(43) Haute LoireJazz en Velay

30/09/2023 – Mutissage au festival Jazz en Velay

Faire parler les tissages, leur donner la parole. Voilà le pari fou de Nadine Marchal, artiste pluri-disciplinaire, avec son projet Mutissage, porté par l’association Jazz en Velay en partenariat avec la ville du Puy et son théâtre. Associer le tissu et la musique, intégrer le son du textile à un sextet de jazz.

Imaginez sur scène une structure de cuivre sur laquelle sont tendues trois toiles, aux mailles resserrées,  elles-mêmes traversées par des tubes de verre, des bouts de métal, et quelques capteurs bien placés. La laine devient sonore. Nadine Marchal, dans sa cage de métal, avec ses baguettes, balaie d’une manière très cadencée la matière, qui vibre et libère son chant. Sur ses gestes métronomiques, chorégraphiés, gracieux, la musique du guitariste Stanislas Pierrel prend sens. Une musique originale, intelligente, sensible, enjazzée, pour une partition rythmiquement complexe jouée avec brio par les deux cuivres (Jean-Christophe Vera et Jean Noël Vuidart aux saxophones). La laine scande le tempo sur un blues arrangé, un morceau aux saveurs des îles, qui chaloupe, ou encore un morceau en mineur, pour une beauté majeure. Le corps de Nadine Marchal anime la scène et donne l’énergie au pianiste Jeff Gagnor, pour des improvisations bien senties, de même que pour Jean Noel Vuidart et Stanislas Pierrel. La musique se tisse comme les fils qui pendent de la structure que Nadine Marchal tire, faisant penser au son de la cuica brésilienne. Jean-Christophe Vera vient frotter un archet sur une cordelette, accentuant le caractère bruitiste dans l’œuvre, une respiration, du plus bel effet. Christian Lopez, à la batterie, et Philippe Barry à la contrebasse, renforcent l’assise du groupe. C’est visuellement, esthétiquement chaleureux, musicalement réussi. (Chouette travail des ingés son et lumière)

Nadine Marchal dit du tissage qu’il est un lien entre l’humain et la nature. On en retrouve trace au paléolithique et les dernières découvertes, toutes neuves, des préhistoriens et surtout des préhistoriennes, (à lire “Lady sapiens, enquête sur la femme au temps de la préhistoire”  de Thomas Cirotteau, Jennifer Kerner, Eric Pincas, éditions Les Arenes) invitent à penser que les femmes accordaient une grande place aux tissus et aux parures, et qu’ils étaient des marques sociales importantes, faits de riches matières et d’incrustations de toutes sortes, végétales, animales. Notre lien avec la nature était déjà scellé, nous en faisions intégralement partie, nous nous en sommes désolidarisés.

Ce spectacle, trop court pour nous spectateurs, (mais comment faire autrement quand Rhoda Scott passe juste après), a le mérite de nous replonger dans cette problématique, indirectement, par son charme et son envoutement. L’exposition des tissus, associée au spectacle, prolonge notre bonheur et nous invite à la réflexion.

Voilà quelque chose qui devrait intéresser les programmateurs de salle, par l’originalité du propos, la réflexion en filigrane qui s’opère, la sensibilité et la poésie qui s’échappent. Le tissu est prêt à nous révéler bien des mystères sur notre humanité.

 

[NdlR : Merci à Sophie Couder Battelier pour le prêt de cette photo]

Ont collaboré à cette chronique :

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