L’Helvète underground…
L’ambiance souterraine et feutrée de l’AmphiOpéra aura donc été l’écrin idéal de la création de “Sphaira” qui marquait le premier acte de la résidence de la chanteuse Susanne Abbuehl. Au bord du tapis noir, dans un halo bleu, l’attendaient deux pieds de micro, un minuscule piano droit blanc, un petit tambourin, un métallophone de poche et un livre blanc. Magda Mayas s’installerait au grand piano noir. Marilyn Mazur évoluerait au cœur de son impressionnant ensemble de percussions, pour l’instant baigné de lumière rouge. Ne manquaient plus que les musiciennes…
Délicates, en scène !
Le trio de dames prit place à tâtons dans une douce pénombre. Une clochette donna la note. Bien préparé, le piano émit des sons surprenants. Sans un mot, la voix put se frayer un chemin entre douceur et délicatesse. Au bout de quelques minutes, Susanne ouvrit un recueil de poèmes pour dire ou chanter quelques vers de l’Américain Robert Lax. Après cette première séquence, elle nous présenta ses partenaires. Elle jouait pour la première fois avec la percussionniste danoise Marilyn Mazur. Son désir de travailler avec elle était présent dès son arrivée sur le label ECM, en 2000. Sa rencontre avec la pianiste allemande Magda Mayas a eu lieu l’an passé à Helsinki. “Sphaira est un concept sonore, des sons des planètes que l’on n’entend pas, et les textes de Robert Lax s’y associent très bien”.
Susanne nous invita dans sa bulle.
La suite du concert nous permit d’entendre le petit piano d’enfant de Susanne Abbuehl. Toujours délicate et légère, toute en nuances, sa douce voix, qu’elle soit vecteur de sens ou simple instrument, fut loin d’être omniprésente et laissa une large place, purement instrumentale, à ses partenaires. À cour, Marilyn Mazur semblait danser au milieu de ses percussions : grands, moyens et petits fûts, cymbales de toutes tailles, clochettes en tous genres, timbale géante, triple gong, bassines, coquillages, archet sur tiges métalliques, sanza… Debout, parfois à genoux, elle passait des baguettes aux fagots, des mailloches aux mains nues. À jardin, sous le capot du Steinway, Magda avait planté, tels des bâtons d’encens qui ne se consument pas, de fines tiges en bois qui modifiaient le son des cordes du piano. Celles-ci accueillaient parfois de petits aimants ou étaient frottées par un fil de nylon quand elle n’étaient pas percutées par des boulettes de pâte à modeler !
Ah Sphaira, Sphaira !
Véritable création, “Sphaira” en avait la fraîcheur et la fragilité. Rencontre unique partagée avec un public, certes peu nombreux, mais attentif et connaisseur, ces soixante-dix minutes ont ravi les oreilles curieuses et amatrices d’univers inédits aux frontières du jazz et d’une musique dite “contemporaine”. Susanne n’a pas manqué de remercier Boris Darley pour son travail sur le son. Gageons que nos trois Européennes trouveront le temps de mûrir le projet, le tourner et, qui sait, l’enregistrer…