir pour ce voyage annoncé. C’est Léon qui donne le rythme, les congas d’Inor Sotolongo sont là, l’afro cubain est planté. C’est un hard bop digne d’une séance enregistrée dans le studio de Rudy Van Gelder, genre Blue Note de la série 1500… et Fred donne son premier solo, dynamique et sensible à la fois, parfaitement construit avec les nuances et cette progression vers… le plaisir, puis Sophie Alour et son beau son de ténor mais moins immédiatement dans le jus, hésitante ; Or Bareket à son tour puis Léon et les frissons renaissent, notre émotion avec… Les compositions sont originales ce soir Fred et Léon sont les compositeurs et un peu co-leader aussi. Voyage brésilien dans la foulée, un peu banal en vérité.
Et c’est aussi pour cette découverte du soir que nous étions là, Raphaëlle Brochet n’est pas encore très connue, pourtant en Belgique elle a elle aussi été remarquée par une belle distinction. Dans la langue portugaise, les vocalises dans le jus, en duo avec Fred qui l’entoure de délicatesse ils donnent le Tristezza de Jobim, périlleux en vérité il y a déjà tant de versions définitives en nos mémoires… Jusqu’à ce qu’elle offre enfin une vision nouvelle de cet art vocal qui est le sien en vérité, l’Inde est aussi son domaine, elle y a étudié. Elle est devenue originale dans sa fusion qu’elle envoie justement et à propos, les mots se mêlent à un espèce de chant beat box, le scat jazz, le susurré brésilien et ces écarts de tons et de gammes des musiques indiennes, la voix est pure et juste, son solo est fort justement applaudi. Du coup Sophie est elle aussi gagnée par ce moment de grâce précieux, son soprano devient tendre et sensible et Léon de dire à son tour sa musique, sa batterie minimaliste à l’unique cymbale ne suffit plus, il utilise son corps, sa voix, Raphaëlle lui répond, le duo/dialogue était devenu évident, naturel, comme une déclaration… quelques notes des Friends qui étaient devenus silencieux : les cordes d’Or, les paumes des mains d’Inor et quelques notes sur les aigus du clavier de Fred.
Comme pour finalement beaucoup de concerts on ressort en se disant que la fusion a mis du temps à couler, le dernier morceau était celui qu’il convenait d’attendre…