Des univers rêvés
Le 3 mars dernier, le Noé Clerc Trio a investi la scène du Solar pour une soirée ouverte en grand sur l’intime et l’ailleurs. Nous avons rencontré le jeune compositeur et accordéoniste, né en 1996, quelques instants avant le concert.
Gilette Duroure : Dans ce trio, vous êtes accompagné par Clément Daldosso à la contrebasse et Elie Martin-Charrière à la batterie et aux percussions. Vous vous êtes rencontrés au CNSM de Paris ?
Noé Clerc : Oui, c’était il y a cinq-six ans, nous y étions tous trois étudiants. Moi, j’étais plutôt classique, eux plutôt jazz mais ça a bien marché. Nous avons créé le trio en 2018, à la suite d’un ciné-concert donné pour un événement occasionnel.
GD : Depuis, vous avez remporté plusieurs prix et publié un premier album, « Secret Place », paru en 2021 sous le label NoMad Music. Le titre en lui-même est révélateur d’une atmosphère singulière ?
NC : C’est un univers très particulier, quelque chose de très contemplatif qui évoque le voyage, avec un côté aussi cinématographique, comme une musique descriptive. Le but est d’emmener les gens dans un jardin secret, un endroit fragile vers un imaginaire commun.
GD : Sur votre opus, vous avez aussi invité le violoncelliste Vincent Segal et le oudiste Habib Sheahdeh Hanna…
NC : Ce sont de belles rencontres. Par exemple, celle avec Vincent Segal lors d’une master class dans le cadre verdoyant de l’Académie musicale de Villecroze pendant deux semaines.
GD : Pourquoi ce choix d’un triangle accordéon/contrebasse/batterie? En fait, pourquoi avez-vous fait le choix de l’accordéon?
NC : C’est un instrument que j’ai commencé très jeune. J’en ai eu un comme jouet à trois ans et on m’a dit que j’avais adoré ! Pour moi, l’accordéon c’est comme un violoncelle, avec plein de couleurs qui s’en rapprochent, ça m’évoque des vents, des souffles. C’est ça, un souffle, le passage d’un archet… C’est quelque chose de très organique que j’ai eu envie de partager avec les autres.
GD : Ce partage passe aussi par votre sélection au dispositif Jazz Migration. C’est d’ailleurs dans ce cadre que vous jouez ce soir au Solar ?
NC : Oui. Après avoir remporté différents concours, comme Jazz à Saint-Germain des Prés en 2019, nous avons été lauréat de ce dispositif (ndlr: porté l’Association Jazzé Croisé, ex AFIJMA, qui permet des outils de professionnalisation pour les musiciens de jazz). Il y a deux ans de formation qui se déroulent sur douze week-ends pendant l’année. Avec le trio, nous sommes en deuxième année et c’est très varié, du « sur mesure »! Dans ce cadre, on fait donc une belle tournée. On va aussi aller en Auvergne et à Roanne.
GD : Vos compositions sont le fruit de multiples influences. D’où vous vient notamment votre penchant pour les musiques de l’Arménie, de la mer Noire ?
NC : Ma mère est originaire d’Arménie, c’est sans doute aussi pour ça que j’ai choisi l’accordéon.
J’ai dans la tête des musiques traditionnelles de ces régions, et une affection pour elles.
GD : Avez-vous d’autres albums en projet ?
NC : Oui, le prochain devrait paraître fin mai.
GD : Wayne Shorter, le légendaire saxophoniste et compositeur, vient de nous quitter. Il disait en 2013: « Pour moi, le jazz veut dire « Je te lance un défi ». Pour vous, c’est quoi, le jazz ?
NC : Il y a des choses qui me séduisent et qui m’ennuient dans le jazz. En tout cas, pour moi, c’est la liberté d’aller où on veut, de mélanger les influences. Je vois le jazz comme un cadre qui donne la possibilité de tout se permettre.
C’est dans la continuité de cette liberté que le trio s’est alors installé sur scène, sculptant peu à peu une matière sonore exigeante, simple et belle. Souvent, l’accordéon a commencé, seul, à étirer ses courbes fluides. Très vite, l’intrigue s’est nouée à trois, en un jeu de questions-réponses format océan de sons et rives, au loin. La conversation, commencée comme une confidence, s’est vite transformée en dialogues rivalisant de syncopes et d’unisson. Parfois, ça poussait fort, cavalcades de mesures pour Noé Clerc et déploiement tentaculaire de rythmes pour Elie Martin-Charrière, fine touche. Parfois, des émotions captives, un espace rétréci, l’intériorité qui se vit.
Tout semblait lié, paysages intérieurs et ailleurs rassemblés, steppes et steps en écho. Et, au cœur, la contrebasse de Clément Daldosso soutenait l’ensemble, douce, solide, maternelle presque. Le public s’est facilement laissé conquérir par le voyage, au fil de titres comme Premières pluies, évoquant “des montagnes qui changent de couleur à chaque moment de la journée”, comme Variations, un morceau “inspiré par un voyage en Israël et une musique arabe”, ou encore comme La Mystérieuse, une valse-musette de Jo Privat, réarrangée pour que “l’on puisse s’en réapproprier la belle mélodie”.
Une belle découverte que ce trio!