Dodelinements et chaloupés
Depuis la parution fin janvier de leur second album “Lanmou Lanmou” (voir chro ici) on avait hâte de découvrir le combo lyonnais sur une scène et cette première partie devant près de sept cents personnes en était une belle occasion, même si le set était réduit à quarante cinq minutes. Suffisant pour envoyer huit titres qui, passé une élégante intro instrumentale smooth-jazz avec le sax central du viennois David Kiledjian -brillant musicien multi-instrumentiste, compositeur et producteur-, rentre d’emblée dans le vif du sujet avec l’arrivée de la chanteuse d’origine martiniquaise Olivya sur Mama Wé. L’entêtant gimmick de Simé Love qui nous enjoint à la fraternité nous berce de son groove afro avant l’irrésistible et tubesque Somebody New, un reggae-dub funky porté par la voix chaleureuse et lorgnant vers le hip-hop du percussionniste stéphanois (mais aussi saxophoniste lui aussi) Raphaël Philibert, par ailleurs chantre du gwo ka, la fameuse musique tambourinaire de la Guadeloupe. Avec son physique qui peut rappeler Gim’s, ses vocaux sous effet ne tardent pas à vite ambiancer la salle tandis que le sax ténor de David délivre un superbe chorus au son profondément chaud et enveloppant. C’est là que Raphaël s’empare à son tour du sien pour un face à face cuivré où cette fois il nous fait plutôt penser à Manu Dibango.
Le créole qui harmonise les métissages
Le créole se mêle à l’afrobeat pour le chant de résistance de Tan Nou, rappelant que Dowdelin -qui use d’un savant mix des langues créoles avec le français et l’anglais- délivre sur le fond à la fois des messages d’amour mais aussi de combat, de fraternité mais aussi d’une mémoire en héritage.
Tout est judicieusement monté et carré, et ça sonne naturellement comme sur le titre éponyme Lanmou Lanmou où voix et percussions s’harmonisent parfaitement. La fosse qui s’est copieusement garnie au fil du set se laisse griser par l’énergie ambiante, notamment lors d’un duo-duel sur Péké Viré qui suit, entre les percussions de Raphaël et la batterie du rythmicien Gregory Boudras (dont c’est ce soir l’anniversaire…) qui nous a déjà habitué précédemment à une belle complicité avec David Kiledjian au sein de Vaudou Game, Fowatile ou encore dans The Bongo Hop. On n’aura pas vu le temps défiler alors qu’arrive la fin de la prestation sur I Like to move It au chant saccadé et au rythme electro-afro très dansant, où la encore l’impressionnant multi-instrumentiste David mêle le son majestueux de son sax à celui d’un Fender Rhodes samplé en séquence sur son clavier maître.
Pas de doute, ça dodeline grave avec ce bouillonnant quartet à la fois virtuose et sensuel qui n’a pas son pareil pour marier langue créole et beat caribéen avec les musiques urbaines et le jazz contemporain. Ceux qui n’ont pas encore eu le bonheur de s’y frotter pourront toujours découvrir Dowdelin qui sera partout cet été lors des festivals de Jazz à Vienne, au CosmoJazz puis à Woodstower. Carton en vue!
Le chaud show de Kokoroko
Après ce Cocorico pour nos musiciens régionaux de Dowdelin qui sont nos derniers rois du métissage, place au Kokoroko de Londres, collectif de huit musiciens qui depuis quelques années fait partie de cette fameuse nouvelle scène anglaise, hybride et multiculturelle à l’image de la capitale britannique. Avec des artistes comme Shabaka Hutchkings, Nubya Garcia ou les Nubyian Twist, ce renouveau sonore et ethnique, toujours très porté par les cuivres, passe immanquablement par Kokoroko et sa fusion jazz-afrobeat, livrée dans un esprit soul imparablement groovy. Surtout, l’octet «black only» emmené par la trompettiste Sheila Maurice-Grey aligne un sévère line-up particulièrement original , puisqu’une fois en place les cinq mâles qui tiennent la rythmique de ouf à l’arrière, les trois chanteuses qui viennent prendre toute la front line forment aussi, et avant tout, la démente section cuivres «girls only» du band.
Impressionnant, tout comme le son qui va jaillir au travers des plantes vertes et tropicales disséminées partout sur la scène, fleurs autour des pieds de micros, formant un luxuriant jardin d’ Eden baigné de lumières tamisées. D’emblée, les trois ladys envoient du lourd, alternant chant et soufflerie… soufflantes dans une époustouflante fusion d’afro-jazz rock et d’electro-soul. La maîtresse de maison drive le gang trompette en mains au centre de la scène portée par un gros son grave de basse d’un côté et des percussions frénétiques de l’autre, boulevard au premier des nombreux et sidérants chorus que va lâcher au fil du set la petite demoiselle qui tient le sax (désolé, impossible de trouver son nom…, mais à retenir!) dans des solos au timing interminable -en apnée peut-être?- avec une aisance tranquille et déconcertante, là où la plupart de ses homologues masculins tels un Maceo Parker auraient déjà versé quelques litres de sueur…
Groove et planeries seventies
Sur un groove métronomique enrobé de nappes de synthés rétro-futuristes, tout roule puissamment quand c’est au tour cette fois à la tromboniste de partir en vrilles (d)étonnantes de technicité. L’intro du second titre reste dans cette ambiance space et très cuivrée, cool et planante au son d’un piano électrique élégant et chargé en reverb’. Une belle ballade classieuse et très atmosphérique, ponctuée là encore par un énorme chorus de sax. Plus frais, voilà une cover de Best in Paris au groove sensuel où alternent pour un même refrain voix et cuivres, dans un esprit qui sonne bien générique des seventies. Aussi luxuriant que le décor, le répertoire continue de nous embarquer sans relâche, ici au son d’une fanfare d’Amérique latine, là dans l’ambiance brésilienne d’une fête à Rio avec toujours un montage de jazz vocal merveilleux tandis qu’à l’arrière la rythmique dérive vers une batucada.
Même dans de super thèmes plus electro, leur soul funky nous ramène régulièrement vers les sonorités des années 70, comme nous le rappelle ce chorus de synthé avec son jeu de mollette et le son d’un Clavinet.
Gang de grosses pointures
Si ça pulse toujours avec Kokoroko et sa rythmique inépuisable, c’est aussi par la force d’un batteur très puissant mais qui joue avec une aisance et une finesse millimétrée. On aura compris que tous sont de très grosses pointures, comme l’est encore pour finir le guitariste, qui manie son vibrato et sa wah-wah avec une dextérité qui semble un amusement. «Have you feeling?» nous demande la leader quand vrombit un titre afrobeat où une ultime fois la saxophoniste va nous terrasser avec son phrasé de dingue, avant que chacun se lâche dans un feu d’artifices total. Percussions en folie, descente de basse vertigineuse, guitare ensorceleuse dont les cordes pincées nous téléportent au fond du Mali, la transe hypnotique agit en profondeur sur une foule en délire. «Follow me…» continue encore la reine du sabbat, pour ce qui doit être le dernier titre de ce show ultra chaud (en plus du thermomètre!), un Body & Soul lardé de riffs de guitare sous effets, comme les synthés aux longs delays qui étire ce space funk dans l’ambiance typique d’une bonne grosse party.
Malgré une heure trente de sauna collectif dans la béatitude d’une musique jouissive, difficile d ‘en rester là quand tout est chaud bouillant et que ça danse à tout va. Généreusement partageurs, les Kokoroko nous offriront encore deux longs bonus en rappel, pour un dernier quart d’heure où rutileront encore ces cuivres tant astiqués, dans la soul sensuelle de Something go in on pour se quitter avec douceur. My God, quelle soirée de good vibrations !