(73) SavoieBatÔjazz

31/08/2023 – Alfio Origlio “Human flow” à BatÔjazz

Alfio au gré des flows

 

Indissociable du festival où il se produisait pour la septième fois, l’éminent pianiste Alfio Origlio a présenté son tout dernier projet “Human Flow”, ici sans le beat boxer Alem mais révélant sa nouvelle et toute jeune recrue Fleur Worku, à la fois chanteuse et violoniste. Entre compos inédites, covers réarrangées et impros tout aussi audacieuses, un répertoire éclectique qui, bien qu’encore en rodage, a su faire naviguer le public dans les meilleures eaux du jazz.

 

Si l’on apprécie les soirées à terre données dans divers châteaux de la Chautagne, l’originalité de Batôjazz réside, par définition, dans les propositions de concert à bord du bateau Le Savoyard amarré à Chanaz. Pour cette neuvième édition du festival, il revenait au pianiste grenoblois Alfio Origlio -qui en est désormais le président d’honneur- d’entamer les quatre soirées à bord, pour une croisière longeant le canal de Savières avant d’aller faire une boucle au couchant sur le lac du Bourget. Indissociable de Batôjazz puisqu’il s’agit de la septième prestation du musicien depuis son lancement, Alfio y présentait son tout dernier projet baptisé “Human Flow”, après avoir mis fin cet été à Jazz à Vienne aux quatre ans de succès de “Secret Places” avec Célia Kaméni. Si son nouveau répertoire convoque le beat boxer Alem entendu sur l’album Bogota Airport, ce dernier actuellement en tournée au Japon n’était pas là ce soir, mais nous avons pu cependant y découvrir la toute jeune chanteuse et violoniste franco-éthiopienne Fleur Worku, ex élève de Jérôme Regard qui l’a présentée à Alfio et qui a ainsi rejoint le projet aux côtés des fidèles du pianiste, le batteur Zaza Désidério et le guitariste Noé Reine que l’on découvre également (très bon) bassiste lors de cette prestation.

 

Au menu de ce Human Flow qui donnera matière prochainement à un nouvel album, des compos inédites, des reprises ou autres covers réarrangées, et beaucoup d’impros qui donnent du sel au jazz joué en live. Encore en rodage après seulement quelques prestations (voir ici et ici), le projet en phase expérimentale s’ouvre avec North Boat de circonstance où le jeune guitariste prodige nous gratifie d’un long solo. «Comme chez Weather Report, le second titre se doit d’être une ballade» précise le leader pour introduire Love in Blue qui offre de belles résonances vaporeuses du Fender Rhodes tandis que Noé a cette fois enfourché une basse.

On l’avait déjà remarqué sur les précédentes éditions, ça sonne bien dans l’antre de ce navire, même avec de la puissance comme sur La Didonnade, une compo d’Alfio en hommage à Petrucciani que nous avions entendue l’an dernier à Culoz (voir ici). Après une intro croisant piano et violon, la grosse rondeur du synthé basse et le drumming fluide et intense de Zaza offrent un groove appuyé à ce titre livré «en version un peu fracassée» selon Alfio. C’est vrai que ça pousse grave avec une guitare au diapason de la voix de Fleur, à mi-chemin entre jazz-rock et jazz-funk californien. Plus sensuel avant de prendre également du volume, Pain qui suit reste dans cet esprit groovy avec un Fender Rhodes en ébullition où le pianiste virtuose promène sa main droite en impro tandis que la gauche assure le moulinet sur le synthé basse.

Inattendue mais correspondant bien aux clins d’œil qu’aime faire Alfio aux musiciens qui l’ont inspiré, voilà une cover très réarrangée de Maniac de Michael Sembello, gros tube d’il y a tout juste quarante ans sur la B.O. de Flashdance. On y apprécie encore un beau solo de Noé, mais on y décèle aussi, comme ça et là précédemment, quelques limites dans la voix de Fleur, surtout dans les fins de phrasé pas toujours très assurées et parfois sur le fil en matière de justesse. On n’en tiendra pas rigueur au regard de sa jeunesse (elle n’a que dix-huit ans!) et de sa courte expérience vis-à-vis de ses costauds acolytes, d’autant qu’elle sera parfaite dans la maîtrise de Memorise qu’elle a co-composé avec Alfio. Un morceau bien mélodieux empreint de toute sa sensuelle douceur et qui ouvre le second set, enchaîné après une longue dérive en impro à La Sérénade à Loulou pour s’achever sur une rythmique reggae-dub du meilleur effet.

Le public sera encore sous le charme de cette belle et séduisante Fleur pour Sing to the Moon qu’Alfio a emprunté à la chanteuse anglaise d’origine afro Laura Mvula, revisitant avec grâce et dans une version réverbérante ce titre datant de 2013. Beaucoup plus difficile à chanter d’autant que sa mise en place ne date que de quelques jours, Some place called where du regretté Wayne Shorter fait partie des grandes références d’Alfio au même titre que Miles Davis ou Herbie Hancock. Là encore, on peut saluer au delà des imperfections, l’audace d’une si jeune chanteuse à se plier à un exercice particulièrement casse-gueule. Mais la musique est bonne et, une fois de plus, Alfio et son équipe auront réussi à faire de ce rendez-vous à Batôjazz un sympathique et chaleureux moment de partage avec l’auditoire, comme encore avec le thème populaire d’Il était une fois dans l’Ouest de Morricone offert en rappel, avec une sonorité bien rock dans les cordes croisées de la guitare et du violon.

Ont collaboré à cette chronique :