(42) LoireRhinoJazz(s)

20/10/2021 – Guillaume Latil en solo pour le Rhino Jazz(s)

Un ange passe
(ou comment joindre Latil à l’agréable…)

Fruit d’une aventure de création proposée par le Rhino dès l’an dernier mais reporté à cette édition pour les raisons que l’on sait, le tout premier solo du jeune violoncelliste a été donné en primeur au festival dans l’intimité de l’église de Saint-Paul-en-Cornillon, pour un moment onirique et touchant qui a suspendu le temps.

Sous la voûte de la crypte superbement éclairée telle une peinture céleste de chapelle vénitienne, trône un bijou de lutherie signé du réputé maître lyonnais Blanchard datant de 1882. Un instrument rare et fabuleux que le jeune violoncelliste Guillaume Latil a longtemps cherché jusqu’à Londres, avant de le dégoter enfin -comme par un heureux hasard- dans sa ville d’origine à Marseille. Le soliste au regard “christique” (parmi les multiples ressemblances qu’il partage avec son aîné Matthieu Saglio) s’installe tandis que les bruissements du public font place à un silence religieux, quelques minutes où le musicien prend le temps introspectif nécessaire à la concentration une fois le bel objet en mains. La petite nef bien garnie se plonge dans l’écoute attentive qui sied à ce moment d’intime proximité et de partage émotionnel. Un ange passe, il est là, devant nous. Mais pour mieux emplir ce silence de mélodies célestes qui vont plus d’une heure durant, suspendre le temps et nous élever en communion avec elles dans les cieux de la chapelle bigarrés de couleurs et offrant un écrin magique à la prestation.

L’art de la suggestion

Le vent se met à souffler par la bouche du musicien, au rythme du ressac provoqué par les frottements de la main sur le bois précieux patiné par le temps. La voix, doublée par une pédale d’effet, entonne un chant en anglais dans la douceur typique des balades pop-folk des seventies, avant que le violoncelle s’ébroue soudainement dans des variantes enjouées à la Grapelli. Car il y a à la fois des “Airs et des Déserts” dans ce répertoire si joliment intitulé, où Guillaume a souhaité travailler sur ce qui le fascine depuis toujours, cet art de la suggestion où la beauté n’est plus seulement dans l’œuvre elle-même mais dans la capacité d’imagination de l’auditeur. Toute cette force fantastique que la musique peut impliquer et induire sur notre réceptivité et notre imagination.

On parlait de couleurs bigarrées quant aux éclairages, elles le sont pareillement au gré des pièces que le musicien a assemblées avec visiblement beaucoup de liberté dans ses choix, transcrivant personnellement tout ce qui le touche. Comme ces petites mélodies toutes simples que l’on sifflote furtivement dans la rue ou sous la douche, et qu’il s’est amusé à consigner pour les monter dans un cycle -qu’il dédicace à Yves Montand- où ce “partisan et militant du sifflement” affiché déplore avec une certaine nostalgie cette gaîté naturelle qui se perd aujourd’hui.

Eclectisme et onirisme

A l’image de son parcours riche et éclectique dans diverses formations où il fait montre de sa vaste palette d’influences en matière de culture musicale, le violoncelliste pour cette première en solo va nous servir de guide, humble passeur qui nous trace un parcours émotionnel en nous laissant imaginer les images qui vont avec. Onirisme nous emportant ici par des sonorités irlandaises traditionnelles dans une ambiance plus épique évoquant la mer et ses marins solitaires, le sampler multipliant les coups d’archet d’une intense profondeur. Après les flots le Désert, un titre dédié en hommage au courage de Negin Khpalwak, musicienne de vingt-quatre ans qui a osé monter l’Orchestre féminin d’Afghanistan Zhora, à Kaboul. Une courte pièce d’une bouleversante nostalgie, où l’amour de Guillaume pour les cordes du Moyen-Orient transparaît.

Vient alors la pièce qui est au coeur du sujet, cet art de la suggestion transmis par Bach avec ses fameuses suites pour violoncelle seul, et ses fugues à trois voix qui incitent l’auditeur à les achever lui-même par sa propre perception. Ainsi nos émotions naîtront ensuite tout aussi bien dans les variations autour du thème du célèbre Summertime rythmé seulement du tic-tac d’un métronome, comme au gré d’un chorino bulgare -bel oxymore!- une compo guillerette mariant dans le même entrain rythmes d’Amérique du Sud et sonorités des pays de l’Est.

Un voyage mélancolique

Des musiques du monde offertes en bouquet par le seul son du violoncelle qui, après avoir lorgné vers la contrebasse, est joué comme une guitare pour une soukous, la rumba congolaise où la percussion sur le bois nous transporte en Afrique.

Mais le moment le plus fort est peut-être niché au cœur de cette chanson française traditionnelle – sa préférée- que l’on connaît tous depuis le XVIe siècle, évoquant une femme qui regrette d’avoir perdu son amour en refusant un mariage. “A la claire fontaine, jamais je ne t’oublierai…”, comme une berceuse dépouillée et chantée ici avec une simplicité toute enfantine, d’une pureté presque naïve, sur l’air mélancolique d’une saudade. Cette si touchante mélancolie que nous évoque toujours aussi l’inoubliable mélodie de “Il était une fois dans l’Ouest” de Morricone, où le violoncelle se substitue avec élégance à l’harmonica, offerte en rappel avant que nous rompions la magie de ce moment, éphémère comme le sont nos p’tits bonheurs. Un ange est furtivement passé, nous confirmons tous l’avoir vu et surtout, entendu.

Ont collaboré à cette chronique :