Vous connaissez l’urgence ? Non, pas la série avec George en blouse blanche… L’Urgence.
Et bien c’est tout simplement ce sentiment qui me prend aux tripes quand j’entends les notes mancuniennes de Gogo Penguin. Toute la légèreté du monde dans une course effrénée vers… vers quoi d’ailleurs ? C’est bien là la question. Chaque note cours après l’autre dans un marathon de poésie. C’est un relais, une course d’équipe. Pas question de laisser tomber l’autre : on s’entraide, on s’encourage, on se pousse et on se relève. Ce que me murmure le trio aux oreilles ? Que la vie est une course, qu’on s’essouffle parfois mais qu’on se dépasse aussi. S’il y a des limites, c’est pour mieux les repousser.
Croches, triolets. Break. Double croche, blanche. Une pause, un soupir. Et ça repart… C’est une valse, une transe, un requiem. C’est bourré de codes et -presque- de clichés mais « y a pas… » c’est frais ! Et à en juger par l’audience dans la salle (voguant allègrement vers la trentaine, toute moustache à l’air) : surtout, ça parle. Ce doux mélange sucré-salé aux airs exotiques et pourtant résolument tradi. Je m’explique : Gogo Penguin joue de la musique avant-gardiste qu’ils ont empruntée à des vieux pour donner aux moyennement jeunes un sentiment de mélancolie envers une époque post-jazz révolue alors qu’elle n’a même pas eu le temps d’exister. C’est une course, je vous dis !
L’Urgence de savourer les choses telles qu’elles sont. L’Urgence de sortir du temps tel qu’on le connait pour savourer chaque note tant qu’elle résonne, avant d’être remplacée par une autre tout aussi belle et que l’on est en droit d’aimer tout autant.
La musique de Gogo Penguin est extensible. Sensible. Elle est aussi douce qu’elle nous hérisse le poil. Pour ma part, j’ai toujours autant de frissons à les écouter jouer, mais je crois que c’est dans les silences que j’en entends le plus. Pendant ces pauses délicates qui me rappellent qu’il faut prendre le temps de respirer. Encore. Parce que tout s’enchaine, tout va si vite. Parce que je cours après chaque note qu’ils se renvoient les uns les autres comme dans un set Nadal – Djoko, avec Federer en arbitre. Dans cette partie, c’est Jon l’arbitre (le nouveau gardien du rythme qui remplace Rob Turner depuis l’année dernière) et incontestablement, le beau blondinet a su apporter sa touche tout en gardant l’âme des manchots. Ces cassures vibrantes qui nous rappellent sans cesse qu’après une chute, on se relève. C’est cette impression d’avoir un socle bancal pour une musique pourtant si forte. Forte dans ce qu’elle dégage, dans sa puissance, dans l’élan avec lequel elle nous entraine. Mais il s’agit d’une musique délicate. Qu’il faut manipuler avec soin, comme un gemme précieux.
Et le temps passe, en suspend. C’est un jeu pour ces trois-là, qui ont bien compris qu’il ne servait à rien de mentir. Que la vérité c’est qu’on est tous un peu fragile, mais qu’il faut beaucoup de notes pour faire une partition.
Alors ils ne badinent pas : Go-go ! On y va les gars ! Sur scène, ils sont dans leur bulle, rien ne les atteint. Ils jouent coûte que coûte car c’est l’inertie qui nous tient tous. Si, on s’arrête de pédaler, on tombe. Alors on joue. On joue des notes comme des larmes et des silences comme des rires éclatants. Parce qu’il faut de tout pour faire une mélodie. Et c’est dans la lumière que la couleur se dévoile. Un silence pour mieux entendre l’écho d’une croche passée. Ils se passent les notes dans une danse endiablée, sans jamais faire tomber la clef au sol. C’est une course relais… Une victoire en équipe.
Chris Illingworth: claviers ; Nick Blacka: contrebasse ; Jon Scott: batterie
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