Passage Henry Wu…
L’Epicerie Moderne continue de creuser le filon de la nouvelle scène londonienne avec le pianiste-claviériste et producteur Kamaal Williams, – Henry Wu à l’état civil et sous sa casquette de DJ -, présenté ce soir en trio. Mais contrairement à ses prédécesseurs, cette figure des dance-floors britanniques n’a pas déplacé les foules, même si le rendez-vous était plutôt sympa, malgré une musique assez convenue et bien moins novatrice qu’on aurait pu l’attendre. Reste la découverte d’un formidable batteur, maître de la jungle et du broken beat, Dougal Taylor.
Kokoroko puis Ezra Collective dernièrement, Kamaal Williams -alias Henry Wu- aujourd’hui, l’ Epicerie Moderne à Feyzin est décidément devenue LA scène en pointe du new jazz, tout du moins celle -voire la seule- à nous programmer petit à petit, et pour notre plus grand plaisir, tout ce que la fameuse nouvelle scène londonienne produit de plus novateur en matière de mix musical, et donc de plus branché pour les amateurs de clubbing.
Né à Londres mais d’origine taïwanaise, Kamaal Williams est un pianiste-claviériste également producteur qui, en parallèle, garde son vrai nom d’Henry Wu quand il enfile sa casquette de DJ electro. Mais en tant que grand musicien désormais parmi les figures les plus adulées des dance-floors britanniques, il doit sa notoriété au duo formé en 2016 avec le batteur Yussef Dayes et leur album «Black Focus» paru sous l’égide du pape Gilles Peterson et de son label. Après Shabaka Hutchings ou Ezra , ils produisent un mix de jazz-funk période Herbie Hancock, de broken beat et d’electro, dans une ambiance garage agrémentée de sons urbains. Un succès, mais un one-shot éphémère puisque c’est en solo que Kamaal Williams va poursuivre, d’abord avec «The Return», puis «Wu Hen» en 2020, deux albums qui confirment sa propre stature sur ce créneau très actuel.
Public clairsemé
Avec son nouvel EP «Magnolia», il est en tournée française et, au lendemain de Montpellier, faisait étape lyonnaise vendredi à L’Epicerie Moderne où, très curieusement -alors que les groupes précités avaient connus un gros buzz et blindé la salle avec plus de sept cents personnes- le public était bien clairsemé avec seulement cent cinquante spectateurs. Cela dit à l’heure où j’écris ces lignes, j’apprends qu’il n’y a que quatre-vingt réservations pour ce samedi soir à La Rochelle…
Ce qui n’a pas empêché les présents et visiblement fans de se mettre en jambes dès le petit warm-up assuré aux platines par le lyonnais Madijuwon. Puis c’est par une longue digression de piano et de cymbales que le trio de Kamaal entame son set, installant progressivement son ambiance atmosphérique plombée par la rondeur répétitive du synthé basse tenu par le jeune stambouliote Cenk Essen. Sur son Fender Rhodes, le pianiste est en phase de R&D, tatillonnant longuement, à l’instar d’un Zawinul, sur son clavier qu’il finit par attaquer d’un doigté en piqué dans un jeu très percussif. Il fera de même en passant au synthé Nord sur cet electro-jazz où d’emblée c’est l’énorme travail rythmique développé avec une vélocité sans pareille par Dougal Taylor (batteur de Vels Trio) qui impressionne. Un énorme drumming qui continue sur le morceau qui suit, entre deep house et broken beat où le face à face entre Clavinet et batterie semble être une partie de ping-pong. Le rythme est donné et monte encore en puissance avec le titre du nouvel album, Magnolia, enregistré dernièrement à Los Angeles, tout en fulgurances alternées de break planant en contraste. Une façon de faire qui dans la même configuration instrumentale et le même dispositif scénique nous rappelle ce que font nos amis locaux de Foehn même si l’esprit diffère.
Un drumming impressionnant
Si l’on reste dans l’electro-groove avec un Fender Rhodes plus cool qui joue beaucoup sur les delays, le jeu de molette sur les synthés renvoie aux sons des années 80-90 et de l’acid-jazz, avant que les boucles répétitives dérivent vers une tech-house banale et sans grand intérêt hormis, au moins, qu’elle est faite sans boîte à rythmes mais bien par les quatre membres (très) actifs du batteur. Martelant la voix de Kamaal en talk-over sous effets, l’impressionnant Dougal Taylor enfonce sa grosse caisse pour littéralement cartonner le beat d’un titre de pur electro-groove 90’s sur lequel le public ramassé devant la scène ne peut que succomber, avant d’être mis à contribution pour du clapping qui introduira le dernier titre du set, là encore longuement installé par de grosses nappes déferlantes de clavier, la ligne de basse ronflante consolidant l’armature sur laquelle le batteur se lâchera encore une fois dans un jungle beat insensé. On appréciera toujours ce jeu de ouf entre caisse claire et charley lors du rappel, encore de la tech-house très speed, toute en cavalcade et broken beat au hachoir.
Finalement, -et serait-ce l’une des raisons de cette fréquentation bien mitigée?- l’on constate (à fortiori après avoir vu quasiment l’ensemble des fers de lance de cette nouvelle scène londonienne) que la musique entendue ce soir, si elle fut très globalement plaisante hormis la banalité très classique du rayon tech-house, est bien moins novatrice que celles des collectifs énoncés (auxquels on ajoutera évidemment les merveilleux Nubiyan Twist vus à Vienne) et s’inscrit plus dans du déjà entendu. Moins jazzy dans son essence, étonnement dénuée de vrai funk ou de touches soul, elle se résume le plus souvent à un croisement entre jazz contemporain façon trio EST et réminiscences des diverses familles électroniques des nineties. S’il y eut quelques belles fulgurances, on en aura cependant manqué avec trop de plans bateau, si ce n’était on l’aura compris, l’épatant drumming auquel on a assisté, dans les deux sens du terme. En conclusion, on dira que c’était plutôt Kamaal, mais peut sûrement mieux faire…