Jazz-Rhone-Alpes.com met en lumière ici un virtuose de la guitare. Une guitare qu’il a mis au service du jazz en général, et du jazz “de Django” en particulier. Et si une quelconque connexion pouvait exister entre les glorieux aînés et les musiciens d’aujourd’hui, Django Reinhardt serait sûrement très heureux de voir une telle relève.
Entretien avec Arthur Anelli
Un toucher à la guitare, entre talent et soleil…..
Michel Martelli : Arthur, la musique t’a rattrappé assez tard, finalement….
Arthur Anelli : Oui, c’est vrai. Très tard, je dirais même. Pourtant, lorsque je viens au monde – c’était en Avignon – je vais arriver dans une famille qui, sans être “professionnelle”, n’en était pas moins très “musicale”. Du reste, mon père est quand même clarinettiste, même s’il n’en a jamais fait sa profession. Il avait une formation classique, à la base. Quant à ma mère, si elle ne joue d’aucun instrument, elle reste une amoureuse absolue du jazz, donc, si tu veux, j’ai grandi dans un environnement où écouter de la bonne musique faisait partie du quotidien. De façon anecdotique, ma mère chante. Du gospel. Et en fin ma sœur cadette a fait du piano, d’abord en classique, et puis ensuite en jazz. Mais c’est pour le cercle privé, uniquement.
Et moi ? Eh bien, comme je te le disais, la musique se manifestera vraiment pour mes dix-huit ans. Ce qui ne m’a pas empêché, jusque-là, de me servir, et bien me servir, de mes oreilles : deux de mes oncles étaient régisseurs pour le compte du Festival d’Avignon et grâce à eux, j’ai vraiment profité de très belles choses artistiques diverses.
Quant à la guitare, elle viendra à moi via une rencontre exceptionnelle, avec un guitariste de jazz “manouche” – même si je n’aime pas de trop ce terme – qui va venir s’installer à côté de chez mes parents. Au fil du temps, mon père et lui ont commencé à faire de “petits bœufs” ensemble. Ah.. que je te dise son nom, quand même,. C’est Marc Roger, qui a créé le groupe “Soleil Nomade” dont je te reparlerai tout à l’heure. Marc faisait vivre la musique de Django. Il avait une guitare en plus, chez lui, et un jour il me l’a prêtée, en m’invitant, en plus, à apprendre quelques accords. A ce moment-là, nous étions en 2010, et je n’allais plus lâcher cet instrument.
M.M. : Tu te souviens de ton premier morceau ?
A.A. : Oui, bien sûr. La première mélodie que j’ai jouée, c’est le morceau Anniversary song – ou Les flots du Danube, parce que ce morceau porte les deux titres. Django l’avait adapté, avec son grand copain Hubert Rostaing à la clarinette, pendant la période que je préfère chez lui, à savoir la période 1947-1949. Ça reste pour moi un super souvenir, comment commencer mieux son rapport avec une guitare ?
Malgré tout, je continuai ma vie “normale” d’étudiant. Et, après mon Bac, je vais m’expatrier sur la ville de Tarbes, pour commencer des études d’ingénieur. Mais, tous les “mois et demi” environ, je me débrouillai pour revenir au bercail, pour d’autres cours avec Marc. La sauce avait bien pris. A Tarbes aussi, j’ai eu la chance de rencontrer deux ou trois groupes qui jouaient la musique de Django, et j’ai pu commencer à tourner un peu avec eux. C’est à cette période que je croiserai la route de mon ami clarinettiste Jean Clermont, qui jouait à l’époque avec le groupe “La Tchatche”. Et j’ai souvent eu l’occasion de “gratter” un peu avec eux sur scène. Ces quatre années que j’aurai passées à Tarbes seront remplies de belles rencontres et de beaucoup d’allers-retours aussi jusque dans ma ville de Campagnan. Une époque aussi dans laquelle je travaillais beaucoup mon instrument, et au début en total autodidacte.
Je te précise quand même que ma toute première expérience de scène, ce sera en compagnie de mon père et de Marc Roger qu’elle se produira. Mon père qui m’a transmis aussi l’amour de ses terres sétoises, Sète où je réside aujourd’hui, en ayant en quelque sorte, “bouclé la boucle”.
M.M. : Et puis, tu vas avoir une chance incroyable… hors de France….
A.A. : C’est vrai. Après mes études à Tarbes, pour la dernière année, en fait, je vais avoir l’opportunité de partir – dans le cadre d’un échange universitaire – à Medellin, en Colombie. Nous étions en 2015. Je vais passer toute une année là-bas. Et lorsque je suis parti, je suis parti SANS ma guitare, mais avec quand même un mediator dans la poche !
Quand on dit que “la Colombie baigne dans la musique”, je ne pensais pas que c’était à ce point-là. Une imprégnation “salsa” – que j’adore – très forte, sans compter toute leur musique traditionnelle, qui est vraiment très chouette.
Une fois sur place, j’ai contacté, via un réseau social, Facebook en l’occurrence, le “Django Festival Medellin”. Et une personne m’a répondu très vite, une personne que je rencontrerai très vite, et avec laquelle je me trouverai pas mal d’atomes crochus musicaux communs. Cette personne, c’était le directeur de ce Festival, Ludovic Dorkis, hyper passionné par son métier. Ludovic me sera en outre d’une aide précieuse – administrativement parlant – pendant toute la durée de mon séjour, qui s’était un peu prolongée. Mais c’est véritablement la musique de Django qui aura cimenté nos liens.
En septembre 2015, on va me proposer de participer à le seconde édition de ce super Festival. En accompagnant – rien que ça – le génial guitariste argentin, Gonzalo Bergara. Gonzalo, je le connaissais de réputation. Parce qu’il fait partie des “grands” de cette “filière Django”. Je te laisse imaginer ma joie. En plus, il venait avec un clarinettiste immense, Rob Hardt. Cette seconde édition aura été exceptionnelle, tant pour ses spectateurs que pour moi qui, pendant toute une semaine, aurai joué avec deux très grands musiciens qui auront, en quelque sorte, “dopé” ma propre motivation.
Je jouerai ensuite au sein de divers groupes “locaux”, dont “Caféine Manouche”, par exemple.
M.M. : Le retour en France a dû être dur….
A.A. : D’autant que, lorsque je rentre en France, après avoir engrangé nombre de voyages latino-américains, je vais travailler dans… le transport de marchandises. Mais ça ne durera que quelques mois, car la guitare s’était bien implantée en moi, et elle allait rapidement prendre le dessus dans ma vie.
Pendant mes années d’études, entre 2011 et 2015, je vais rencontrer Symon Savignoni. Une rencontre qui va déboucher sur une très forte amitié, Symon est mon “frère musical”, et cette amitié se forge, depuis, puisque nous jouons souvent ensemble, au sein de diverses formations.
En 2018, Symon devait aller jouer sur Lille, avec son “Symon Savignoni Trio”. Il m’avait demandé si cela me plairait de monter dans le Nord pour partager la scène et, dans l’intervalle, il a rencontré, dans notre région du sud, Emily Przeniczka – qui chantait alors au sein du groupe “Les Zazous”. Dès les premiers contacts, ça a matché entre nous et comme Emily venait du Nord, nous avons tenu à ce qu’elle nous suive dans notre périple lillois. Ça nous a permis, là-haut, de nous rajouter quelques dates, les débuts de notre association qui débouchera, par la suite, sur la naissance du “Swunky Long Legs”, un trio qui s’est assez vite transformé en quartet, lorsque Michel Crosio nous rejoindra.
Mais sur le moment, tous les trois, nous trois étions motivés pour grandir ensemble. On démarchait sans relâche, et tous les concerts qui se présentaient, on prenait ! Nous avons eu notre statut d’intermittents du spectacle ensemble et, quant à moi, c’étaient vraiment les débuts de ma vie professionnelle.
M.M. : Tu t’étais inscrit en école ou en conservatoire, plutôt ?…
A.A. : C’était quasi obligé. C’est à cette période, en effet, que je vais tenter le concours d’entrée du Conservatoire de Montpellier, en département jazz. Un département dirigé par Serge Lazarevitch. Je me suis inscrit pour les auditions, et puis je vais réussir cet examen, et démarrer des études, cette fois un peu plus poussées, musicalement parlant. Mais, avec un professeur comme Serge, c’était vraiment top. En plus, le pianiste Daniel Moreau nous assurait toute la partie “formation musicale”, l’histoire de la musique et aussi la partie “piano” car j’ai tâté un peu de cet instrument, aussi. Pour ma dernière année – c’était juste l’année dernière – c’est le vibraphoniste Samuel Mastorakis qui remplacera Daniel.
J’ai obtenu mon D.E.M l’an dernier mais, au-delà de ça, ces belles années d’études m’auront aussi et surtout apporté de belles rencontres musicales, comme celle avec Rémi Peleyras – qui a créé le groupe “Gramophone Stomp” dans lequel je joue, ou encore celle avec un guitariste fabuleux, Hugo Guezbar [NdlR : nous l’avions découvert en 2021 à Jazz sur les Places, voir ici]. Et puis, côté piano, je ne peux pas ne pas citer Auguste Caron, tellement il est talentueux. J’en aurais d’ailleurs encore beaucoup à te citer, mais la liste serait beaucoup trop longue.
M.M. : Et côté “pratique”… côté “scène” ?
A.A. : Eh bien, en parallèle à ces études, depuis cinq ans, je “fais le métier”. Au travers des groupes que nous avons déjà évoqués, le “Swunky” avec Emily, Symon et Michel, ou le “Gramophone Stomp”, qui est un quintet. Un quintet qui regroupe, outre Rémi et moi à la guitare, Fernando Morrison à la contrebasse, David Tavani à la clarinette, et Audrey Leclaire au chant, à la guitare, et aux claquettes.
Avec Symon toujours, nous avons monté récemment notre duo, exclusivement guitare, que nous avons appelé “Duie Chitarre” – qui veut dire “deux guitares” en langue corse, parce que je te rappelle que Symon puise ses origines dans cette superbe région. Notre répertoire, nous l’avons bâti autour de titres corses originaux, autour de quelques musiques de films italiens – ainsi, nos deux origines sont honorées – et autour de compositions personnelles. Inutile de te dire qu’on se régale à jouer ensemble. Depuis le temps, d’ailleurs, on se connaît par cœur. Nous préparons un album, du reste. Mais on pourra peut-être en reparler.
Avec le “Swunky Long Legs”, on a beaucoup tourné, dans notre version quartet. Jusqu’à Paris. Et puis, on a voulu tenter l’expérience de monter la formation en septet. En rajoutant une contrebasse, menée par Yoann Godefroy, un sax alto avec aux commandes Emilien DeBortoli, et une trompette avec Aurélien Deltoro. J’aime travailler sur les relevés, les arrangements, pour ce septet. On a fait une résidence, dernièrement, et un disque live est sorti récemment. Aujourd’hui, nous sommes en période de renouvellement de répertoire, mais nous continuons à nous produire, que ce soit en quartet ou en septet.
Avec le “Gramophone Stomp”, nous avons sorti un album studio, en 2021, un album éponyme. C’est chaque fois un bonheur de jouer ensemble, même si, pour le moment, notre activité est un peu ralentie. Dans ce groupe, on est sur des standards avec un son peut-être plus acoustique que dans le “Swunky”. Plus traditionnel, je dirais.
Et puis, comme je te l’avais dit, j’en reviens à Marc Roger. Il a aujourd’hui “levé le pied”, et il m’a fait la joie de “me passer son flambeau” dans son groupe “Soleil Nomade” et la place du guitariste. Vraiment top. C’est un quintet dans lequel je suis entouré de Laurent Clain, à la contrebasse, de Nicolas Sausa à la guitare rythmique, de Carole Cottel au chant et de François Fava aux sax ténor et soprano. François qui écrit beaucoup pour ce groupe, qui peut “arranger” un poème d’Apollinaire comme mettre des mots sur des morceaux comme Minor swing ou Songe d’automne.
M.M. : Tu as des groupes à ton nom ?
A.A. : Oui, je fais en plus pas mal de concerts sous mon nom, avec le Arthur Anelli Trio, ou le Arthur Anelli Quartet. D’ailleurs très bientôt, je vais en produire un – les 23 et 24 février prochains – avec le vibraphoniste Tristan Bernoud.
Quant à te citer les musiciens qui m’entourent, la liste serait trop longue. Parce que mes groupes sont “à géométrie variable”. Mais dis-toi que ce sont tous des musiciens de grand talent. On a la chance d’avoir, entre Montpellier et Sète, un vivier terrible de super musiciens.
D’ailleurs, tu connais la célèbre photo de Art Kane qui s’intitule “A great day in Harlem” ? Il avait fait un “portrait photographique” de 58 jazzmen sur un trottoir de la 126e Rue, à Harlem (voir ici)… Eh bien, en “hommage”, on s’est amusés à reproduire cette photo, avec des musiciens de Montpellier. Nous étions quatre-vingts musiciens, et nous n’étions pas tous là ! Tous passionnés de swing, et de jazz. Tu comprends mieux pourquoi je n’ai aucun mal à inviter des musiciens sur mes concerts.
Et juste un dernier point : je fais aussi des concerts pour la danse. Pour le lindy-hop. C’est génial.
Propos recueillis le lundi 13 février 2023.
Les entretiens avec les copains sont toujours extra. Surtout quand ce sont des “pointures” musicales. Merci pour ton accueil très fraternel, à ton image. Merci pour ce que tu nous offres, du bout des doigts, aux commandes de ta guitare, et à très vite sur de nouveaux projets…