(38) IsèreJazz à Vienne

12/07/2022 – Herbie Hancock au Théâtre Antique

Vous êtes venu écouter « The Chameleon » pour sa quinzième participation à Jazz à Vienne ce soir ? Même si vous venez l’écouter pour la première fois, vous avez bien fait ! En effet, c’est un des concerts attendus de cet été dans les festivals. Jazz Magazine titre en couverture de son supplément, Le guide des festivals 2022 : « La tournée du patron » avec une photo d’Herbie Hancock. Le 4 juillet dernier, le quotidien Libération lui consacre une interview intitulée Herbie Hancock : « Le jazz n’a jamais été aussi présent ». Il fait partie des légendes du jazz qui commencent à se raréfier. Cet été les légendes sont au nombre de deux à Vienne, lui et Georges Benson entendu hier soir. On ne va donc pas bouder notre plaisir, car c’est « The » concert. Imaginez un peu, notre pianiste de ce soir a quatre-vingt-deux ans dont soixante de carrière. Après son passage chez Donald Byrd, il rejoint le deuxième quintet historique de Miles Davis. Là il exprime pleinement son art de musicien avec ses partenaires et un patron, avec qui une osmose jamais égalée est atteinte entre ces cinq membres. Mais aussi son talent de compositeur qu’il partage avec un autre grand du jazz : Wayne Shorter. Il part ensuite vers de nouvelles frontières, celles du Hip-Hop, et celles du Jazz-rock avec les Headhunters ou Rockit. Avec un nombre impressionnant de succès, du Hard-Bop au style funky. Alors ce soir accrochez-vous aux gradins !

Et cela commence fort par un groove puissant sur une intro électro. Le vieux lion lance tout de suite sa jeune garde dans ce set. Terence Blanchard à la trompette se lance dans un solo puissant et précis. Cet excellent musicien et compositeur de nombreux thèmes et musiques de film est très présent ce soir. La basse de James Genus et la guitare de Lionel Loueke le suivent avec conviction sur un rythme assuré. Justin Tyson à la batterie donne du volume au morceau avec sa caisse claire et son charleston. Le patron se lance dans un dialogue avec son trompettiste. Il prend un premier solo et fait varier les rythmes sur les touches de son Fazioli avec aisance, comme lors d’une jam. Les dialogues tout en finesse se succèdent avec la basse à cinq cordes ou dans l’aigu avec la guitare.

Pour la suite, c’est la guitare qui introduit le morceau avec une mélodie accompagnée des onomatopées du musicien. Le guitariste se lance dans des effets de chants modifiés par la technologie. Le piano entame un solo qui est suivi par les cordes de la basse et de la guitare.

On passe à un hommage ensuite et pas des moindres. Le pianiste souhaite mettre à l’honneur son ami Wayne Shorter. C’est la trompette qui attaque le thème de Footprint, avec rapidement un échange avec le piano. Le dialogue est puissant entre les deux musiciens. Le moment est intense car on sent bien que les artistes prennent le temps de développer leur solo. On dirait que le temps est suspendu et maîtrisé à la fois. Le trompettiste est toujours aussi présent ce soir avec son phrasé puissant. Le guitariste souligne son jeu avec un solo lyrique et délicat. Le bassiste et le batteur ne s’imposent pas mais sont indispensables au soutien rythmique. Pour mémoire, le dernier passage ensemble de Herbie Hancock et Wayne Shorter à Jazz à Vienne pour un tribute à Miles Davis a eu lieu en 2011 au théâtre antique. Nous y étions (voir ici)

Le quintet monte en intensité avec Actual Proof, un titre de l’époque des Headhunters de 1974. La guitare et la basse démarrent sur le rythmique jazz-rock typique cette époque. Le leader suit aux claviers avec un solo. La trompette et la batterie sont aussi dans cette énergie d’improvisation jazz et de sonorités rock. Le bassiste fait chanter ses cinq cordes pour un solo très mélodieux et d’une grande finesse. Le retour au thème pour clôturer le morceau nous ramène à la structure du jazz.

C’est avec concentration et maîtrise que les musiciens poursuivent des dialogues et échanges de qualité sur Come running to me de 1978. Le guitariste nous propose un chant au vocoder et modifiant sa voix. C’est sur le morceau suivant qu’il démontre l’étendue de ses qualités vocales avec un chant d’origine africaine. Il partage le chant avec le leader qui le rejoint. Cette fois c’est le pianiste qui utilise le vocoder pour son chant. Le bassiste nous offre un deuxième solo tout en mélodie et en douceur. Les musiciens de haut niveau semblent transcendés par Herbie Hancock.

Le voyage musical nous amène vers un grand standard de 1964, Cantaloupe Island et son riff de piano funky. J’avoue que j’ai eu un doute sur le titre en pensant qu’il pouvait s’agir du standard de Hard-Bop Watermelon Man. J’ai demandé à quelques âmes expertes présentes ce soir qui avaient un doute également. En effet, ces deux standards sont proches dans le phrasé musical. C’est l’auteur qui lance sa composition que tous suivent au quart de tour. Le trompettiste s’empare du thème avec puissance comme à son habitude. Le guitariste donne une couleur rock à la reprise avec son solo. Le pianiste surfe avec aisance sur son thème. Ça envoie et ça virevolte, c’est la grande classe ! Nous avons droit ensuite, à un final dans le style de l’époque des Headhunters qui poursuit sur une impression dynamique. Sur les derniers morceau, Herbie Hancock vient jouer sur le devant de la scène du synthé en bandoulière [NdlR: AX Edge de Roland]. Il témoigne sa proximité avec le public et va même jusqu’à jouer en présentant le dessin exécuté par François Robin.

 

Les maîtres mots de cette soirée sont : concentration, maîtrise, intensité et écoute. Ce qu’ont pratiqué les artistes ce soir. Ce qui est remarquable, c’est l’humilité de ces immenses musiciens. Ils n’ont plus rien à prouver sinon de se faire plaisir et de nous faire plaisir. Herbie Hancock représente à la fois, l’histoire, le présent et l’avenir du jazz. Avec ce set dans un amphithéâtre romain nous avons atteint l’état que nomment les Grecs par l’Ataraxie. Signifiant « l’absence de troubles », il est défini comme la tranquillité ou encore la paix de l’âme. En un mot c’est le principe du bonheur. N’est-ce pas ce que nous venons de vivre ici et maintenant ?

 

Voir la chronique de François Robin

Ont collaboré à cette chronique :