(26) DrômeCrest Jazz Vocal

06/08/2022 – Rhoda Scott Lady All Stars au Crest Jazz

Le mois d’août est propice à l’observation des étoiles dans le ciel. Ce sera peut-être le cas ce soir dans le ciel de Crest au-dessus de la Tour. Mais c’est certain, ce sera vérifié sur la scène de l’espace Soubeyran avec le Lady All Stars de Rhoda Scott. Les étoiles de ce soir sont toutes féminines.

C’est toujours avec un petit pincement au cœur que l’on aborde le dernier concert de la dernière soirée du festival. Car cela fait déjà une semaine que l’on a des étoiles dans les yeux, mais il faut se quitter jusqu’à l’année prochaine. Cet ultime concert de l’édition 2022 est aussi l’ultime de la tournée du groupe de Rhoda Scott.

Malheureusement, les aficionados de jazz présents ce soir au concert, et j’en connais une belle brochette, déplorent que trois membres du groupe initial ne soient pas à Crest. En effet, Sophie Alour au saxophone ténor, Géraldine Laurent au saxophone alto et Anne Paceo à la batterie ne sont pas là ce soir. D’autant plus râlant qu’elles sont programmées ce même soir, dans d’autres festivals, au sein d’autres formations. Pour nos spécialistes c’est une tragédie car ils ne peuvent pas écouter leurs idoles (et pour certaines ce sont des amies) alors qu’elles sont pourtant bien annoncées ici. Ils les attendaient et ils se sentent trompés. Nos amis ne verront pas toutes leurs copines ! Est-ce que le producteur du concert profite du succès de ces dames qui sont surbookées dans les festivals de jazz cet été ? Avait-il prévenu à l’avance le festival de Crest de cette situation ? Le tourneur du Lady All Stars applique-t-il les mêmes pratiques que les compagnies aériennes qui font du surbooking ? On vend plus de dates qu’il n’y a de soirées pour les réaliser ! Cela apporte deux certitudes : 1-les musiciennes sont de talentueuses professionnelles qui sont très demandées par plusieurs formations et 2-le festival est suivi par de vrais connaisseurs passionnés. Même si la promesse n’est pas respectée pour nos spécialistes, pour les néophytes cela ne semble pas grave, car la qualité du concert sera excellente et ils n’y verront que du feu.

Surnommée « l’organiste aux pieds nus », Rhoda Scott joue du pédalier de l’orgue Hammond sans chaussures. Cette virtuose de quatre-vingt-quatre ans (depuis le 3 juillet) se fait plaisir avec son groupe féminin. Le public de Crest sait parfaitement qui il est venu voir ce soir car à l’arrivée sur scène de la musicienne, il lui fait une première ovation. Ce Lady All Stars sonne comme un Big Band avec sa section de cuivres composée de Lisa Cat-Berro au saxophone alto, de Céline Bonacina au saxophone baryton, de Jeanne Michard au saxophone ténor et d’Airelle Besson à la trompette. Ce gang de soufflantes donne tout de suite le ton des attaques à l’unisson des morceaux. La rythmique de ce All Stars, composée de l’organiste qui fait ronfler son orgue Hammond et de deux batteries, est tout à fait originale. Celle de Julie Saury et celle de la jeune Ananda Brandao. Les deux batteries apportent de la puissance et une variété de timbres lorsqu’elles jouent sur le même tempo. Les mélanges des sons de bords de caisse claire, « rimshots », et de frappes sur les cymbales charleston, « hit-hat », donnent une profondeur au jeu. Quand elles jouent sur un rythme décalé cela apporte une perspective différente au morceau.

Rhoda Scott, en leader bienveillante, présente chaque titre qui est une composition de ses musiciennes. En tant qu’ainée du groupe, elle présente aussi leurs projets ou leurs CD personnels. Ce groupe est une véritable machine à swing. Les titres mélangent l’inspiration du jazz des big bands côté cuivres et l’orgue donne une touche blues et gospel à l’ensemble. Une composition d’Airelle Besson sur laquelle la trompettiste prend un long et beau solo fait penser aux musiques de film des années 60’. Le tempo galope, l’orgue et la batterie de Julie Saury dialoguent sur la reprise du solo puis le passent à la section de cuivres pour un retour au thème. Sur une composition de Julie Saury Laissez-moi, l’introduction fait penser aux musiques de Michel Legrand et aux swings des chansons de Claude Nougaro. Le solo d’orgue est puissant et chaleureux. C’est le duo du saxophone baryton et du saxophone ténor qui fait swinguer le titre dans les graves. Anne Paceo, absente ce soir, n’est pas oubliée avec l’interprétation de l’un de ses titres composé spécialement pour cette formation. La jeune Ananda Brandao à la batterie se voit confier l’introduction qu’elle réalise en délicatesse aux mailloches pour exécuter un solo mélodique et délicat, qui est repris par la section. Jeanne Michard au saxophone ténor, poursuit le thème avec un solo puissant et élégant. Si nos amis fans de jazz regrettent l’absence des musiciennes prévues au line-up initial, ils apprécient avec conviction la découverte des deux jeunes musiciennes. Certains nous confient qu’ils ont déjà entendu la saxophoniste dans d’autres formations (voir ici), tandis que la jeune joueuse de batterie est une véritable découverte. Comme quoi, lorsque les titulaires sont absents et que les remplaçants quittent le banc de touche, ceux-ci sont prêt à tout donner pour faire leurs preuves ! Et ça fonctionne.

L’intensité du concert monte crescendo de morceau en morceau. Les solos sont de plus en plus puissants entre l’orgue et les saxophones. Rhoda Scott entame un dialogue avec les batteries qui font sonner leurs peaux et tinter leurs cymbales. Du côté des pupitres ça virevolte avec les solos. Lorsque la trompette entreprend une improvisation lyrique, les trois saxophonistes la rejoignent sur le thème pour la soutenir et propulser son solo. Les introductions de morceaux façon big band font claquer les cuivres, ça pulse, on se sent pousser et propulser par cette musique. On a également l’impression de s’envoler quand les quatre soufflantes reprennent un thème à l’unisson sur la rythmique solide et inébranlable de l’orgue et des deux batteries. Les sept Ladies nous laissent K.O. au terme de ce concert. Tout au long des morceaux, Rhoda Scott porte un sourire de plaisir lorsqu’elle joue et surtout quand elle observe ses jeunes partenaires musicales. Son œil pétille d’attention et de bienveillance qu’elle porte à ses jeunes protégées.

Le salut final se fait sous une standing ovation très méritée. Ces dames reviennent vite pour un dernier titre en cadeau. L’organiste fait vrombir son orgue avec des airs de Gospel et de blues tinté de rock. Mais oui, on reconnait tout de suite que Rhoda Scott nous offre en rappel What I say du Genius. Ray Charles, qui savait également parfaitement faire swinguer son orgue était passé sur cette même scène. Le public s’empare du devant de la scène, tout le monde se lève et danse. Julie Saury fait chanter le refrain au public qui est conquis et s’en donne à cœur joie. L’organiste calme le jeu et prend la parole pour lancer avec humour : « C’est un peu mou ! ». Eclats de rire, et c’est reparti pour une relance du chorus de plus belle. C’est un final de festival comme on les aime à Crest, dans la fête et la communion. Ce sont des étoiles plein la tête que nous emportons ce soir jusqu’à la prochaine édition.

Ont collaboré à cette chronique :