Les concerts de Parfum de jazz se déplacent vers le Tricastin pour la deuxième semaine du festival. Le dernier week-end a lieu à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Cette année nous ne profiterons pas du charme de la Place Castellane dans le centre ancien avec un concert en plein air devant la façade illuminée de la mairie. Nous ne verrons pas la nuit tomber de plus en plus tôt qui annonce doucement la fin de l’été. Cette petite déception est vite surmontée avec l’accueil du concert dans la salle de concert de L’Espace de la gare. La salle est récente et confortable ; et surtout l’acoustique est de grande qualité. Ajoutons à cela une prise de son excellente, c’est le bonheur pour nos oreilles ! Je suis de plus en plus convaincu qu’il faut choisir les petits festivals avec des concerts à taille humaine pour retrouver une qualité de son irréprochable pour le direct.
Cette soirée s’annonce sous le signe des trio jazz classiques : piano, contrebasse et batterie. “The art of the trio”, n’est pas mort ! Et comme le fil conducteur ou la marque de fabrique de Parfum de jazz est la mise en avant des musiciennes, ce sont les patronnes qui dirigent leurs trios respectifs depuis les quatre-vingt touches noires et blanches de leurs claviers. L’excellent premier set a été consacré à un hommage de Bill Evans par le trio de Lorraine Desmarais. Cette belle réinterprétation du maître nous a permis de nous mettre dans une ambiance méditative, introspective et spirituelle.
Nous poursuivons avec le deuxième set consacré au trio de Macha Gharibian. Ce concert est tout aussi spirituel mais d’une autre manière. La pianiste et chanteuse nous est présentée avec ses différences influences. Ses origines arméniennes, son apprentissage et son travail aux Etats-Unis et sa vie actuelle à Paris. La musicienne choisit de commencer au piano avec l’influence de ses origines arméniennes empreintes de mélodies orientales. Chris Jennings, à la contrebasse suit cette mélodie en pizzicato en mélangeant le pincement et le frottement des cordes comme sur une guitare. Patrick Goraguer à la batterie remplace au pied levé et avec beaucoup de talent Dre Pallemaerts initialement prévu. Cela devient une habitude le changement de line-up. Il apporte beaucoup de légèreté en frappant délicatement sa caisse claire et en faisant largement usage de ses cymbales. La pianiste alterne et mélange le jeu sur le piano et sur un orgue qui donne une coloration planante et moderne au morceau. Pour un autre morceau, la main droite adopte un jeu oriental puis revient à un jeu plus classique. Sur un autre titre également d’influence orientale, elle chante une chanson arménienne venant de son père (Dan). Le contrebassiste introduit le morceau à l’archet et on a la belle impression d’entendre les sonorités du doudouk. Cette magnifique flûte arménienne originaire du Caucase, dont le son est proche du hautbois. Elle est très difficile à maîtriser, si bien que les flutistes sont appelés Maîtres en Arménie. L’archet retranscrit la mélancolie et la profondeur de ce son. La chanteuse ajoute de la profondeur et de la spiritualité avec la langue arménienne et sa voix. Le batteur commence son accompagnement aux mailloches sur les fûts avant de poursuivre tout en finesse sur les cymbales avec les baguettes qui ajoutent une touche d’orientalisme. On se prend à visualiser la puissance et la sérénité du paysage de montagne de l’Arménie. Sur un autre morceau, les onomatopées de la chanteuse expriment le caractère oriental du thème.
Pour ses influences américaines, la musicienne nous propose un chant devant la scène sans s’accompagner au piano. La contrebasse et la batterie l’accompagne en douceur. La rythmique est jouée comme des percussions avec les mains directement sur les peaux des tambours. La voix est douce et précise, toute en maîtrise. Le registre se poursuit en anglais avec la reprise de 50 ways to leave your lover de Paul Simon. L’interprétation est toute personnelle avec un jeu rapide et intense des trois musiciens sur le chorus et une reprise calme sur le refrain qui donne beaucoup de relief à la voix.
La langue française n’est pas oubliée sur une chanson composée et écrite durant le premier confinement. Elle relate l’isolement, la solitude inédite de la situation et l’attente d’une présence. La délicatesse de la voix est présente dans le vibrato qui semble plus présent dans cette langue.
La musicienne nous gratifie d’un rappel avec une chanson d’amour en arménien en solo au piano. La chanson est mélancolique mais parle d’amour donc d’espoir. Avec ce final, le chant est profond, sensible et le solo de piano délicat. On termine sur une sensation de légèreté et de plénitude.
Plusieurs titres de la set-list sont issus de son dernier album “Joy Ascension”. Comme Georgian Mood ou Fight et la reprise 50 ways to leave your lover. Ainsi que des morceaux traditionnels arméniens réarrangés par la pianiste.
La musicienne et ses excellents partenaires, nous font partager la spiritualité de ses influences. Elle réalise un syncrétisme de ses origines, de ses chants à travers trois langues parfaitement maitrisées et de ses musiques qui mêlent tradition classique, tradition orientale et tradition de l’improvisation. La réussite est l’aboutissement d’une fusion qui nous mène droit à l’émotion.