A quoi tient l’entente dans un couple ? À une parole qui circule, à un accordage sexuel, à une complicité dans les projets communs et à une place pour les projets personnels. Et chez les musiciens, en plus ? À une osmose dans l’harmonie. Ecoutez Aurélie Tropez et son compagnon Alexis Lambert, ce qui me frappe c’est leur langage commun. Fermez les yeux, les sons se confondent, et s’épousent, elle, clarinettiste virtuose, qui ne fait pas semblant de jouer, puissante et mélodiste et lui, accordéoniste véloce et pianiste inspiré, tous deux tricotant les mêmes harmonies, un vrai délice. Souplesse, sens du rythme, attraction par tensions et détente, une même lecture du jazz.
Aurélie Tropez a choisi pour ce set assez court de se focaliser sur ses compositions personnelles et c’est un choix judicieux, à plus d’un titre :
Sur la forme d’abord, le répertoire flirte avec la biguine, la valse musette et le swing, dont les progressions harmoniques empruntent aux standards du jazz classique. C’est bien joué, c’est plaisant. L’énergie, l’implication et le désir de jouer sont palpables dans le groupe. Quelques tubes du real book s’intercalent, où l’on peut entendre la voix convaincante, charmeuse, du chanteur guitariste Christophe Davot, d’une efficacité redoutable dans sa manière d’accompagner le swing, les envolées saisissantes de la batteuse Julie Saury, rythmicienne hors pair, au propos continuellement neuf, la ligne sans faille de la walking basse d’Anthony Muccio. La musique avance, festive et sensible.
Sur le fond, ensuite, ce qui m’a intéressé, au-delà de la musique, c’est le soin et la simplicité avec lesquelles la clarinettiste raconte la genèse de ses compositions. La contrebassiste Joëlle Léandre me confiait avec humour que sa musique était traversée par tout ce qui la nourrit quotidiennement, ce qu’elle mange, ce qu’elle lit, ce qui la titille, ce qui stimule sa curiosité. Et chez Joëlle Léandre, les sujets de colère sont nombreux autant que ses étonnements. C’est de l’ordre du trivial. La composition est une digestion. Qui devient élévation, catharsis, transformation. L’homme préhistorique nous avait déjà ouvert la voie, vers ce ressort de l’art. Chez Aurélie Tropez, ses enfants sont une source d’inspiration (et de questionnement : entre autres, comment peut-on les préserver du mal). La thérapie et l’hypnose en est une autre. Tout est prétexte à musique. (Par ricochet, et je le vois dans les ateliers d’écriture que j’ai mené ici à Buis, la musique est prétexte à une écriture de l’intime.)
En résumé, un bon moment de musique.
Ainsi se termine cette édition de Parfum de jazz 2023. Et puisqu’il est question de l’intime, le plaisir du jazz s’entremêle avec la joie d’arpenter en vélo les paysages des Baronnies en vélo tôt le matin. (Une habitude que nous avons prises mon épouse et moi depuis toutes ces années où nous fréquentons le festival).
Les arbres, sentinelles qui dominent la vallée de l’Ouvèze, dans le col d’Ey, se teintent de couleurs pastelles, au lever du soleil. On les croirait de toute éternité. Ils se transformeront et renaitront à de nouveaux regards, pour d’autres parfums.