(Toussaint…éressants !)
La période étant toujours propice aux nombreuses sorties d’albums (et tournées qui s’ensuivent), voilà une première sélection de ceux qui nous ont déjà bien accroché, en attendant la suite comme autant d’idées cadeau pour Noël …
Toto ST « Nga Sakidila » (17a7)
« Yupi yeah » ! s’exclame-t-on à juste titre dès l’intro du même nom. Cinq ans après l’excellent “Filho da Luz” qui nous a révélé l’étendue du talent du jeune prodige angolais Tomas Serpiao – alias Toto ST – à la fois chanteur, guitariste, compositeur et producteur, nous revient avec « Nga Sakidila » (Merci, en angolais), sans doute l’un des meilleurs albums afro jazz-world de l’année. Un disque tout à son image, solaire et généreux (15 titres originaux dont beaucoup dépassent les 4 mn), d’une musicalité inouïe où, entre douceur et énergie, son sens inné de la mélodie et son charisme resplendissent au fil de chaque morceau. Rythmique sèche et tranchante avec un groove saccadé dans la lignée du blue-funk de son ami Keziah Jones, refrains accrocheurs et vite addictifs, qu’il soit porté par une riche instrumentation ou dans l’épure d’un simple guitare-voix, Toto St nous dévoile toute la largeur de sa palette artistique qui semble immense. Mixant avec bonheur rythmes afros et jazz, soul funky et bases traditionnelles (kilapanga et kiramba) de son pays originel. On ne résiste pas aux compos les plus tubesques, de Sorrir Pra Nao Chora porté par la voix de Deolinda Kinzimba, à Vida afro-jazz à la rythmique enivrante (comme sur Ove Unene) et dont la basse est tenue par le grand Guy Nsangué (Jean-Luc Ponty). On retrouvera encore ce dernier avec une basse claquante façon Stanley Clarke sur le dynamique Respeita essa Mulher soutenu par des percus et chœurs afros. Et que dire de Mas y Mas qui pourrait bien être le single phare de l’album avec son refrain festif et joyeux qui nous entête profondément et donne une furieuse envie de danser. Si les orchestrations sont luxuriantes, comme sur ce Quem sou Eu qui convoque des cordes arrangées par Christian Martinez et le Fender Rhodes de Kevin Jobert, on l’a dit c’est tout autant dans le dénuement d’un simple guitare-voix (Romeu de Papel, Respirar) ou dans la délicatesse d’un piano-voix-guitare (Amor Pra dar) que toute la pureté cristalline du chanteur trouve son acmé. Des ballades enjôleuses comme sur le titre éponyme Ngya Sakidila (étonnement, on pense à Cabrel dans ce refrain !..) bercé par la rondeur de la basse fretless de Cicero Lee.
C’est d’ailleurs en solo que Toto St avait conquis le public du Rhino 2018, et, lors de cette dernière édition où il est revenu pour l’occasion solidement accompagné de musiciens lyonnais (avec la rythmique de Supergombo) bon nombre de spectateurs semblent avoir particulièrement craqué lorsqu’il est seul avec sa guitare. Preuve de l’impact intrinsèque et immédiat de ses mélodies, même s’il va de soi qu’un album d’une telle densité instrumentale trouve naturellement son développement scénique en groupe. On espère en tout cas vivement revoir et entendre ce répertoire étincelant porté en live avec ces mêmes musiciens (pour une première, quelle probante complicité ils nous ont montré !) sur une scène lyonnaise où lors des grands festivals, d’ici ou d’ailleurs.
Kinga Glyk « Feelings » (Warner Music)
A propos du fameux tord-boyau des Tontons Flingueurs, Ventura assurait connaître « une Polonaise qui en buvait au petit-déjeuner ». Les fans de basse claquante pourraient tout aussi bien parler de Kinga Glyk en disant connaître une Polonaise qui en joue depuis sa prime enfance. Elle aussi découverte l’an dernier en live (Rhino-Un Doua de Jazz), la belle demoiselle de vingt trois ans affole la basse nation sur la toile où elle a conquis ses galons de nouvelle reine de la basse électrique. Carte de visite un brin démonstrative, son précédent opus ouvrait un avenir prometteur, concrétisé dès aujourd’hui par « Feelings » qui sortira chez Warner le 15 novembre prochain, avec d’étonnants featuring (Anomalie, Bobby Sparks II, Brett Williams…). A défaut de chanter comme elle s’en excuse, elle y donne la voix à son instrument pour conter des histoires de sa vie, avec cette virtuosité nonchalante qui fait tout son charme. Tout en continuant d’expérimenter ses idées, comme dans ces compos inédites et très personnelles, loin des formats bien réglés. Plus écrites et moins basées sur l’impro, elles y gagnent encore en solidité. La couleur est donnée dès l’intro (quiconque jurerait entendre Marcus Miller) avec Let’s Play some Funky Groove au beat claquant et organique typique du son de Minneapolis, avant de plonger dans la drum’ n’ bass. Impulsion qui perdure à coup de brillants solos du trio (avec Pawel Tomaszewski aux claviers et Calvin Rodgers à la batterie) sur Lennie’s Pennies. Sur l’incendiaire Joy Joy qui suit, on reconnaît justement la patte du clavier de Marcus Miller, Brette Williams -présent sur trois titres au gros son cuivré très 80’s-90’s- alors que Kinga tricote dans le sens groovy du manche. What is Life se veut le titre central de Feelings. L’ambiance semble d’abord méditative tandis qu’en « spoken word » la jeune bassiste se livre un peu, avant de laisser cette narration aux seuls instruments pour véhiculer ses sentiments, et la basse de chanter à sa place. Une fois entré dans le vif du sujet, le titre s’envole du côté du rock’n’roll pour la rythmique, sur des synthés époque Hancock. Une époque et un esprit aussi, celui du jazz-rock seventies et du rock progressif comme dans Overdrive au développement plutôt grandiloquent. Seule respiration apaisée de l’album, la bien nommée Ballada offre un bien joli thème signé Brett Williams. Mais déjà reviennent vite les assauts rythmiques synthés-basse-drums sur Low Blow de Victor Bailey, emmenés par les claviers façon Zawinul cette fois, avant de shunter sur des nappes planantes. Toujours une époque avec ce forcément Classic (feat Bobby Sparks II) qui marie blue-soul de l’orgue Hammond, basse tendance Jaco Pastorius cette fois-ci, et synthés en connexion avec le hip-hop actuel. Autant d’hommages à ses nombreuses références sans doute (merci à son papa batteur…), alors qu’arrive notre morceau fétiche 5 Cookie où le claviériste Montréalais de dance music Anomalie nous fait un malin plaisir à reprendre délibérément l’irrésistible riff du fameux Superfreak de Rick James ! Hum… Un savoureux cookie disco-funk comme on adore, juste avant de conclure dans la quiétude d’une sublissime ballade afro-jazzy où, dans une langue imaginaire, on se laisse porter par les voix et guitares pénétrantes de deux autres invités, Ruth Waldron et Mateus Asato.
Eric Légnini « Six Strings Under » (Anteprima / Bendo Music)
Prolifique et toujours très inspiré, le plus français des pianistes belges sort son quatorzième album en vingt ans de carrière, sur un registre inattendu puisqu’il y rend hommage, comme une déclaration d’amour, à la guitare, même si de son propre aveu, ces deux instruments ne font pas toujours bon ménage. Pourtant, ce « Six Strings Under » qui marque son retour à l’acoustique instrumental, prouve brillamment le contraire, un disque qui est tout autant celui d’un pianiste que celui des guitaristes virtuoses qui l’accompagnent, apte à charmer tous les amoureux de ces deux instruments. Onze titres dont neuf compos originales, toutes frappées du sceau Legnini puisque, quel que soit le registre abordé, la patte romantique du pianiste virtuose donne lieu à des thèmes d’une beauté mélodique évidente (sur Breakfast at Dawn par exemple). Epaulé par la seule contrebasse de son vieil ami Thomas Bramerie (déjà présent sur deux disques chantés de Légnini) et sans aucune batterie, les quatre musiciens offrent un jeu rythmique qui n’en est pas moins saisissant. Pour ce faire, Legnini a convoqué pour la première fois deux guitaristes d’exception, d’une part Hugo Lippi –l’un des plus côtés du moment- qui a forgé son style dans un jazz-bop teinté d’influences tsiganes et de swing bohême, réputé pour la fluidité de son jeu et la sonorité cristalline de ses effets qu’il sculpte avec finesse, ainsi que Rocky Gresset, un gitan qui figure parmi l’élite actuelle du jazz manouche. Jouant à l’oreille avec un phrasé d’une rare élégance, ce fan de Django (forcément…) se réfère beaucoup à Pat Metheny tout en étant un admirateur des trios avec piano, notamment de Bill Evans. Ainsi ce nouvel album offre une vaste palette thématique, mettant en avant la guitare sous toutes ses formes. Groove naturel dès l’intro avec Boda Boda qui lorgne vers l’afro beat d’un Fela, plus pop façon Radiohead sur Daydreaming, en mode bossa via la ritournelle entêtante de La Mangueira, dégageant une suavité rappelant un Joe Sample sur Night Birds ou un swing entraînant sur The Drop qui sonne comme un standard. En matière de standard justement, le seul repris dans ce disque est le fameux Stompin’ at the Savoy composé dans les années trente par Edgar Sampson. Autre curiosité enfin et seconde reprise sur cet opus, le Space Oddity de Bowie, seule plage sans aucune guitare, où le pianiste offre une version dépouillée et raffinée de cet incontournable morceau. Est-ce le fait d’avoir été parmi les pointures qui ont participé l’an dernier à la création du Bowie Symphonique sous la direction de Daniel Yvinek lors des quarante ans du Rhino Jazz(s) Festival ? Toujours est-il qu’il en dégage avec brio la substantifique moelle mélodique et nous rappelle, au milieu de ce répertoire éminemment guitaristique, que ce « Six Strings Under » est bien l’oeuvre d’un pianiste !
Erik Truffaz « Lune Rouge » (Warner Music)
On l’adore et on le suit depuis ses débuts en se demandant encore et toujours comment il fait, tant il ne cesse de tourner dans le monde entier, de partager en multipliant les projets et collaborations, d’expérimenter et de produire sans cesse de nouvelles compos puisque ce dernier album qui paraît aujourd’hui est déjà son 20e en 25 ans de carrière ! Si ses deux derniers opus « In Between » puis « Doni Doni » nous ont franchement emballés -comme très souvent- « Lune Rouge », à la première écoute, nous laisse plus dubitatif. Sur le papier, le propos d’intention est pour le moins ésotErik… et le rendu nous semble parfois quelque peu erratique. Si l’homme, humble, discret et attachant, est du genre lunaire, c’est justement vers l’astre fascinant qu’il porte ici son regard, marquant à l’aube de ses soixante ans un nouveau virage créatif. Toujours un peu pareil sans jamais faire la même chose pourrait-on dire à son propos. Ce Lune Rouge inspiré par un alignement des planètes entend élever sa musique vers une sorte de B.O de science-fiction, une rêverie lunaire qui explore encore de nouveaux terrains sonores dans le pur esprit d’un jazz avant-gardiste basé sur la fusion. Délibérément « disruptif » pour reprendre un terme actuel, ce disque est le fruit d’un permanent chantier intérieur, intranquille, fruit de longs vertiges (le titre éponyme dépasse les onze minutes…) provoqués lors de jams intenses dans l’antre du fameux studio lausannois du Flon du fidèle claviériste Benoît Corboz, avec bien sûr le bassiste de toujours Marcello Giuliani. Mais le changement notoire vient du nouveau batteur Arthur Hnatek qui remplace l’historique Marc Erbetta depuis Doni Doni. Le jeune prodige genevois (il n’a que 29 ans) connu pour jouer notamment avec Tigran Hamasyan et Dhafer Youssef est réputé pour son travail percussif ou ses bidouillages électroniques. Il est à l’origine de ce sang neuf que Truffaz a souhaité apporter en confiant, pour la première fois, bon nombre de compos à ce nouveau venu, coloriste qui a fourni le matériel de base à ce tableau sonore. Avec la volonté d’enregistrer des pistes non préparées (5 titres ont été pondus en une seule prise sans aucun ajout), mais aussi en jouant du contraste temporel dans le son, opposant son vintage très organique à des systèmes électroniques résolument modernes (Corboz utilise pour la première fois des synthés analogiques). Alors oui, le résultat étonne et peut interroger. Il nous bouscule dans notre confort habituel, mais ne peut laisser indifférent, ce qui est déjà une marque d’intérêt. A voir comment tout cela sera traduit en live, ce qui promet sûrement encore de belles surprises. A noter enfin que, comme chaque fois, Truffaz a invité quelques excellents chanteurs en featuring : d’abord le nouveau crooner du jazz contemporain José James (artiste de Minneapolis signé chez Blue Note et auteur notamment du tube Lovely Day) qui distille son feeling soul sur Reflections, puis la jeune chanteuse suisse Andrina Bollinger sur She’s the Moon, une petite perle légère comme les bulles du champagne du même nom, et aérienne comme la trompette toujours davisienne d’Erik. Deux belles chansons au format classique et donc plus facile d’accès que les dix morceaux instrumentaux qui nécessiteront plus de temps d’écoute avant de nous pénetrer.
Uptown Lovers « By your Side » (Le Grand Bain / Inouïes Distribution)
Ces “amoureux du coin” sont réellement amoureux et surtout fusionnels quand ils traduisent leurs sentiments dans l’alchimie du duo musical. Mais leur musique est en fait d’un bien plus grand format qu’eux. Etendu à trois puis à cinq en scène, voilà qu’Uptown Lovers convoque une armada de potes régionaux pour finir à quinze et nous offrir ce premier vrai album, totalement bluffant ! Aucun cover mais onze plages originales signées conjointement par Manon Cluzel et son pygmalion le guitariste Benjamin Gouhier. L’Ouverture est d’emblée classieuse par le mariage des cordes, dévoilant la douceur de Be a Girl, une ballade néo-folk à l’ambiance vaporeuse sous les doigts raffinés du guitariste. Comme toujours, on est vite saisi par la coloration –et la corréllation- du timbre de Manon avec Stevie Wonder. Pour preuve encore le titre éponyme By your Side avec son groove rythmique emmené par l’orgue de David Bressat sur la guitare et le duo complice des percussionnistes Mathieu Manach et David Doris. Bressat qui revient au piano pour soutenir le jazzy-blue In Love des tourtereaux. On était déjà sous le charme de l’écoute quand surgit l’incroyable Dance, premier de nos trois énormes coups de cœur. D’entrée de jeu, orgue et percus balancent une rythmique saisissante, boostée encore par la batterie de Josselin Soutrenon et la basse métronomique de l’inébranlable Etienne Kermac (Supergombo,Toto ST…). Manon s’engouffre dans la brèche plein pot, avec une voix au plancher qui ne faiblira jamais durant les 7,36’minutes de cette prouesse rythmique. Une pépite tourneboulante au refrain purement wonderien, livrée dans un esprit live à l’effet garanti. Etiré comme à la grande époque de la soul-funk des 70’s à laquelle il rend ici un splendide hommage, ce bien nommé titre nous remmène encore vers une transe « orgue-asmique » et enivrante sous les doigts de Bressat et la frénésie percussive des frappeurs. Offrant naturellement un boulevard pour un lumineux solo de guitare électrique de Benjamin. Après telle envolée tellurique, il fallait bien un Silence -plutôt martial d’ailleurs- sous les cordes d’un quatuor. Manon des plus sensuelles y susurre avec un grain de hargne plutôt rock (ce constant contraste entre douceur et fougue qui fait tout l’attrait de sa signature vocale). Du Wonder plutôt rock ? Confirmé de suite sur Psycho, encore un gros coup de cœur pour ce super thème au groove funky appuyé, où les mots de Manon tombent en rap-hop dans la saccade insufflée par le trio basse-batterie-claviers. Ici sa voix est doublée pour les chœurs et le rendu est très efficace en donnant encore plus de rentre dedans que lorsqu’elle est seule en voix droite, un peu trop nue parfois. From Darkness to Light offre une dernière respiration apaisante, lumineuse virgule de deux minutes classiques livrées par le quatuor à cordes emmené par la violoncelliste Maud Fournier (avec Anne Chouvel et Jason Henoc aux violons, et Isabelle Bisciglia alto).Porte d’entrée vers la fin de l’histoire, The End of the Story nous cueille encore (troisième gros coup de cœur !) avec son thème en ligne directe avec le mythique Stairway to Heaven de Led Zeppelin et l’esprit « Harvest » d’un Neil Young, dans un sublime mariage entre la guitare et le chant feutré, si sensuel avec son grain écorché. De quoi rester amoureux de ces Uptown Lovers qui nous quittent justement sur Still in Love, ballade langoureuse en forme de berceuse où les harmoniques étincellent comme des étoiles. Sans chauvinisme et avec objectivité, moi j’en mets quatre à ce magnifique album lyonnais qui a la facture d’une très bonne production…américaine !
Jacob Karlzon « Open Waters » (Warner Music)
Après la belle découverte de la jeune pianiste polonaise Hania Rani avec son album « Esja » enregistré à Reykjavik (voir chronique sélection CD de l’été 2019), la liste des maîtres du clavier venus du froid s’allonge encore avec celle du Suédois Jacob Karlzon. Encore peu connu chez nous, ce pianiste classique qui se définit lui–même comme « alternatif » est pourtant déjà très expérimenté avec un éclectisme rare. Le jazz n’a pas de secret pour ce musicien tout terrain qui a partagé la scène avec Billy Cobham, Kenny Wheeler ou Norma Winstone, et abordé successivement le heavy metal puis l’électro dans ses deux précédents opus. Avec « Open Waters » paru fin septembre, le compositeur de Göteborg produit par Lars Nilsson s’ajoute également à la longue liste de tous ceux qui ont été inspirés par la mer, depuis toujours et dans tous les registres, pour retranscrire leurs ressentis via la musique. Contrairement à Hania Rani, celle de Karlzon, si elle est aussi atmosphérique et intuitive, ne se complaît jamais dans le contemplatif tant la virtuosité du pianiste aime virevolter dans l’esprit traditionnel du trio jazz, avec le soutien pointu de Morten Ramsbol à la basse et Rasmus Kihlberg à la batterie. Lentement les mélodies émergent, suivies d’une vague douce attirant l’auditeur vers les sons de la mer dont on ressent la présence imaginaire et qui nous entraîne au large, vers ces Open Waters à la fois fascinants et inquiétants. Le doigté est fermement assuré dans les Secret Rooms où il nous emmène sous le brouillard des nappes electro. Comme la bande-son de nos films rêvés, le bien nommé Motion Pictures vient consacrer toute la folle dextérité du trio où vitesse, précision et émotion se mêlent en un ébouriffant tourbillon. Les deux rythmeurs ont chacun leur moment de grâce, avec un tempo martial pour la métronomie du batteur sur Slave to Grace, puis un beau dialogue avec le piano pour la basse sur Ever Changing. How it Ends qui suit apporte l’apaisement, dans la zénitude du large azuréen figuré par les nappes atmosphériques des claviers sur lesquelles le bassiste dépose un chaleureux tricot de notes. De cet horizon infini on décolle pour prendre de la hauteur et découvrir le Panorama, petit bijou de jazz aérien à l’élégance feutrée. Et d’achever cette croisière sonore sur Note to Self, qui semble incarner à la perfection la manière intuitive avec laquelle travaille Jacob Karlzon et comment il nous invite à contempler rien moins que son inconscient. Un sacré ticket pour un voyage qui vaut le détour.
Mischa Blanos « Indoors » EP (In Finé)
Et pendant qu’on est dans la découverte de nouveaux pianistes du Nord ou de l’Est européen, voilà encore, en provenance de Bucarest cette fois, le jeune russo-roumain Mischa Blanos, fils prodige d’une chanteuse d’opéra, ayant apprivoisé le clavier bien tempéré dès ses sept ans avant de diriger ses propres compos dans l’orchestre de quinze musiciens qu’il avait créé au lycée ! Avec déjà une grande expérience de la scène européenne soit en solo soit pour des opéras, le garçon a depuis plongé dans l’ébullition créative de Berlin, s’amourachant, avec la stupeur d’un coup de foudre, de la musique électro et acoustique. Il y développera sa sensibilité expressionniste et catalysera enfin une imagination sans fin. Le compositeur qui entend relier le chaos fertile du monde urbain et la sérénité des étendues montagneuses, emprunte une ligne de crête entre le spirituel et le corporel, en nous guidant des Pas sur la neige d’un Debussy aux impros electro-jazz d’E.S.T ou de Bugge Wesseltoft. Avec ce second EP, il explore à sa façon notre époque dispersée et frénétique, sur laquelle il dépose ses compositions floconneuses. Chatting in 21st Century qui ouvre l’opus sur une base de Bach questionne nos échanges sur écrans interposés à coup d’images et d’icônes où les mots sont devenus superflus, là où Am Wired tente de percer la bulle de verre derrière laquelle nous dissimulent téléphones et caméras, dans une mise en abîme vertigineuse. Mais la chaleur du Fender Rhodes vient nous rappeler un brin d‘humanité comme sur l’after amoureux Two Sugar Cubes ou dans la douceur de Forebondings. Alors revient le temps calme, sur l’oreiller de Pillow Talk, avant de faire la fête sur les toits de Hambourg (Hammock on the Roof) en accrochant un hamac entre les cheminées. Autant de scènes vécues par le jeune pianiste qui tente, grâce au rapport viscéral qu’il entretient avec ses claviers, de nous en transmettre les multiples émotions.