Aux Belles de Nuit…
Après la séduisante découverte des Black Sea Dahu et leur néo-folk indie pop mettant notamment en valeur les deux sœurs Cathrein, c’est en version quatuor au féminin qu’Agnès Obel a retrouvé les planches de Fourvière pile huit ans après son premier passage. Si son dernier album “Myopia” n’atteint pas les sommets inégalables de son chef d’œuvre d’alors, le merveilleux “Aventine”, la musique atmosphérique, introspective et épurée de la Danoise reste ancrée dans une mélancolie frémissante, ourlée de cordes de violoncelles et de percussions électroniques qui mènent toujours à l’envoûtement.
Les femmes musiciennes étaient à l’honneur cette Nuit puisqu’avant de se laisser envoûter par le quatuor féminin d’Agnès Obel, le public qui a archi-bondé le théâtre antique lyonnais s’est instinctivement laissé charmer, et avec beaucoup d’enthousiasme, par la découverte en première partie de Black Sea Dahu, quintet zurichois lauréat des Swiss Music Awards mais qui a déjà quatre albums à son actif en dix ans d’existence. La chanteuse et guitariste Janine Cathrein avec sa sœur Véra à la guitare électrique et leur frère Simon au violoncelle -deux belles voix également- ainsi que deux copains de la famille tenant basse et batterie, pratiquent avec un talent naturel la tendance la plus hype du moment, ce néo-folk indie-pop et urbain aujourd’hui très en vogue, où la génération actuelle revisite avec une vraie personnalité l’intemporel folk anglo-saxon des seventies. Très mélodiques et bien joliment troussées, dégageant de magnifiques harmonies -notamment via la pureté des voix mêlées de la leader et des choeurs- les chansons de Black Sea Dahu accrochent d’emblée l’oreille comme le cœur et ont donné un air woodstockien à cette trop rapide ouverture de soirée réduite à vingt minutes. Un peu frustrant, mais une nouvelle tournée en novembre passera pour quelques dates dans la région (Annecy, Meylan) où l’on pourra s’adonner plus complètement à leur très séduisant univers sonore.
D’Aventine à Myopia
Huit ans pile jour pour jour après avoir découvert Agnès Obel en duo sur cette même scène (c’était le 25 juillet 2014 dans la foulée de Goldfrapp) après avoir été scotché par son second album Aventine (2013) -un chef d’œuvre indépassable qui a contribué à sa notoriété planétaire, notamment avec plusieurs titres popularisés par des B.O de cinémas ou de séries- on retrouve la chanteuse et claviériste danoise cette fois en quatuor, exclusivement féminin. Installée à Berlin où elle compose et produit seule sa musique dans son home-studio, Agnès Obel poursuit son œuvre hors du temps et des modes, cette musique très personnelle et indéfinissable entre néo-classique aux effluves contemporaines, folk, pop et jazz. Des ballades mélancoliques et introspectives, à la fois simples et pourtant sophistiquées, où cette perfectionniste hypocondriaque et diaphane instille des climats atmosphériques particulièrement envoûtants, entre séquences répétitives à la façon des maîtres de la musique sérielle et jeu maîtrisé des silences. Quelque part entre Satie et John Cale, empruntant aussi bien à Debussy ou Ravel côté musique (on pense aussi à l’univers onirique de la pianiste polonaise Hania Rani) qu’à des chanteuses comme Kate Bush ou Björk côté voix, Agnès Obel privilégie l’épure dans un minimalisme assez sombre pour dessiner des paysages sonores alternatifs et souvent contemplatifs. Un tourbillon évanescent de notes aériennes, comme suspendues, délicates et voluptueuses où son écriture abstraite dégage une grâce mystérieuse. C’est encore le cas sur son dernier album -le quatrième en douze ans- “Myopia” (contraction de My Utopia) paru en 2020 sur le prestigieux label Deutsche Grammophon, qu’elle définit comme le plus personnel, même s’il n’atteindra pas les sommets indépassables du bien nommé “Aventine”.
Douceur et profondeur
Après une bien longue attente depuis que les Black Sea Dahu ont été expédiés -un intermède durant lequel sont diffusés dans la sono des gazouillis d’oiseaux- il est 22h30 quand le quatuor s’installe, avec de chaque côté de la scène les deux violoncelles tenus par les Allemandes Marie-Claire Schlameus et Lih Qun Wong (spécialiste des mariages rythmiques entre néo-classique et électro et qui use des boucles de son looper), et au côté des claviers d’Agnès les percussions électroniques et le vibraphone de Maria Schneider. Tandis qu’en fond de scène un écran géant diffuse des images allégoriques aux effets psychédéliques, le set démarre par Red Virgin Oil avant que retentisse dans la foulée l’un des sublimes «tubes» d’Aventine, le saisissant Dorian, lyrique et vaporeux. Sur les images de vagues mêlées aux nuages, on est suspendu au rythmes des cordes au son grave, avant Camera’s Rolling -un titre évoquant la soumission aux pressions- où les chorus des violoncelles, les touches de vibraphone et les voix mêlées dégagent beaucoup de profondeur et d’ampleur.
Unisson des quatre voix encore sur Run Cried the Crawling, autre bijou d’Aventine, livré comme au ralenti dans une langueur qui nous berce nonchalamment. Ethéré et planant, Trojan Horse au beat d’un tambour électronique lorgne vers l’électro symphonique avec des boucles façon Reich, quand Island of Doom, le premier titre de Myopia où la chanteuse répond à son propre écho, prend des accents baroques en mixant des vocaux quasi religieux à une pop légère. Si Stretch your Eyes a un petit côté Soft Cell qui fait mouche, on accrochera moins aux deux titres suivants, d’abord Familiar puis l’éponyme Myopia sur lequel on verra d’ailleurs un certain nombre de spectateurs prendre la tangente, le côté souvent répétitif sans doute… Ils n’auront pas le temps d’apprécier en revanche Riverside -qui fût le premier single de son tout premier album Philarmonics- appliqué telle une caresse à l’instar du vent doux qui nous aère ce soir, ni, justement, la douceur toujours bienfaisante du titre Philharmonics avec ses notes aériennes de piano comme des violoncelles, sur une rythmique de valse lente. Dernière titre avant rappel, et troisième tiré d’Aventine, The Curse enivre par la sonorité symphonique des cordes donnant une emphase imposante à ce morceau appuyé crescendo. Il est 23h40 quand s’enchaîneront en rappel It’s happening again puis On powdered Ground, concluant avant le minuit fatidique cette douce Nuit où les belles auront brillé à l’unisson dans le ciel de la colline inspirée.
NdlR : une fois de plus, notre photographe aura eu beaucoup de mal à faire correctement son travail face aux conditions exigées sur les deux premiers titres, à savoir depuis les hauteurs de la régie et avec des éclairages non adaptés. Une vraie punition pour notre dévoué Didier qui nous habitue à de très beaux clichés en conditions “normales”….