Il est natif de Pau, dans les Pyrénées. De parents parisiens, qui ont eu l’envie de s’installer là-bas. Il a posé ses valises dans l’espace des batteurs, un espace où il a su faire son trou, et de belle manière. Découverte de cet artiste complet, qui ne connaît pas de frontières.

Ariel Tessier,

quand la batterie s’ouvre sur tous les univers…

Michel Martelli : Ariel, ta route a donc débuté dans les Pyrénées, une région pourtant peu réputée sur le plan du jazz…

Ariel Tessier : Oui, c’est vrai… Cette région, mes parents l’avaient choisie pour être à la campagne, et aussi pour la beauté de son relief. Quant à la musique, même si je n’ai pas eu de parents musiciens au vrai sens du terme, tous les deux sont des mélomanes convaincus. Mon père a, un moment, animé des émissions de jazz à la radio, et a même créé un Festival. Le jazz l’accompagne toujours aujourd’hui. Alors que ma mère était plus d’écoute « classique »… Et puis, il y a quand même mon frère Samuel, qui a fait le Centre des Musiques Didier Lockwood, et qui est guitariste.

Et moi ? Eh bien, dans tout ça, je laisserai ma curiosité aller vers différentes musiques. Le choix de mon instrument a été facile car très tôt, vers quatre ou cinq ans, je me mettais à taper sur des couvercles de poubelles, ou même des casseroles ! Mes premiers cours me seront donnés alors que j’ai six ans, et ce sera chez un professeur particulier de Pau, Michel Bonnet. Malheureusement disparu aujourd’hui. Et comme nous avions la chance d’habiter une grande maison en pleine campagne, j’ai eu aussi très vite une batterie sur laquelle je pouvais commencer à m’exprimer sans trop gêner personne…

Avec Michel Bonnet, je resterai jusqu’à mes dix-huit ans. Mais je ne faisais pas que ses cours. En parallèle, et dès l’âge de douze ans, je vais commencer des études de percussions classiques au Conservatoire de Pau, où j’assimilerai les techniques, le solfège… Dans cette voie-là, tu abordes plein d’autres instruments, chacun t’amenant sa propre technicité. C’est ainsi que j’ai pu m’exprimer aux claviers – xylophone, marimba ou encore glockenspiel – très présents dans les musiques contemporaines.. En réalité, le monde des percussions regroupe un nombre important d’instruments différents. Et aucun d’entre eux ne peut être qualifié de « secondaire ». Lorsque, dans une formation, tu es « titulaire » du triangle, ou encore des cymbales, on peut se poser la question de savoir si ce n’est pas frustrant . Il n’en est rien. La pratique de ces instruments nécessite aussi une concentration de tous les instants. J’ai été chanceux d’apprendre à jouer de tous ces instruments, même si, visiblement et depuis toujours, la batterie me donnait le plus de facilité.

M.M. : Tu jouais déjà dans des formations ?

A.T. : Dès l’âge de treize ans, oui, en orchestre ou dans les harmonies de Pau – la municipale et celle du Conservatoire. Une expérience qui m’a permis très tôt d’affiner mes responsabilités au milieu d’autres musiciens. Alors oui, un batteur travaille souvent tout seul, mais, justement, être intégré dans une formation développe ton écoute (de ceux qui t’entourent), mais aussi le sens du groupe. La batterie, c’est un peu le pilote de l’ensemble. C’est le gardien du tempo. C’est le batteur qui fait avancer les musiciens ensemble. Cette période m’a beaucoup apporté dans ma construction personnelle. C’est vrai que, grâce à Michel, je me présentais avec déjà un certain bagage technique. Mon intégration dans ces ensembles a été relativement facile…

En revanche, je voyais peu de groupes de jazz, ni même d’endroits où auraient pu se passer des sessions de jazz. A mon époque, il n’y avait pas encore de classe de jazz au Conservatoire de la ville, donc c’était assez compliqué de se constituer un début de réseau, même si j’ai pu faire à ce moment-là quelques rencontres. Là où j’ai commencé à développer ce « réseau » en quelque sorte, c’est lorsque, en parallèle, j’ai intégré le G.A.M., le Groupe d’Animation Musicale, à Pau toujours, une super école pour éveiller les enfants à la musique. Dans cette structure, j’ai pris, en plus, des cours de flûte à bec, de chant… et de percussions aussi, évidemment. Je vais rester au G.A.M. de huit à douze ans. Je me souviens que, chaque année, il était organisé un stage, dans un petit village de montagne. Déjà, on pouvait créer notre musique et, en fin d’année, on allait donner un petit « concert » au Théâtre Saint-Louis, une belle salle. Le G.A.M. existe toujours, j’y suis d’ailleurs retourné dernièrement. Je garderai toujours un excellent souvenir de ces années. La structure nous permettait d’être très vite en situation de créativité, ou d’improvisation. Le B.A-BA du jazz, mais aussi quelque chose qui m’a tout de suite parlé.

Côté diplôme, j’obtiendrai mon D.E.M a dix-neuf ans. En classique. Entre Pau et Créteil (pour ma dernière année) avec des professeurs comme Francis Brana à Créteil, ou Patrick Guise, à Pau, qui est lui aussi décédé malheureusement. Patrick était un super percussionniste…

M.M. : Tu étais déjà « lancé », dans ta tête, à ce moment-là ?

A.T. : Pas du tout. Même si plusieurs me poussaient à continuer dans les percus. Moi… eh bien je dois dire que j’étais un peu hésitant sur mon avenir. En plus, je te l’ai dit, mes parents ne « pratiquaient » pas la musique, donc un gros doute s’installait en moi. Allais-je pouvoir en vivre ?

Côté scolaire, j’avais obtenu mon Bac « S ». Alors j’ai opté pour… une licence de chimie. Et finalement, les choses se sont bien déroulées : la même année que ma licence, je finissais, à Créteil, mes études de percus classiques. Francis m’avait, en quelque sorte, ouvert les yeux car, grâce à lui, j’ai pu mesurer le niveau que maîtrisaient certains musiciens autour de moi, un niveau très supérieur à celui que j’avais pu voir à Pau. Ça m’a aussi confirmé le fait que la batterie était véritablement mon instrument de prédilection, celui qui recevait tout mon intérêt. Même si je pensais toujours à ce moment-là que je ne pourrai pas en vivre.

Il est très rare de trouver des musiciens qui font carrière à la fois en percus classiques et en batterie jazz. Très vite, j’ai compris que je me consacrerai plutôt au jazz. Un sentiment qui s’est affirmé, lorsque j’ai commencé mes cours avec Georges Paczynski, un batteur doublé d’un érudit très impressionnant, qui a écrit des bouquins sur notre instrument (« Une histoire de la batterie de jazz »). Patrick connaissait Georges, le contact s’est fait comme ça. Et j’ai passé de sacrés beaux moments avec un professeur comme Georges, tu peux imaginer…

Y en a-t-il qui m’ont inspiré ? Bien sûr, à une époque, il passait sur M6 une émission qui avait été baptisée « Jazz 6 » et qui proposait des concerts, des « live » de Jazz à Vienne. Mon père enregistrait ça, sur VHS. Et moi, j’y admirais Billy Cobham, un batteur qui a accompagné, entre autres, Miles Davis et qui avait cette particularité de jouer sur deux batteries réunies en une seule. Je ne te parle pas de sa dextérité, mais tu imagines… Il y a eu aussi Dennis Chambers, de la même génération que Billy, qui me fascinait par son groove. Et Steve Gadd aussi, qui, lui, donnait plus dans le jazz « fusion » avec un peu d’électrique sur les bords. Progressivement, quand même, je me rapprocherai de batteurs plus classiques, comme Elvin Jones ou encore Tony Williams.

M.M. : Finalement, tu as eu  du nez  avec ces stages du G.A.M…

A.T. : Certainement. D’autant qu’après ceux-là, j’ai pu, vers l’âge de quinze ans, intégrer un autre stage, à Barcelonnette, « Les enfants du Jazz », là encore un concept génial qui me permettait, enfin, de rencontrer des jeunes de mon âge qui partageaient la même passion. Ce qui, je te le rappelle, était rare dans cette région de France à ce moment-là. Nous avons pu intégrer de petites formations, mais aussi un Big Band. Immersion totale. Pendant ces stages – je le ferai quatre années de suite – je vais accumuler les rencontres qui constitueront un petit réseau avant mon arrivée à Paris. En tout cas, cela aura permis à nombre de jeunes de se mettre le pied à l’étrier.

Avec Georges, j’ai appris pendant deux ans. Ensuite j’avais le choix entre le CNSM et le CNR de Paris. Ma licence de chimie en poche, c’est le CNR qui m’ouvrira ses portes en premier. Ce qui va me permettre de m’installer en région parisienne, à Nanterre précisément, dans une résidence pour musiciens « ARPEJ ». J’y avais mon studio, et ma batterie… Je n’étais pas particulièrement dépaysé, ma famille étant originaire de cette région, j’y avais quelques repères.

J’avais donc tenté le CNSM une première fois, mais je n’avais pas été retenu. L’année suivante, je passerai l’examen, et j’y intégrerai la classe du département jazz, dirigée par Riccardo Del Fra, le contrebassiste qui a accompagné Chet Baker pendant des années. J’aurais la chance, par la suite, de partager la scène avec Riccardo, assez régulièrement.

Passer d’un amphi de chimie aux cours de jazz du CNSM, c’était génial, comme transition. Et, dès le CNR, ont commencé les formations des premiers groupes, et le réseau de potes qui va avec. Comme par exemple le guitariste Paul Jarret – qui a monté le groupe « PJ5 » dans lequel nous jouons ensemble depuis dix ans maintenant – comme également Alexandre Perrot – le contrebassiste de Lou Tavano – ou Enzo Carniel (pianiste) qui, lui aussi, avait fait « Les Enfants du Jazz » et avec qui je pourrai jouer dans le groupe « House of Echo ».

Mais si le réseau a pu jouer son rôle à plein, travailler avec Riccardo m’a permis de repousser les frontières des échanges inter-générationnels. Je rencontrerai, grâce à lui, le saxophoniste Pierrick Pédron, et d’autres. Jouer avec Riccardo sur scène durera une dizaine d’années…

Ces années-là me feront rencontrer Lou Tavano et Alexey Asantcheeff, dont tu as déjà fait connaissance, mais aussi plein d’autres univers musicaux, musiques d’improvisation, free jazz, sans oublier les standards que Riccardo m’a fait découvrir encore des profondeurs.

Avec Lou Tavano ce sera ma première formation « vocale », avec  pour moi, un jeu un peu différent de celui que je produis dans un groupe classique. De toutes façons, tu te dois d’adapter ton jeu en fonction des musiciens autour de toi, c’est normal. Mais j’aime ça. Je passe du jazz au rock, ou à d’autres registres assez facilement. C’est grisant, ces multiples influences.

M.M. : Et aujourd’hui, alors ?

A.T. : Je n’ai fait que trois années, au CNSM. Je ne suis pas allé jusqu’au Master. Pourtant… j’avais comme professeur Dré Pallemaerts, belge de son état et surtout un super mec. Non, j’ai préféré « faire le métier », en m’immergeant dans plein de sessions. J’ai eu la chance d’avoir des engagements assez rapidement, et de pouvoir obtenir ainsi mon statut d’intermittent. Et comme j’ai très longtemps cru que je ne vivrai jamais de ma batterie, j’ai travaillé d’arrache-pied dans tous les secteurs possibles et imaginables pour un batteur. Notamment sur le côté « harmonique » qu’il nous faut beaucoup bosser. Rajoute à ça que je suis quelqu’un de très curieux pour explorer d’autres styles, et que je me rends assez disponible pour jouer du rock, de la pop – même si je m’y sens moins à l’aise – tu ouvres la porte à plein de projets.
Aujourd’hui, par exemple, on a plusieurs groupes avec le saxophoniste Julien Soro, dans lesquels, pour certains, tu peux retrouver Paul Jarret comme dans notre trio « SWEET DOG »

Je joue dans le trio du pianiste Emmanuel Borghi, avec Théo Girard à la contrebasse…

Dans « SHAN », aussi, (ça veut dire « montagne » en chinois), avec le guitariste Pascal Charrier et Julien Pontvianne au saxo…

Dans le quartet « HOUSE OF ECHO » d’Enzo Carniel, avec Marc-Antoine Perrio à la guitare (et aux effets électro) et Simon Taillieu à la contrebasse…

Et puis, le petit dernier… au sein du groupe BLOOM, que j’ai intégré il y a maintenant un an, parce que le groupe voulait se rapprocher un peu plus du son d’une batterie – Nils (Wekstein) était plus « percus ». Nous avons été quelques uns à être auditionnés, et j’ai été retenu. Une occasion pour moi de retrouver Léa Castro avec qui j’avais déjà joué dans son quintet. Là, nous sommes en train de monter notre répertoire, avec le nouveau contrebassiste aussi, Arthur Henn…

C’est vrai que la période que nous traversons n’est pas facile. Mais nous en verrons le bout. J’espère seulement que ce sera au plus tôt, car, même si des solutions de dépannage existent, rien ne remplace un concert en live, avec le public devant nous.

C’est ça, notre cœur de métier…

Propos recueillis le vendredi 29 janvier 2021

Merci, Ariel, de m’avoir permis de faire (encore) une belle rencontre musicale que je suis heureux de faire partager via ces quelques lignes.

Merci à Laurence (Ilous) toujours aussi redoutable dans son efficacité – comme sur scène – qui aura permis le lien.

Et un ban, mais c’est habituel, à André Henrot, qui fournit de superbes clichés, comme d’habitude.

 

Ont collaboré à cette chronique :