(69) RhôneHot Club de LyonInterviews

27/05/2023 – Hommage à Pierre “Tiboum” Guignon au Hot Club de Lyon + Interview par Laurent Brun

Voir ici l’interview de Tiboum par laurent Brun

Gérard Vidon, Président d’Honneur du Hot Club de Lyon et un cœur “gros comme ça” entame la soirée avec un compliment aimablement tourné en hommage à Pierre « Tiboum » Guignon fameux batteur, pédagogue et amoureux de la vie. Ce n’est pas tous les soirs que Nietzsche est évoqué au Hot Club de Lyon. Tiboum y a droit.

 

Un combo d’amis musiciens s’est spontanément réuni pour célébrer Tiboum.

De jardin à cours : Laurent Richard et Éric Prost aux sax ténor ; Jean-Louis Almosnino et Felipe Silva Mena aux guitares, Jean-Paul Perals à la basse et Sangoma Everett à la batterie. Chacun peut nous raconter longuement ses croisements de vie avec Tiboum.

 

Au début du set le club est un peu vide. Progressivement il se remplit, le plus souvent avec des têtes connues, des musiciens, des profs, des amis de Tiboum, sa soeur. La fête de famille s’installe.

Sur scène les standards s’étirent afin de laisser le temps à chacun de prendre un chorus. Deux saxophones ténor, deux guitares : cela ouvre des voies et permet d’apprécier les sensibilités différentes.

Sangoma est lancé et danse littéralement sur sa batterie et impulse un groove soutenu.

Le swing et le bop sont le maître mot de la soirée. Les têtes dansent, les corps bougent. Tiboum aurait aimé.

On retrouve les Messengers ; Chick Corea et bien d’autres. La musique qu’il aimait pourvu que ça groove… Il les aimait toutes.

Jean-Louis rappelle la longue amitié et le non moins long compagnonnage musical qui les ont réunit. Chacun y va de son mot gentil et émouvant.

Le premier set s’achève avec les Athegiens au Sénégal une composition de Tiboum dont on reconnait le thème joué très souvent.

Le second set se transforme en jam avec les musiciens et amis venu pour cette soirée.

R.I.P Tiboum !

 

 

Interview de Tiboum par Laurent Brun

Cet entretien date du 17 mai 2014. Il est le début d’une longue série d’interviews que j’ai faites pour le livre que j’ai écrit, “de l’improvisation à la composition” (éditions Palimpseste). Elle s’est faite au jardin partagé de Villefontaine, un lieu inspirant où Pierre Tiboum Guignon aimait faire jouer ses élèves du conservatoire de Bourgoin. Après le concert, nous nous sommes installés sous les grands arbres du jardin.  Je me souviens, je tenais le papier avec mes questions préparées. A un moment donné, il m’a dit “pose ça, et écoute pour de vrai, qu’on soit dans un véritable échange”. Les mots qu’il a prononcés ce jour-là sont pour moi essentiels. il dit tout de l’acte de création et de son rapport à la musique. Au delà du personnage social, le clown, le râleur, qui lui collait à la peau, j’ai découvert un homme profond, sensible, un artiste écorché, un transmetteur. Son regard et ses réflexions m’ont servi de cadre à l’écriture du livre et m’ont permis d’aller toujours au delà des apparences et des préjugés.

Photo prise le 19/09/2021 voir ici

 

C’est Francis Jeanson, l’ami de Sartre qui a posé l’idée que, dans la cité, il y a l’artiste (Billy Cobham, McCoy Tyner, Coltrane, Louis Sclavis) et l’animateur culturel de la cité qui va transmettre aux autres. Je suis un pédagogue artiste, un animateur relai, entre la population et les hauteurs artistiques. Je suis entre les deux. On est des gens modestes, moins connus que ce qu’on doit être. La vie va avec ça. Jouer avec Higelin ou faire ça, c’est pareil. L’histoire, c’est ça. Etre le témoin des choses, c’est important. Il y a des journalistes qui ont fait le relais entre l’artiste et la population. Moi ma vie est partagée entre l’un à l’autre. J’ai 58 ans et de faire ça, c’est la jouvence. Etre avec les gens. La manière dont on leur communique le jazz qu’il ne connaisse pas, c’est ça. Anima, c’est la vie, la vie qui crée la vie.

Que raconte ta musique ? Ce n’est pas ma musique, c’est la musique. Les musiciens ne sont pas au service de leur égo, mais de « la musique » en général. Le jeu, qu’est-ce qu’ils racontent, c’est très simple, le mot qui me vient c’est la liberté. Liberté totale extérieure mais aussi liberté intérieure de l’individu.

Quel rapport entre ta musique et le temps ? La musique est en dehors de l’espace-temps, c’est au moment où on fait la musique que le silence est là, la sérénité est là au moment  où on fait les choses. Quand on joue, elle est. Regarde la vie de tous les musiciens, qui ont eu une vie tortueuse (Chet Baker, ou Parker, qui est pour moi l’exemple optimal, bien plus que Coltrane, Parker c’est l’exacerbation totale, l’extraterrestre total) au moment où ils jouent, c’est autre chose. La sérénité vient de l’instant, une parenthèse dans l’espace-temps. On peut faire des analyses plus intellectuelles, historiques, musicologiques (ce que j’ai fait aussi d’ailleurs). Mais au moment où on fait la musique, on la fait. Faut pas être intellectuel au moment où tu joues. Faut l’être dans la vie, dans la pensée. Pour moi les vrais intellectuels ce sont les gens qui font d’abord et qui pensent ensuite. Au lieu de penser beaucoup et de ne rien faire. Autour d’une table c’est facile.

Quels liens entre musiques et sentiments ? C’est trop romantique comme vision. Ça ne va pas si loin. On n’est pas romantique. Les accords c’est très technique. Une note de plus dans un accord crée tout un autre monde et après tu joues avec. Au moment où tu le fais, l’émotion se crée sur l’instant, au moment où tu fais le truc. On ne peut pas le penser avant.

Pourquoi de simples notes provoquent chez l’auditeur autant de pouvoir d’évocation ? C’est la magie de l’art. On pourrait parler de peinture. Pourquoi certaines couleurs sont fascinantes ? Entre l’harmonie et les couleurs, il y a des relations très étroites et pourquoi telle harmonie ou telle couleur donne telle chose, tel sentiment ? C’est un agrégat technique de notes qui fait que. Mais comment c’est géré ça,  comme le coup de pinceau ou le coup de crayon ? Des fois tu calcules, des fois tu calcules pas. Après les choses sortent du sentiment que tu as eu quand tu la fais.

Quand j’étais lycéen, j’étais d’extrême gauche. Impliqué dès 14/15 ans dans la politique. J’étais agressif, j’allais loin dans le discours, révolté par l’injustice et je me suis aperçu que les gens me souriaient quand je jouais de la musique. Je ne passerai pas ma vie à me battre sur des paroles. La musique m’a permis de donner une forme de militantisme, mais toujours dans l’action. Faut faire les choses. Je suis radical là-dessus. Faut être capable de faire les choses avec ses doigts. Jean Luc Godard a dit une chose très juste : « certains disent qu’il faut penser, faut réfléchir, méditer, d’autres disent qu’il faut agir… J’ai toujours senti qu’il fallait penser avec ses mains. ». Lui l’a fait, je le fais à mon niveau.

Tu composes ? Oui j’écris, je suis pas Debussy, mais j’écris.

C’est quoi l’étincelle ? Un besoin, une urgence. Tu sens le truc. J’entends le truc. Je le mets sur le papier.

Tu fonctionnes par concept ou c’est du chaos qui s’organise ? C’est les deux mélangés. C’est comme le jazz. Il y a l’instinct d’abord mais aussi un bagage intellectuel. Si tu ne vis qu’avec l’instinct pur, c’est dramatique. Je pense à la drogue. L’instinct et la raison. Je pense que le jazz est une musique mélangée. Le jazz est toute ma vie. J’ai 58 ans, 40 ans de vie derrière à l’instant X de cet entretien, j’ai commencé à 16/17 ans. L’instinct mélangé à la raison. C’est la force du jazz. Je ne suis pas Beethoven mais je pense que ces gens ils devaient ressentir l’urgence et ils ont fait leur truc parce qu’il faut le faire. Un compositeur a besoin que ça sorte, il en a besoin comme un batteur.  Le batteur joue sur l’instant. Un compositeur d’une certaine manière compose sur l’instant. Il peut après peaufiner. Ceci dit, composer c’est complexe.  Il y a des compositeurs très rationnels. J’ai connu un mec très mathématicien. Quand j’étais en musicologie à Dijon, Yanis Xenakis venait nous voir. C’était un super mec, il venait parce qu’il nous aimait bien. Il était un peu snob. Il nous parlait de sa façon de travailler, il aimait ça. C’était un mathématicien qui a fait son boulot, mais bien, ça sonne grave.

Composer, c’est un acte solitaire ou solidaire ? C’est solitaire. Au départ. En musique classique, par exemple, le mec il est tout seul. Ça devient solidaire parce que c’est tellement fort dans sa solitude qu’il a recherché en lui la ressource universelle. On a tous une dimension universelle en soi. Dans le lieu de sa solitude, il compose et c’est nécessaire.  Et après les gens le reçoivent et là ça devient solidaire, parce que ça vient de quelque part, de là-haut, si là-haut existe, et moi je pense que là-haut existe. C’est John Coltrane qui m’a fait aimer « Dieu » mais c’est une autre histoire. Ça devient solidaire, parce que ça devient généreux. Mais au départ, indéniablement, c’est solitaire.

Composer, c’est un acte personnel ? oui

Un acte politique ? Oui et non. On compose pas pour dire merde. On a envie de donner quelque chose, c’est pas politique vis-à-vis de la société. La politique pose le problème du rapport social. Mais ça peut devenir politique d’une autre manière. Le fait d’être musicien, c’est politique, parce qu’on revendique des choses.

Une rêverie ? Le fruit d’une rêverie mais pas forcément.

Un besoin ? Oui c’est le mot clef

Un gagne-pain ? Pour certains oui. Les mecs qui font des pubs à la télé, des jingles, les musiques de feuilleton à grande échelle. Moi je ne suis pas dans ce truc-là. J’aurais pu être plus connu mais je ne suis pas un business man. Je me souviens de mon copain Didier Lockwood qui répétait dans la chambre de ma mère, il faisait ses gammes le matin. Il n’était pas encore connu. Je me disais qu’il en voulait déjà, mais lui a su être un business man, pas moi. Il y avait un feuilleton à l’époque qui s’appelait “la 4ème dimension”. C’est Marius Constant qui a fait la musique. C’était un grand maître classique. Ça a été le maître d’Andy Emler, d’Antoine Hervé. J’ai enregistré en quartet avec Andy Emler et Marius Constant chez Erato.

Tu crois à l’inspiration ? Je peux pas répondre à ce genre de question. On dirait un jeu télévisé. Je crois qu’on est habité par des choses. Maintenant un don divin ? Je ne sais pas si on a le don divin, ou plutôt des bribes de choses supérieures. Je crois aux choses supérieures. Dieu, on l’a tellement galvaudé, on continue, et dans tous les sens.

Chez Coltrane, c’est quoi la recherche ? je crois que c’est la recherche de l’absolu, la beauté absolue. Avec Coltrane c’est la recherche de la perfection absolue.

Et chez toi ? On a un côté semblable. Si tu entends Parker, sa vie, c’est tchouc boum tac. Ça se cogne, ça se brûle. Chez Coltrane, sa vie c’est une avancée. Benny Golson m’expliquait il n’y a pas longtemps que ce gars bossait tout le temps. Coltrane jouait à Paris. L’après-midi, ses musiciens se baladaient et lui il restait à l’hôtel. Il travaillait ses gammes. Le soir il jouait en club. Au moment des pauses, il allait en cuisine et il continuait à travailler. Une obsession. Coltrane m’a impressionné. C’est un discours tellement définitif, il y a une force là-dedans. Au lycée un copain me parlait d’un lama tibétain et je me suis intéressé à ça. C’est une autre partie de ma vie. Il y a des choses visibles et d’autres invisibles. J’ai toute une vie là-dedans mais je ne  peux pas en parler dans une interview. Ça prendrait des journées. J’ai donné dans des mouvements philosophiques ésotériques parce que pour moi c’était la suite logique de Coltrane. Il était intéressé par les choses mystiques et Sonny Rollins aussi. Je suis un musicien parallèle, je ne me compare pas à eux. Bien que moins connu, je pense que j’ai eu la sincérité nécessaire de me consacrer au jazz toute ma vie pour, quelque part, me mettre sur le même plan que ces gens-là. Je ne me prends pas pour le dieu de la terre, ce n’est pas ce que je dis, mais au bout de 40 ans, avoir consacré sa vie au jazz, je me permets de dire certaines choses. Je n’ai pas passé toute ma vie pour qu’il n’en reste rien. Pour moi, ce concert avec les élèves dans ce jardin, c’est beaucoup  de choses.

Quels sont tes liens avec les autres arts ? Un lien d’émotion. Mais j’ai aussi un côté technique quand j’écoute de la musique ou quand je vois une BD ou un tableau. Dernièrement, un concert m’a ému. J’ai écouté ces jours-ci Jean Marie Machado. On se connait depuis 27 ans. On jouait ensemble avec Franck Tortiller. On n’était pas connu. A ce concert y’avait François Thuillier, François Merville, Dédé Minvielle.  J’ai fait un festival avec la compagnie Lubat, une belle rencontre. André Minvielle c’est quelqu’un de très proche dans les influences, dans ce qu’il fait sauf que lui il a réussi au-delà de la médiatisation, plus que moi. De voir ces gens sur scène, ça m’a bouleversé. Y’a aussi la technique. L’écriture de Jean Marie Machado est pointilleuse, et magnifique. Ce sont tous des potes, c’est un mauvais exemple pour répondre à ta question. En tout cas, je suis ému au départ quand j’entends une musique. Une musique que je ne connais pas, je suis bon public. La musique je la reçois primairement. Par contre, quand je lis une bd, ou que je regarde un tableau, je vois tout de suite la technique, les plans techniques, tout ce qu’il a fallu faire pour arriver là. C’est curieux. Il y a deux arts  qui pour moi sont essentiels : La BD et le cinéma. La littérature, l’écriture, j’aime. Je suis un maniaque du polar. Le jour où j’ai rencontré James Ellroy, c’est comme Coltrane. Tu vas dans le chorus ou t’y vas pas. Y’a pas 36 solutions. Soit t’aime, soit t’aime pas. Tu le lis et tu te dis, c’est qui ce branleur, ce fou, ce branlou ? ça m’attire beaucoup. Mais c’est surtout la BD et le cinéma, qui sont deux arts du 20ème siècle. Ce sont des arts essentiels.  La bd pour moi c’est magnifique.  Par exemple si on regarde Willy Maltaite qui a fait Pif et Tondu notamment. L’art du décor, derrière. Tu vois les personnages évoluer. Tu vois l’art du décor. Comment il fait les maisons, le  3ème personnage au fond. Tu remarques pas tout et tout d’un coup à priori. Les 3èmes plans. J’aime la discipline d’un grand monsieur  comme Joseph Gillain. Un de ses disciples était Franquin, qui a créé Gaston Lagaffe et j’aime aussi Maurice de Bévère, dit Morris, qui a fait Lucky Lucke. Jean Giraud Moebius m’a aussi beaucoup impressionné, dans son art du dessin, de la maîtrise de l’espace et pour moi ça rejoint l’espace sonore, qu’on peut créer à la batterie. Un animal fabuleux, la batterie. Il disait une chose très juste. Dans l’art de la bd, regarde aussi Hergé, le grand maître. Je le relis en ce moment. Il fait trois coups de crayon on a l’impression que le personnage est là. Chez Franquin, c’est tout l’inverse. Ça bouge tout le temps. L’art peut se résumer à ça, le désengagement. Le mec on a l’impression qu’il ne fait rien (Stan Getz) et de l’autre côté tu as ceux qui remplissent (Coleman Hawkins) qui vont à fond les manettes.

Arthur H. disait récemment, la musique noire, c’est spirituel et sexuel, tu es d’accord ? C’est la vérité vraie.

Le bagage technique, un bien ou un frein ? c’est les deux mon colonel. Ça peut être une chose fabuleuse qu’il faut toujours entretenir et puis ça fait chier car des fois tu ressens le poids de la technique sur la batterie où tu dois te coltiner les 4 membres à jouer ensemble et tu dois faire une chose différente avec chaque bras, une chose différente avec chaque jambe.

Quelle est la part d’impro dans ta musique ? Je ne t’apprends rien, tu sais ce que c’est que le jazz. Y’a une trame au départ et puis tu improvises sur la trame. Mais ça dépend de quelle musique tu joues. Quel jazz tu joues.

Tu joues quel jazz ? je joue le jazz, j’ai joué tous les jazz. Free, nouvelle Orléans, j’ai tout fait, brésilien, latin. Tout me parle.

Est-ce que parfois des choses t’échappent dans la musique ?oui, c’est évident, c’est pour ça que le jazz est. Le jazz t’entraine dans ses structures harmoniques et rythmiques. A partir de ça tu peux t’évader. Gérer la composition instantanée, la direction instantanée comme on a fait tout à l’heure par exemple sur le morceau « Jean Pierre » de  Miles. Pourtant c’est seulement 4 mesures. La musique arrive on ne l’attend pas.

Sur les interactions entre les musiciens quand tu joues ? C’est comme un radar. On capte des trucs, des informations. On est des radars.

Tu recherches le swing ou tu t’en méfies ? C’est une question de fonctionnaire, trop conventionnelle. Je ne recherche pas le swing, je suis le swing. Le swing c’est ma vie. C’est le tréfonds de mon âme. Je suis le mec qui swingue. Je ne le recherche pas, je l’ai. Et dès le départ. Je ne peux pas le discuter. A 12 ans, j’faisais déjà tac tac stac tou ca dou ca dé dou ca a ta a tchin et tchin. J’avais ça à 12 ans.

Pourquoi ? je pourrai jamais t’expliquer pourquoi. Le mystère de ma vie. Mon père était un fou de jazz. Il écoutait les 78 tours de Duke Ellington et c’est comme ça que j’ai tout appris. Mon point de départ, c’est ça. Après j’ai eu plein de doutes, plein d’évolutions, mais je suis certain que je l’avais ce truc-là. J’écoutais des disques. Je viens d’une famille, petite bourgeoisie blanche, je suis né à Chalon sur Saône. Quand j’ai joué plus tard avec des noirs, ils m’ont dit : « mais qui t’es, toi ? ». J’étais en Afrique, ils m’ont dit « qui t’es ? » J’y peux rien. Tu me poses des questions de blanc. Tu es un blanc, c’est normal. Tu raisonnes comme tous les blancs. Je suis raciste anti blanc. Je lisais Mezz Mezzrow « la rage de vivre », un bouquin qui m’a influencé. Il voulait que sur son passeport on passe de race blanche à race noire, tellement il était admiratif des noirs. Les blancs, ils ont besoin de tout décortiquer. C’est ce qui fait que j’ai toujours communiqué avec les gens de couleur très tôt. Mon père était un fan et écoutait Ellington. C’était un ellingtonien patenté, il l’a d’ailleurs vu en concert en 1933. Il a vu aussi Django. Mon père était un homme de l’avant-guerre. Il est né en 1910. Il m’a communiqué tout ça. Il n’était pas musicien, c’était un homme de théâtre. Il était médecin, un des pionniers de la transfusion sanguine en France après la guerre. C’était un monsieur généreux qui a fait de la résistance et qui adorait Ellington. Il chantait dans sa chambre « in my solitude ». Les balades de Duke, il aimait ça. En cachette, il écrivait des pièces de théâtre. Il a connu Jean Vilar. Et moi qui suis né en 1950, j’ai connu les années 60/65. On allait voir Jean Louis Trintignant jouant Hamlet, j’avais 10 ans. On le connait au cinéma mais là c’était autre chose. Jean Vilar je l’ai connu grâce à mon père. On avait une maison à la campagne. Mon père était arlésien. Mon grand-père marseillais. Ma mère était lorraine. Et pendant la guerre, ils ont vécu à Arles, en Arles comme on dit en littérature. Il a gardé des amitiés là-bas. On allait aux Baux de Provence. A l’époque il y avait un festival tenu par un mec de Sète. J’ai vu aussi des choses magnifiques dans le théâtre antique d’Arles, Suzanne Flon, Laurent Terzieff, Henri Poirier, Bernard Fresson, tous ces acteurs qui m’ont influencé. C’est pas un hasard si je me suis retrouvé par la suite avec Jérome Savary et puis ensuite avec les Nouveaux Nez. Je suis un mec à la jonction de tout cela, un mec relais mélangé entre le clown, le comédien (je ne suis pas un grand comédien mais j’ai la fibre) le musicien, le transmetteur. Indéniablement le mot transmetteur me plait. C’est compliqué, j’ai tellement de choses en moi que…ma vie me parle. Tu ne me poses pas de questions dessus !

Est-ce que tu pourrais me parler de complexité. Qu’est ce qui se passe dans ta tête quand tu joues ? Y’a la technique mais pas que. Un mec comme Tortiller, que je connais bien, il travaille comme Coltrane. Ce musicien, ce n’est pas n’importe qui. Je lui ai fait tout découvrir. J’ai tout fait pour lui. J’ai fait l’école Agostini. J’ai connu Kenny Clarke et j’ai connu Dante Agostini. Le mec qui a fait des méthodes de batterie, un gars fabuleux, un mec super, pas un grand batteur mais brillant dans la pédagogie. Ce qu’il a transmis, c’est …waou !! C’est pas un Daniel Humair, c’est autre chose. Au-delà de la technique, il y a l’envie. Quand t’es percussionniste, t’as envie de faire ça  tac tac et tchac. T’y vas. L’envie crée la rapidité, l’envie crée la fluidité. C’est là que je me différencie des mecs comme Tortiller qui ont fait le conservatoire. Le mec travaille des heures. Pour moi, c’est l’envie qui crée la complexité. Après, tu te donnes les moyens techniques ou pas. Miles n’était pas un grand technicien, mais c’était un super trompettiste, il faisait pas sans arrêt des doubles croches.

J’ai l’impression d’entendre Lubat ? Je suis assez proche de ce mec-là dans la philosophie de la musique sauf que lui c’est un vrai musicien, le contraire de moi, il a fait le conservatoire de Paris.

Mais il s’en détache. Complètement, oui. Je suis assez proche de ces mecs-là, Minvielle. On a quelque chose en commun.

Que peux-tu dire du souffle, de l’énergie d’un groupe quand il joue. Ça vient d’où ? Du besoin. Tu l’as en toi. T’as besoin d’exprimer ton énergie. Elle est en toi, faut y aller. Les gens l’ont en eux, cette énergie. Ils ont besoin de ça.

A la base, y’a une fêlure, une blessure.

 

 

 

Ont collaboré à cette chronique :