(38) IsèreChronique de filmJazz à Vienne

02/07/2022 – Dhafer Youssef au Théâtre Antique

Digital Africa

 

Pour ce nouveau projet de Dhafer Youssef on retrouve son complice, depuis le projet Digital Prophecy en 2003, Eivind Aarset, guitariste tendance nu jazz, il utilise une palette électronique reconnaissable qui se lie si bien avec la musique et la voix de Dhafer Youssef, cette voix exceptionnelle qui lui permet de chanter de l’extrême grave au suraigu.

Pour ce projet, Dhafer Youssef a privilégié la formation en quartet avec le percussionniste Adriano Dos Santos et pour ouvrir sa musique sur la musique africaine comme l’indique l’intitulé du projet, Digital Africa, il a fait appel au koraïste malien Ballaké Sissoko que l’on connaît bien ici notamment pour un superbe projet avec le celliste Vincent Segal.

Dhafer Youssef s’il est un musicien exceptionnel, un chanteur envoûtant et un compositeur génial est aussi passé maître dans l’assemblage des sonorités et des talents pour obtenir des résultats toujours surprenants et attachants.

Cela commence comme une cérémonie, une longue introduction du oud, puis la kora relaie, enfin la voix. Le silence se fait dans le public dès les premières notes, on est pris par l’atmosphère recueillie, ce n’est pas un recueillement au sens religieux, non, plutôt un état de concentration propre à nous permettre de sentir et entendre (comprendre) la belle qualité d’émotion qui s’instaure. Le second titre accentue encore l’état d’écoute qui a saisi le public. Le troisième titre rythmiquement un peu plus vif vient compléter cette trilogie introductive au monde musical de Dhafer Youssef et prépare la suite.

La suite c’est une série de thèmes mélodiques et rythmiques courts mais originaux, laissant une grande place à de larges plages d’improvisation qui occupent l’essentiel du temps musical de ce concert. La communication à l’intérieur du quartet est intense, à chaque prise de chorus, le leader se déplace vers le soliste et le pousse à jouer plus. Au deux tiers du concert une petite pause, pour annoncer que le thème suivant est dédié à Milton Nascimento et, réellement, au cours du morceau on perçoit la présence du vieux maître brésilien. Le voyage reprend, les sons électroniques de la guitare se mêlent admirablement au sonorités très pures de la kora et du oud, sonorités que les percussions d’Adriano Dos Santos colorent de teintes brésiliennes. On survole l’Afrique où se mêlent musiques orientales, musique des régions du Sahel, boucles et sons électro de la guitare d’Eivind Aarset.

A la fin du concert aux cris de frustration d’une partie du public, Dhafer Youssef répond très ému en exprimant toute son admiration pour Marcel Khalifé dont il connaît bien l’œuvre et depuis longtemps, bel hommage vibrant à l’un des maîtres de la musique orientale.

La qualité des échanges et des improvisations, la valeur intrinsèque de chacun des musiciens transcendés par le projet et par le groupe, toute cette alchimie, qui nous donne le sentiment d’assister à un évènement hors du commun, font que l’on s’interroge sur la possibilité de réduire un jour, tout ce talent en un album studio. Sur une heure quarante cinq de concert, il y a dix minutes de parole et une heure trente cinq de musique dont nous voudrions conserver l’ensemble en mémoire ; nous reste au cœur un sentiment d’ineffable.

Ont collaboré à cette chronique :