(38) IsèreChronique de filmJazz à Vienne

02/07/2022 – Marcel Khalifé & Bachar Mar-Khalifé au Théâtre Antique

Mahmoud, Marcel et moi est le projet que Bachar Mar-Khalifé a imaginé en hommage à son père Marcel Khalifé à travers la sublimation de la relation de celui-ci avec la poésie de Mahmoud Darwich (1941-2008).

Oudiste de renom et compositeur contemporain de musique arabe, Marcel Khalifé est également un chanteur dont beaucoup de chansons sont basées sur des poèmes du grand écrivain et poète arabe contemporain Mahmoud Darwich.

Bachar Mar-Khalifé pluri-instrumentiste (piano, percussions) et chanteur justifie la présence de ce projet sur la scène de Vienne par ses relations avec les musiques contemporaines et notamment le jazz. Le groupe compte également au nombre de ses musiciens : le violoncelliste libanais Sary Khalifé, le percussionniste chileño-turc Dogan Poyraz, le guitariste réunionnais Karim Attoumane et Jérôme Arrighi, est le contrebassiste et bassiste.

Dès le premier titre, Beirut qui évoque avec tendresse l’abord à la fois accueillant et dur avec les réfugiés de la capitale du Liban. On prend conscience de la qualité des arrangements de Bachar Mar-Khalifé, le choix des musiciens est parfait ainsi que les choix instrumentaux accordéon, guitare et violoncelle joué à la manière du violon dans la musique arabe, qui accompagne, double, souligne et supporte la voix du chanteur. Après la chanson Haïfa, Marcel Khalifé lit, en français, une présentation du spectacle, sous la forme d’une lettre adressée à son ami Mahmoud Darwich, un très beau chorus de violoncelle vient clore le propos. Puis il enchaîne avec Les Oiseaux de Galilée long poème de l’exil. Dans Peur de la lune le chanteur s’exprime sur un leitmotiv instrumental sur lequel le batteur brode entre les couplets, le pont est un solo de guitare, le violoncelle et la voix viennent clore le morceau. Puis sortent les musiciens pour laisser la place au père et au fils. Ils vont chanter ensemble, en chantant, chacun à leur tour, quelques versets du poème Joseph et Mon Dieu tiré du poème de Darwich “Je suis Joseph ô mon père.”*  Ces deux titres chantés par le père et le fils, le piano et le oud se répondant, sonnent un peu comme un passage de témoin, une transmission très émouvante de l’un à l’autre, chacun s’exprimant à tour de rôle dans son langage musical. Sur le premier des deux titres Bachar Mar-Khalifé utilise le piano qui tire la tradition du côté du jazz. Sur le second il se met au synthétiseur ce qui apporte une dimension nouvelle à l’arrangement, comme une modification d’éclairage de l’œuvre du poète et qui nous la rend plus proche. Le oud survole, s’envole, improvise, combine ses sonorités et ses notes avec la voix, le piano ou le synthétiseur.

Pour le titre suivant d’après L’Art d’aimer, les musiciens reviennent, mais avant d’aller s’installer à sa place, chacun vient dire une phrase ou deux du poème initial de Mahmoud Darwich, chacun dans sa ou ses langues en français, en espagnol, en turc, en arabe et en anglais. Le concert se termine avec Passeport.

Au rappel le chanteur commence Rita et une partie du public reprend avec lui le refrain, de même sur le second rappel Fil Bali, pas loin de nous, des spectateurs libanais extatiques communient avec le chanteur, en reprenant à l’unisson les refrains, les yeux brillants de larmes contenues ; au troisième rappel tout le monde est debout pour S’envolent les colombes, ce long chant d’amour et de paix dont Marcel Khalifé a su tirer la quintessence.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les musiciens ont un rôle majeur dans un tel concert, celui d’apporter la poésie au plus près de l’auditeur et d’en faciliter la perception. Et cela fonctionne, même peu familiarisé avec la langue on perçoit la poésie qui émane des textes, nous sommes touchés par la voix du chanteur, par les sonorités de la langue et par l’émotion des musiciens qui passe au travers de l’accompagnement et des plages d’improvisation que Bachar Mar-Khalifé a su leur ménager, sans nuire à l’ensemble, bien au contraire. Il n’est jamais facile d’allier musique et textes poétiques, pourtant ici l’homogénéité est manifeste, la musique instrumentale est valorisée, tout en étant au service de la poésie chantée qu’elle sublime.

*: C’est l’une des plus célèbres reprises de Marcel Khalifé et qui lui valut tant d’ennuis judiciaires avec un procureur vindicatif. Mais le chanteur a finalement eu gain de cause.

Ont collaboré à cette chronique :