chronique de CD

“Blues for dos gardenias” de Raphaël Lemonnier & La Trova Project

Vous êtes dolent, endolori, exsangue, exténué par des mois d’hiver covidien, un printemps pluvieux, des petits kapos affairés dans votre vie privée… vous en avez marre! Vous aimeriez retrouver un goût à la vie, entrer en mai comme dans une douce arène, une provisoire escale pour un juin et un été éclatants, aux couleurs des rues cubaines: écoutez “Blues for dos gardenias” de Raphaël Lemonnier et La Trova Project !

Vous êtes irrité, énervé, votre esprit s’égare et se désespère; vous rêvez d’étrangler quelqu’un.. Plus que de généraux putschistes et d’orgueil national où se planquent bien des libidos qui s’ignorent, vous rêvez de douceur, de volupté sans honte, de générosité et de sourire: écoutez “Blues for dos gardenias” de Raphaël Lemonnier et la Trova Project!

Album bleu azur, où se profile la statuette cubaine d’une femme à la peau d’ébène et à la robe pareillement bleu azur, parsemée de soleils et de fleurs éclatant(e)s. Au dos, nous pouvons lire l’intention suivante:

“le boléro devient blues, le blues devient boléro”.
“Le pianiste jazz Raphaël Lemonnier nous invite à un voyage inspiré du Cuba des années 50 et de la Trova*, un voyage teinté de blues et de jazz, où se côtoient les chansons cubaines et les chansons françaises, revisitées et transposées sur des calypsos, mambos ou vieux boléros”.

Tout est dit là. Ou presque. Car nous distinguerons plutôt deux trajectoires; l’une consistant à tirer la musique cubaine du côté du blues, à “bluesifier” les bolero, calypso, et mambo du “Buena vista Social Club par exemple; l’autre consistant à interpréter à la cubaine des chansons françaises.

Le Buena vista Social Club  (dans le film  éponyme de Wim Wenders) et particulièrement le chanteur cubain Ibrahim Ferrer Planas ont fait connaître au monde entier ce boléro datant de 1945 qu’est Dos Gardenias.

Dés les premières mesures, le piano de Raphaël et la guitare de Rémi Charmasson font entrer l’oreille dans le climat du blues qui ne quittera guère l’album. Eliene Castillo et Clara Tudela posent le voile de leurs cordes vocales sur le texte. Des voix, des voiles et des percussions! Qu’elles mêlent à celles de Xavier Dessandre Navarre, sur une contrebasse de Lilian Bencini.

Nous nous régalons d’un même climat apaisé, d’une même unité dans les arrangements de Raphaël, d’une même homogénéité dans le son d’ El cajon del muerto (à comparer avec les versions traditionnelles de Casa de la Troja) et dans celui de Chan Chan. Là encore il est passionnant de comparer la version du Buena vista Social Club et l’arrangement de Raphaël où les premières mesures de guitare nous font entrer dans le Paris-Texas de Wenders.

Ou Texas-Paris: en 1962 Isabelle Aubret présentait au concours de l’Eurovision Un premier amour, chanson qui décrochait le titre. Avec un tapis de violons et  un tempo discret mais bien cubain déjà. C’était une invitation  pour Raphaël .

Eliene Castillo et Clara Tudela feront les adaptations cubaines des paroles d’Un premier amour et de Non, je ne regrette rien, (quel climat apaisé ici encore: le mariage de la musique cubaine et du blues est d’une grande élégance !) et de Et maintenant.

Nous trouvons dans cet album bien d’autres titres comme le créole Petit brun doux, l’instrumental Satie Bolero (Gnosienne No 1), le Cha Cha 69, et le magnifique Flor deVenganza (écoutez aussi la version de la Familia Valera Miranda), He perdido Contigo (qui semble difficilement traduisible!)

Notre préférence va à Besame mucho, chanson pour laquelle Raphaël semble avoir une affection particulière:  sur des accords splendides, dans un rubato qui se prolonge, avant l’entrée en scène des percussions, les voix sensuelles et déchirées d’Eliene et Clara font merveille.

 

Des idées noires, l’impression de vivre dans le marasme? Ne cédez pas à la tentation soit disant virile, ne prenez pas les armes, écoutez une musique qui adoucit les mœurs !

 

*La trova, c’est la chanson traditionnelle hispano americaine, d’origine médiévale, jouée et chantée par des troubadours…

Ont collaboré à cette chronique :