Jazz Rhône-Alpes ouvre cette fois ses colonnes à une musicienne “instinctive”. Aux commandes d’un “soufflant”, elle affiche une remarquable aisance et, si on la connaît aujourd’hui comme clarinettiste, elle se défend tout autant au saxophone….
Entretien avec Aurélie Tropez
Une belle route musicale entre jazz et Brésil…..
Michel Martelli : Aurélie, tu es originaire d’une belle région. C’est là que la musique t’appellera ?
Aurélie Tropez : Oui, mais cela mettra un peu de temps. Je suis née à Colmar, dans le Haut-Rhin, dans une famille musicale, oui, mais en fait, nous avons quasiment tous commencé ensemble. Mon père, d’abord, qui joue du sousaphone – encore aujourd’hui, et aussi ma petite sœur Déborah qui, elle, est batteuse. On peut dire, oui, que notre père aura été à l’initiative de notre passion. Et si ma sœur, aujourd’hui, consacre le gros de son temps à son métier – elle est psychologue – la musique est toujours présente.
Dans le village où nous habitions, une école de musique s’est ouverte, sous la direction d’un professeur de clarinette. Du coup, mes parents vont nous y inscrire, moi en classe de clarinette et ma sœur, quelques temps plus tard, lorsqu’un professeur de guitare arrivera, car c’est sur cet instrument qu’elle a débuté.
Moi, j’avais, à ce moment-là, huit ans et je me dois de dire que je détestais ça ! Dans cette école, je n’étais pas du tout motivée. D’ailleurs, plus petite, côté musique, je rêvais plus de flûte traversière. Pourtant, je vais rester dans cette école presque six années et il faut bien le dire, sans faire trop de progrès.
M.M. : Comment se fait le “déclic”, alors ?
A.T. : Mon père a commencé à faire de la musique au sein de la “fanfare” du village, une formation où plusieurs familles se retrouvaient, et, dans l’une d’elle, celle qui deviendra une très grande amie. Un peu plus motivée, j’ai assez vite intégré cette fanfare “familiale”, moi aussi et ainsi, très vite, j’ai compris que la musique pouvait être, aussi et surtout, plaisante. Très vite, avec cette formation, nous toucherons à l’univers du jazz, et nous irons le jouer “en animations de rue”, et notamment pour le Festival de Megève. Là, j’avais quoi ? Douze / treize ans, mais j’étais ravie de participer à cette aventure. Surtout que je jouais avec mon amie, mon père, ma petite sœur.
Après l’école de musique alsacienne, je vais mettre le cap sur Antibes, et sur son Conservatoire, et ça, dès la fin du collège. Là-bas, je vais entrer en classe de jazz, avec Gérard Ramos qui y était mon professeur. mais en parallèle, j’étais en classe de saxophone classique. Car le jazz, il se manifestait, à ce moment-là, via le Big Band du Conservatoire, dans lequel je jouais de la clarinette, comme du saxophone. Ce Big Band était vraiment “à géométrie variable”. Jamais le même nombre de musiciens, mais nombreux, en tous cas.
En parallèle, je faisais toujours partie de l’orchestre “Les Jazzticots” de mon père – qui en était le leader. Avec son ensemble, nous avons fait de très nombreux concerts.
M.M. : Tu as beaucoup bougé… et une fois encore, pour ton lycée.
A.T. : Disons que, pour mon entrée au lycée, je voulais faire “musique-études”. Et pour ça, j’ai décidé de m’expatrier sur Nice où j’intègrerai le Conservatoire, pour des études qui resteront surtout centrées sur le “classique”. Je ne peux pas dire que j’ai “étudié” le jazz. Je dirais plutôt que le jazz a toujours été, chez moi, “spontané”. Là-bas, au Conservatoire de Nice, j’ai croisé la route de Vincent Peirani, qui y étudiait déjà depuis un an ou deux. Mon professeur était François Léclaircie. Dans cet apprentissage classique, il m’a tout apporté : la base de l’écoute, de la justesse… un enseignement très strict que lui-même tenait de Claude Delangle. Avec François, c’était huit heures d’enseignement par jour, mais si ça avait pu être vingt heures, c’aurait été vingt heures ! Il a fallu s’accrocher mais, au final, je ne regrette absolument rien.
Je resterai cinq ans au Conservatoire de Nice, d’où je sortirai avec mon Prix (ou Médaille d’Or si tu préfères) de saxophone classique, et un Prix aussi en “Musique de chambre”. Pourtant, ces deux récompenses obtenues, je vais ranger mon saxophone au placard !
M.M. : Le jazz s’imposait trop ?
A.T. : Le jazz, il était toujours très présent, d’abord parce que les “Jazzticots” n’avaient pas quitté ma vie. Mais, après mon passage niçois, je vais aller sur Aix-en-Provence. Et là, au Conservatoire, je rentrerai dans la classe de Jean-François Bonnel, et je découvrirai un tout autre monde, vraiment génial. Mais, comme je l’ai évoqué, je faisais tout “d’oreille”. Ca veut dire que je ne relevais aucun morceau, ça veut dire que je ne savais pas “lire une grille”. Pour tous ces domaines, Jean-François va vraiment “me prendre par la main” pour m’accompagner dans l’apprentissage du jazz, en m’en apprenant tout le vocabulaire…
Côté groupes, pour la pratique, et outre les “Jazzticots”, je participais à un nombre important d’orchestres. Ce serait fastidieux de tous te les énumérer, mais je voudrais quand même citer les “Red Hot Reedwarmers” – un groupe qui se dédiait à la musique de Jimmy Noone [NdlR : clarinettiste américain de la première moitié du XXème siècle], une formation dans laquelle j’ai joué une bonne dizaine d’années.
Et puis, dans la classe de Jean-François, un projet a vu le jour, un projet autour de la musique de John Kirby [NdlR : tubiste, contrebassiste et chef d’orchestre américain de jazz de la première moitié du XXème siècle], que l’on avait appelé le “Kirby Memory”. A la base, c’était donc l’orchestre du Conservatoire – une formation en septet – qui a joué ce projet. Pédagogique d’abord, mais qui a évolué par la suite. Un projet très sympa, en tout cas.
M.M. : Et puis, nouveau départ… plus “capitale” ?
A.T. : Lorsque les trois années dans la classe de Jean-François Bonnel se sont achevées, je suis repartie, c’est vrai, cette fois sur Paris, où je vais aller m’inscrire au Conservatoire de Paris IX, dans la classe, d’abord et pendant deux ans, du saxophoniste Nicolas Dory, puis ensuite dans celle d’André Villéger – immense clarinettiste et saxophoniste. Inutile de dire que ce furent de beaux moments.
En parallèle au Conservatoire, aussi, j’ai commencé à rencontrer plein de belles personnes, dont Laurent Mignard – et son “Duke Orchestra” que je vais intégrer en 2008, et qui va faire enchaîner les rencontres encore comme celles avec Nicolas Montier, avec Didier Desbois, Julie Saury, Philippe Milanta ou Bruno Rousselet. Vraiment une très belle opportunité pour moi.
Outre ce magnifique orchestre, je participais à divers autres ensembles, qui m’ont fait visiter pas mal de pays d’Europe. et aussi, c’est à cette époque que je jouerai avec Marc Laferrière, et son fils Stan, qui deviendra mon beau-frère par la suite.
M.M. : Cet été, le Festival “Parfum de Jazz” va avoir la joie de t’accueillir. Sur quel projet ?
A.T. : Déjà, je voudrais te dire qu’avec mon compagnon, Alexis Lambert, nous avons monté un projet autour des musiques traditionnelles brésiliennes des années vingt. Alexis est multi-instrumentiste, accordéoniste, guitariste, pianiste.
Ce projet, nous l’avons fait grandir, parce que s’y sont greffées certaines de mes compositions, et il a évolué en mon propre groupe – “Aurélie Tropez Quintet – Open the door”.
Et si la musique a été enregistrée avec une formation en octet, sur scène, nous nous produisons soit en quartet, soit en quintet, selon le cas.
Pour “Parfum de Jazz”, nous arriverons dans notre formule quintet : Alexis sera au piano, comme à l’accordéon, moi je serai à la clarinette, et puis tu trouveras Anthony Muccio sera à la contrebasse, Christophe Davot sera à la guitare et Julie Saury à la batterie. Ce sont tous des musiciens merveilleux, et nous sommes tous super contents de (re)venir en Drôme. Je dis “revenir” parce qu’à Parfum de Jazz, j’ai déjà eu la joie d’y venir – avec Laurent Mignard, notamment. Là, ce sera la première fois que j’y jouerai sous mon nom. C’est top. Surtout qu’il me semble que nous nous produisons la même soirée que Louis Sclavis. Ca aussi, c’est génial.
Nous oscillerons entre standards du jazz, compositions d’Alexis, et les miennes. L’enregistrement, en formule “octet” a déjà quelques années, mais Alexis et moi avons sorti – il y a tout juste huit mois – un autre album, en duo cette fois, autour de cette super musique brésilienne. Que nous serons ravis de vous faire partager.
Propos recueillis le jeudi 23 mars 2023
Hâte. Hâte de pouvoir t’écouter sur ce répertoire sud-américain qui nous apporte tant de belles musiques. Merci de m’avoir ouvert la porte de ton univers, et à très vite !