chronique de CD

novembre 2021 – Dernières news du blues

Dernières news du blues

Pour le “blues” de novembre on repassera. Pas de mélancolie dépressive dans ces dernières parutions blues qui se parent d’une énergie très rock, puisée chez les grands du progressif et du hard seventies pour Circle of Mud, dans la deep soul des années 50-60 pour les Supersoul Brothers, la Taranta italienne et la trance blues arabe pour le duo Justin Adams et Mauro Durante. Pour son retour et son inattendue irruption dans le blues, seule Natalia M. King emprunte une veine plus classique mais brillamment entourée.

CIRCLE OF MUD «Circle of Mud» (Dixiefrog / PIAS)

On n’attendait pas forcément un batteur comme Matthieu Zirn (Aznavour, Souchon, Kaas) et un bassiste comme Franck Bedez (Aznavour, Pagny, Lara Fabian) dans un projet qui se veut à la fois roots et contemporain autour du blues, genre auquel le groupe alsacien Circle of Mud fondé par le guitariste lap-steel Gino Monachello entend donner une attractivité nouvelle,ancrée dans notre siècle. A croire que les deux complices rythmiques avaient besoin de se défouler en mettant de côté la chanson française pour aller lâcher les gaz dans ce premier disque éponyme, réalisé sous la patte de David Husser au studio La Grange où l’on pourrait voir évidemment comme un clin d’oeil à ZZ Top et son mythique album du même nom.

Dès l’intro, leur blues revisité par un gros son quasi hard-rock sonne comme une délivrance, un exorcisme sur le bien nommé Free me from the Devil qui envoie du bois, martelé par les riffs de guitare électrique du jeune Flo Bauer que l’on découvre comme chanteur impressionnant de ce quartet, où il se partage aussi l’essentiel des compos avec Monachello. Un côté rock tribal et primitif comme ce Native Man où ça frappe fort derrière la voix qui n’est pas sans nous renvoyer aux seventies progressives époque Robert Plant et Led Zep’, comme c’est encore le cas sur Always have to Run. La guitare lap-steel a toujours un super son aux effets presque psychédéliques sur le plus apaisé et envoûtant I Remenber tandis que la ballade Coming Back proprette mais sans grande originalité lorgne plutôt vers la pop-rock FM des eighties. C’est sans doute la reprise aussi inattendue que bien vue du Stayin’ Alive des Bee Gees qui surprend le mieux dans cette version explosive et pour le coup bien roots. Les quatre derniers titres (sur douze) sont beaucoup plus classiques, toujours bien faits mais sans attrait particulier.

En tentant le pari de jouer le blues du XXIe siècle pour la nouvelle génération, Circle of Mud -qui on l’a vu n’entend pas pour autant oublier ses origines-se heurte forcément à cet imposant héritage auquel il est bien difficile d’échapper encore aujourd’hui. Il faudra donc sans doute encore travailler sur l’originalité de leur signature, mais le niveau de tous ces musiciens et surtout la voix remarquable de Flo Bauer devraient vite y contribuer.

THE SUPERSOUL BROTHERS «Shadows&Lights» (Dixiefrog / PIAS)

Difficile de ne pas penser aux Soul Brothers -nos Blues Brothers lyonnais qui enflammaient les clubs régionaux au début des années 90- en découvrant ces Supersoul Brothers palois qui se sont formés il y a cinq ans autour de la même passion pour le Memphis Deep Soul, ce mélange de soul et de rock de la fin des années cinquante et des sixties. Ray Charles,Little Richard, Otis Reading, Wilson Pickett ou Rufus Thomas, toute une époque croisée avec une dose de Nola funk (Dr john, Eddi Bo, Lee Dorsey…) et de british touch (Stones, Joe Cocker, Dr Feelgood…), sans parler du culte à la soul du Sud portée par les mythiques labels comme Stax.

C’est bien tout cela qui réunit cette bande de potes autour de leur charismatique leader «Feelgood Dave» David Noël au chant. Avec Pierre-Antoine Dumora (Mister P) à la guitare, Ludovic Timoteo à la basse, Fabrice Seny-Couty (Fabulous Fab) à la batterie, Julien Stantau aux claviers et Julien Shubiette au slide trombone.

Pour rendre au mieux l’ambiance libératrice de cette époque, les Supersoul Brothers ont enregistré à l’ancienne, en direct live au studio avec tous les musiciens en même temps, une spontanéité sans overdub pour garder le maximum d’authenticité. Douze titres partagés en deux temps comme l’indique le titre de ce tout premier album, la partie «Shadows» puis la partie plus «Lights».

Une soul cuivrée bordée du son du Rhodes et de l’orgue Hammond (Only Love), des chorus de guitares R&B (Comin’ Wome Baby), des ambiances speed et entraînantes à la Blues Brothers (How shall we dance life, Common People, Sookie Sookie baby) ou des ballades entre Ray Charles et Joe Cocker (Please forgive my heart)… Des rythmiques effrénées comme leur hymne Supersoul qui groove à fond, ou des moments cools bercés par le piano (Rose), c’est le répertoire exhaustif de toute une époque que livre sur cette première galette un groupe réputé dans tout le sud-ouest pour ses performances scéniques explosives. Avec en prime de clôture d’album une reprise inattendue et très rock’n’roll du Heroes de Bowie, ça ne se boude pas.

NATALIA M. KING «Woman Mind of my Own» (Dixiefrog)

Toujours chez Dixiefrog, la chanteuse de Brooklyn (mais d’origine dominicaine) exilée à Paris depuis plus de vingt ans sort son septième album mixé par le grand Yves Jaget, réalisé et produit par son guitariste Fabien Squillante, avec Rémi Vignolo à la batterie, Raphaël Ducasse aux basse et contrebasse et Isma Benabyles aux claviers, ainsi que plusieurs featurings de renom sur certains titres comme Vincent Peirani à l’accordéon, le Néo-Zélandais Grant Haua (chant, guitare, cajon), et le chanteur-harmoniciste de légende Elliott Murphy. Du beau monde pour un disque où, pour la première fois, celle qui s’est toujours efforcée de refuser toute attache, tout enracinement, toute allégeance à une quelconque tradition, pénètre la terre ancienne et sacrée du blues. «A un moment donné, vouloir jouer une musique dite alternative m’a fatiguée. J’étais pourtant venue à ce métier avec la ferme intention de refuser toute forme de filiation et franchement, je n’aurais jamais imaginé à l’époque interpréter un jour du jazz ou du blues» confie la sauvageonne Natalia qui, après une vie vagabonde Outre-Atlantique, avait débarqué dans les couloirs du métro de la capitale avec sa guitare Ovation pour seul bagage. Après avoir développé un free-style rock sans concession, on l’a donc retrouvée avec surprise d’abord sur les traces de Billie Holiday et de Nina Simone il y a quelques années puis,aujourd’hui, sur celles d’ Etta James et de Robert Johnson. Une mue inattendue pour cette rebelle au caractère bien trempé qui s’est éloignée de ses objectifs initiaux pour se reconstruire sur des fondations établies par les figures tutélaires dont elle pensait se passer.

Ce qui n’a pas changé, c’est toujours cette voix claire, à nue et sans effet, dont la pureté est naturelle. Le titre éponyme Woman mind of my own en ouverture, sans fard ni artifice, en est la preuve, avant que Aka Chosen offre le comble de la sincérité puisque la chanteuse fait dans cette sorte de gospel LGBT son vibrant coming-out. Plusieurs ballades qui suivent restent dans la typicité du genre, l’une avec section cuivres dont un beau sax sur Forget Yourself, une autre en duo avec la voix accrocheuse d’Elliott Murphy sur le Pink House repris à John Mellencamp, une troisième encore avec So Far Away à la mélancolie lascive. Plus soul et groovy, Lover,You don’t treat me no good (reprise au groupe Sonia Dada) fait résonner la voix profonde de Grant Haua quand celle de Natalia est parfaitement jazzy sur le passionnel Sunrise to Sunset porté par la contrebasse et les balais délicats de Vignolo. Bien plus sombre, dans la veine du pur Delta-blues, Play On envoûte par la slide guitar de Fabien Squillante avant que l’opus ne se referme sur une ballade blue-folk originale puisque ce guitare-voix n’est autre qu’une reprise du One more Try de George Michael. Au total , ce sont donc neuf titres qui s’alignent sur un peu plus d’une demie-heure, certes de belle facture, mais peut-être un brin trop court et surtout classique au regard de la personnalité de l’artiste. Bien fait et agréable, il apparaîtra du coup plus anodin qu’on aurait pu l’imaginer.

JUSTIN ADAMS & MAURO DURANTE «Still Moving» (Ponderosa Music Records / PIAS)

Et si finalement il fallait aller encore une fois en Italie pour trouver un peu plus d’originalité ? Là où en début d’année nous avions été scotchés par le duo survolté de Superdowhome (chez Dixiefrog justement) ou encore, il y a quelques années, en découvrant au Rhino les incroyables Zimbaria venus des Pouilles et maniant la Taranta comme de la dynamite?

Justin Adams, guitariste-compositeur et producteur qui a notamment travaillé avec les Sensational Spaceshifters de Robert Plant et produit les albums emblématiques de Tinariwen ou de Rachid Taha, s’est en effet associé à Mauro Durante, violoniste et aussi percussionniste du Canzoniere Grecanico Salentino, pour ce premier album en duo après qu’ils aient pour la première fois collaboré lors d’un concert dirigé par l’immense Ludovico Einaudi pour la fameuse Notte della Taranta dans les Pouilles. Ces rythmes trance de la Taranta, cet étonnant boogie délivré par le rythme sauvage de la pizzica du sud de l’Italie (Dark Road Down en ouverture, étrange mélange de blues et de sonorités indorientales), ces chansons folkloriques de la tradition italienne, Justin Adams a voulu les croiser avec son approche post-punk habituelle et sa sensibilité particulière pour la trance blues arabe. Une façon de sublimer ensemble ce qui fait l’essence de leur musique commune, alliant le son ancien du tamburello au son brut de la guitare électrique, créant une atmosphère à la beauté austère, comme par exemple sur le titre éponyme Still Moving qui évoque les migrations méditerranéennes. L’oriental n’est jamais loin comme dans l’entrelacement du chant et du violon sur Amara Terra Mia, violon qui prend plutôt les sonorités de l’Est européen sur Talassa. Pour Calling Up, on pense aussi au trad’ corse, si proche de celui de l’Italie.

Au final, on se laisse étourdir par le son puissamment rock de ce mariage inédit entre blues, musique trad’ et world-music.

Ont collaboré à cette chronique :