(07) Ardèche

11/11/2021- Festival Cinézic à Vernoux (07)

En cette saison automnale, le soleil d’été a transmis sa flamboyance à la végétation. A travers la région du Vivarais les arbres sont encore un peu vert, mais surtout jaune, orange et déjà rouge. Nous avions découvert il y a quelques années le festival Jazz en Vivarais à Vernoux-en-Vivarais au mois d’août et en extérieur. A présent, nous avons le plaisir de faire une nouvelle découverte dans cette ville d’Ardèche avec Cinezic, le festival du film musical. Et c’est déjà la sixième année que ce groupe de passionnés, emmenés par le président de l’association Jean-Pierre Trescol qui présente cette édition, fait vivre deux passions à la fois : le cinéma et la musique. Tout ceci ne déplairait pas à notre collègue Christian Ferreboeuf, de Jazz-Rhône-Alpes.com qui anime également des émissions de radio dans ces deux thèmes. Pour cette soirée du 11 novembre consacrée au blues, nous allons voir que plusieurs expressions artistiques sont associées à ce genre musical comme le cinéma, la musique, mais aussi la peinture et la photo.

 

Nous démarrons avec le film I’m the Blues du Canadien Daniel Cross. Il s’agit d’un documentaire de 2016 qui nous fait voyager entre les états du Mississippi et de la Louisiane. Le film est construit comme un road-movie qui nous emmène de villes en villages sur le Chitlin’circuit. C’est-à-dire les établissements où les bluesmen noirs expriment et développent leur art. Il s’agit de bistrots ou parfois de « bouges » qui ne payent pas de mine. L’auteur nous fait traverser des paysages, souvent lors d’interviews réalisés en voiture. On passe ainsi de personnages en personnages avec ces musiciens. Le fil conducteur est le récit de Bobby Rush, bluesman de plus de quatre-vingt ans et de ses amis de la même génération. On mesure, à entendre raconter et jouer ces vétérans du blues, que l’on est au crépuscule d’une époque presque révolue. De blagues en défis en passant par des anecdotes, les échanges entre musiciens nous le confirment. L’un nous raconte des souvenirs de BB King lorsqu’il jouait avec lui, tandis qu’un autre nous décrit le caractère de Howlin’ Wolf  qui a été son partenaire de scène. On se rend alors compte combien ces témoignages sont précieux.

L’esprit du documentaire est traversé par l’authenticité et la simplicité des femmes et des hommes dont la vie est relatée. Cela apporte une énorme émotion, notamment lorsque certains musiciens terminent une interview ou un chant la larme à l’œil, car ils se sont confiés sans détour. Si leur vie et leur art ne leur ont pas apporté la célébrité et la richesse, nous n’hésitons pas à en faire nos héros dans l’histoire de la musique afro-américaine.

 

Après la projection, un intermède dans le hall de l’espace culturel Louis Nodon nous permet de voir l’exposition de photos de concert de Marina Dacquin qu’elle présente elle-même. Cette photographe s’est orientée vers la photo de scène notamment pour les concerts donnés à la « Cordo », la Cité de la musique de Romans-sur-Isère.

 

Nous poursuivons avec la conférence de Jean-Claude Legros qui est peintre et illustre ses propos avec ses œuvres. Pour bien nous faire comprendre comment le blues est créé et a évolué, il commence en amont de la structure de ce genre musical. Son exposé va de 1870 environ à 1960. C’est en six tableaux, au sens propre et au sens figuré, représentants six personnages et avec six morceaux de musiques qu’il déroule sa conférence.

Il débute, alors que le blues n’est encore qu’un folklore américain, on parle de folk-blues. De source rurale, ce mode d’expression permet de relater des sentiments. A cette époque, le blues n’est pas un genre musical construit, il n’y a pas de morceaux ni de chansons, ce sont juste des phrases. Cette expression se développe et s’appelle le Vaudeville, représentée par Butler May. Le conférencier précise que dès cette époque, ce qui caractérise l’identité de ce qui sera le blues est une mélodie caractéristique qui donne envie de bouger et de danser, associée à un phrasé qui est ressenti directement par le cœur.

La deuxième étape est la création du blues rural ou folk blues. William Christopher Handy va structurer les morceaux de blues en douze mesures, elles-mêmes divisées en trois fois quatre mesures que nous connaissons toujours aujourd’hui. Le premier morceau composé est Saint-Louis Blues en 1914. Ces événements se déroulent dans la ville de Tutwiller, gérée par la communauté noire qui y était libre à cet endroit, nous l’avons vu dans le film.

La période suivante correspond aux minstrels qui est une copie blanche d’un original noir. Economiquement, c’est aussi l’avènement de l’industrie du disque qui dépasse le modèle économique des partitions. C’est Perry Bradford, qui s’acharnera à faire enregistrer le premier titre Crazy Blues pour la première fois par une chanteuse noire avec Mamie Smith. C’est aussi l’époque de Ma Raney et de Bessie Smith.

La quatrième époque apporte la démocratisation de la guitare. C’est aussi à la Dockery Farms, où de nombreux noirs travaillent comme ouvriers agricoles, que Charlie Patton va former toute une génération de bluesmen.

Nous arrivons aux années 1930 qui voient se développer la troisième migration des noirs, depuis le Sud vers le Nord et notamment Chicago. Ils sont maintenant libres mais la ségrégation persiste. La première migration et celle des esclaves noirs qui arrivent sur la partie Est du continent américain dans les Etats de Caroline du Sud et du Nord. La deuxième migration correspond à celle où les noirs vont de l’Est au Sud. Cette troisième migration voit une nouvelle évolution de la musique avec la constitution de groupes. Le blues rural devient urbain et c’est Big Bill Broonzy qui l’incarne. Les labels Bluebird et Decca contribuent à ce développement.

Enfin la sixième partie, correspond à l’internationalisation du blues alors même qu’il était en déclin et allait disparaître. Ce sont deux disques de 1954 qui vont contribuer à son renouveau. That’s all right mama d’Elvis Presley et Hoochy koochy man de Muddy Waters, composé avec Willy Dixon. C’est Muddy Waters le bluesman de Chicago qui incarne cette dernière époque.

Avec érudition et des arguments étayés raccrochés au film, Jean-Claude Legros nous apporte beaucoup de détails et de connaissances rares. C’est aussi avec sa conviction, sa verve d’orateur et son énergie qu’il rend vivante sa démonstration. Ses peintures sont des illustrations, dont le style figuratif proche des affiches, étayent très clairement ses propos.

 

Après cette conférence, la soirée n’est pas finie car nous poursuivons avec un concert de blues du groupe Blowin’ in the blues des frères Gamaz. Ils viennent directement des “Etats-Unis” nous confiera Jean-Claude Legros en les présentant. Pas des Etats-Unis d’Amérique mais du quartier de Lyon 8e, indiquera avec humour le conférencier lui aussi lyonnais. Nous les connaissons bien pour les voir régulièrement dans la région et particulièrement au festival Jazz sur les Places. En formule trio, les deux guitaristes également chanteurs et un harmoniciste nous interprètent un blues acoustique énergique. Hassen Gamaz nous précisera après le concert qu’il aime le folk -blues et ne se reconnait pas dans les évolutions suivantes.

Sur de nombreux standards, les frères guitaristes Hassen et Neidjib Gamaz alternent les chants. Tandis que l’un prend les solos, l’autres l’accompagne et inversement. Antoine Perez les seconde à l’harmonica, soit en prenant un solo sur la mélodie du thème, soit en soulignant la mélodie jouée à la guitare. Hassen Gamaz commente les thèmes joués et fait le lien avec la conférence et le film. Le trio s’exprime dans différents modes musicaux, nous entendons du blues mais aussi du rythm’ and blues et de la soul. Quel que soit le genre musical, l’esprit du blues est toujours présent. Nous écoutons des standards de l’origine du blues avec Big Bill Broonzy, de Bo Diddley et le Nobody Knows you de Bessie Smith repris plus tard par Eric Clapton et Janis Joplin. Les frères Gamaz interprètent en duo I shall be released de Bob Dylan, sur lequel ils démontrent la complexité du mélange des rythmes binaires et ternaires. Nous écouterons également So much trouble de Sonny Terry & Brownie Mc Gee, Sitting on the dock of the bay d’Otis Redding. Le concert s’achève de manière dynamique et festive sur deux classiques, Sweet home Chicago et Honky Tonk Woman des Rolling Stones, qui comme chacun sait est un grand groupe de blues et de R&B !

 

Pour cette soirée blues, c’est un plaisir d’avoir eu un lien continu entre l’illustration des images du film, des propos de la conférence et des notes des musiciens. Le blues est à l’honneur sous toutes ses formes et nous sommes immergés dans cette culture pour notre plus grand plaisir. Comme l’a défini Jean-Claude Legros, nous avons eu sans aucun doute des mélodies qui ont fait bougé notre corps, tapé du pied voir dansé pour certains vers la fin de la soirée. Et nous avons eu un langage qui vient du cœur et a parlé directement à notre compréhension intuitive. L’essentiel est bien l’émotion dégagée par le blues.

Ont collaboré à cette chronique :