Samâ tchist ? (Qu’est-ce que la musique ?)
C’est un message envoyé par les messagers du cœur
C’est une lettre qui redonne sérénité aux cœurs tourmentés
C’est une douce brise qui fait éclore les bourgeons de la sagesse
C’est un plectre qui joue sur les cordes et ouvre les portes vers l’Etre véritable
Aucun mot ne peut décrire la forme invisible de la beauté
Tu aurais besoin de milliers d’yeux illuminés
C’est cela, la musique
Il y a quelques années, Renaud Garcia-Fons avait composé et interprété une musique pour accompagner la lecture de ce poème de Djalâ ad-Dîn Rûmî, poète, théologien et mystique persan du 13ème siècle.
Ces quelques mots me sont revenus à l’esprit car c’est bien d’âmes qu’il s’agit ce soir. En assistant à ce concert solo, nous avons eu le privilège d’assister aux prémices d’une histoire d’amour entre Renaud Garcia-Fons et sa nouvelle contrebasse sortie des mains de Jean Auray il y a seulement quelques semaines, et présentée pour la première fois au public. Bien sûr, l’apprentissage réciproque a commencé au cours de déjà nombreuses séances de travail. L’artiste explore les réactions de son instrument, découvre la manière de le solliciter pour exprimer sa musique, entrevoit les potentialités de cette contrebasse spécialement réalisée pour lui, autant de portes ouvertes à sa créativité. Et l’instrument se fait aux vibrations, à la caresse des doigts et de l’archet sur ses cordes, leur donne vie, fait résonner son âme avec celle de son maître.
En prélude, le concert démarre par une partie en spiccato ardent et lumineux qui chauffe les cordes à point pour la première note de Marcevol. Ah cette première note ! Droite et franche, elle s’étire, prend de l’ampleur avant de laisser la place à la mélodie qui capte immédiatement tout l’auditoire. Après la Catalogne, la Galice est mise à l’honneur avec Hacia Compostela, qui fait appel à toute la tessiture de la contrebasse, de la note la plus grave à l’harmonique le plus aigu. Avec Bajo de Guia, l’instrument prend des airs de guitare de flamenco ; basses profondes, accords véloces et salves de notes en pizzicato se suivent sur le rythme de la buleria, alternance caractéristique de mesures ternaires et binaires ponctuée au pied sur une plaque de résonnance. La mélodie envoûtante de Palermo Notturno succède à la danse andalouse et va bientôt se muer en éruption volcanique : la terre gronde, les notes s’envolent par gerbes, pour finalement disparaître au profit d’une phase rythmique pure de percussions sur la caisse de la contrebasse.
Le voyage s’éloigne ensuite de la Méditerranée pour une incursion aux confins de l’Iran et du Kurdistan avec Voyage à Jeyhounabad, composition où le tapping de la main gauche répond au spiccato de l’archet, puis les cordes entament une mélopée aux sonorités ressemblant à s’y méprendre à la voix humaine de chants orientaux. Une petite descente chromatique en harmoniques sur deux cordes lance une danse de derviche pour conclure le morceau.
Inanga évoque l’instrument ainsi nommé au Burundi où il accompagne les chants sacrés ; le son en est imité en intercalant une feuille de papier pelure entre les cordes de la contrebasse, qui embrasse allègrement le rythme africain et s’enhardit au moyen d’un octaveur vers des pérégrinations sonores surprenantes. Renaud Garcia-Fons en profite pour préciser que tous les sons qui sortent de son looper sont issus d’une contrebasse.
Parti de la Bretagne, Far Ballad dérive vers l’Ouest pour un blues dans la plus pure tradition des bords du Mississippi, avec des sons inédits sur la contrebasse, harmoniques glissés débutant dans les graves qui en ont étonné plus d’un dans la salle.
Pilgrim est un véritable spectacle de danse irlandaise sur la touche de la contrebasse. On s’attendrait presque à voir les doigts faire des entrechats !
Kurdish Mood et son tempo croissant clôturent le set.
En premier rappel, Villa des Arts fait référence à un immeuble parisien, paradis d’artistes où Pierre Garcia-Fons allait peindre. C’est aussi l’occasion d’une escapade parisienne, avec quelques emprunts à l’album La Vie devant Soi.
Devant l’insistance du public, Django Reinhard finit de nous propulser dans les Nuages.
De l’avis de Renaud Garcia-Fons, l’épreuve du premier concert avec sa nouvelle contrebasse est pleine de promesses, en témoigne son regard attendri tandis qu’il la remerciait, même s’il reste encore du chemin à parcourir pour arriver à la parfaite fusion de leurs âmes. Mais ce chemin a-t-il une fin, d’ailleurs ?