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Entretien avec Bastien Ballaz

Bien que né au cœur de la Haute-Savoie, à Annecy, c’est dans la cité phocéenne qu’il va grandir, tant humainement que musicalement. S’il fait partie du quatuor magique de l’Amazing Keystone Big Band, cet explorateur n’en continue pas moins à creuser d’autres directions musicales…

 

Bastien Ballaz

Un trombone de toutes les couleurs

 

Michel Martelli : Bastien, le trombone et toi, c’était un peu prédestiné, non ?

Bastien Ballaz : On pourrait le penser, oui. Car mon père était trombone solo à l’Opéra de Marseille. Et puis, côté musique, c’est pas tout. Ma mère est pianiste, ma sœur est violoniste – dans l’orchestre d’Helsinki – et ma compagne est violoniste également… Tu vois, peu de chance que j’échappe au milieu… En fonction de mes parents et de leur investissement musical, tu imagines que j’ai eu un parcours très « académique ». Mais, en même temps, j’ai toujours été bien orienté.

L’univers de la musique, c’est à Marignane qu’il va commencer pour moi. Et dis-toi que mon instrument de départ n’était pas le trombone. A l’âge de six ans, je commence par… les percussions. Et tous les types de percussions, pas que batterie. J’adorais le vibraphone. Le trombone, ce n’est qu’un an plus tard, donc à l’âge de sept ans que je vais le commencer. Avec mon père derrière moi, tu penses bien. A Marignane, mon professeur s’appelait Yves Laplane. Il était lui-même pianiste, mais c’était surtout un sacré pédagogue, qui m’a donné des bases hyper solides. J’étais déjà à cette époque très « marqué » jazz. D’abord parce que mon père, à la maison, écoutait énormément les morceaux où on pouvait entendre les plus grands trombonistes de jazz. Ça aide. Mais, en réalité, j’ai dans mes premières années, toujours mené de front mon apprentissage en « classique » et mon apprentissage en « jazz ». Ce qui n’est pas forcément évident, parce que tu as dans ces domaines, deux approches différentes de ton instrument….

 

M.M. : Après l’école, le Conservatoire ?

B.B. : Le Conservatoire de Marseille, oui. Je vais y rentrer alors que j’ai quatorze/quinze ans. Et là, j’entre dans une section « classique » et je vais me focaliser sur le trombone. J’ai donc derrière moi presque dix ans de percussions, quand même. J’insiste là-dessus parce c’est une expérience qui m’a, tout de même, beaucoup aidé. Et d’ailleurs, je ne désespère pas de m’y remettre un jour… Bon, il a quand même fallu que je pense aussi à passer mon Bac, que je vais obtenir en section scientifique, car j’aimais particulièrement la physique et la chimie… Mais après ça… je crois que mon cursus « jazz » va véritablement démarrer parce qu’après l’obtention de mon Bac, je m’étais donné une année pour voir comment, musicalement, les choses allaient évoluer. Je vais avoir Philippe Renault comme professeur, dans ma classe de jazz à Marseille. Et par la suite, lorsque j’entrerai, aussi, au Conservatoire de Paris, j’aurais la grande chance d’avoir Jacques Mauger, qui est un grand soliste international, en tant que professeur. Comme tu vois, j’ai eu  d’excellents mentors…

 

M.M.: Et, bien sûr, commence le temps des premiers groupes…

B.B. : Oui, bien sûr, c’est à Marseille que les premières rencontres vont s’enchaîner. Mais il faut te dire que, dans ce Conservatoire, ça fonctionnait comme nulle part ailleurs. La classe était un peu organisée comme un work-shop. Y entraient des groupes entiers. En fait, nos professeurs faisaient du « coaching de groupe ». Il faut savoir que Marseille a été la première classe de jazz en Europe, créée par Guy Longnon – le père de Jean-Loup Longnon. Dans cette période, je vais rencontrer Clovis Nicolas, contrebassiste, les sax Raphaël  Imbert et  Olivier Temime,  et puis c’est là également que je vais monter « Edeil Trio », en compagnie de Samuel Favreau à la contrebasse et de Wim Welker à la guitare électrique. Un trio sans batterie et surtout un des rares où j’ai été leader. Parce que je reconnais que je préfère jouer en sideman et, à ce titre, j’ai pu intégrer de beaux ensembles, comme par exemple le Sylvia Versini Octet, le « Kami Quintet » où Pascal Charrier était le « lead » avec sa guitare électrique. Un groupe dans lequel je suis resté presque dix ans et où l’on proposait de la musique très  énergique. Et puis encore quelques big bands, ici ou là.

 

M.M. : Et puis tu quittes les bords de la Méditerranée…

B.B. : Oui,  je vais quitter Marseille dans le cadre du programme Erasmus qui va me permettre d’émigrer à Bruxelles. Où je vais atterrir au Conservatoire Royal de Bruxelles avec Phil Abraham comme prof  de trombone. Là-bas se feront encore d’autres rencontres, bien évidemment. A l’issue de cette période, je vais réussir – nous sommes en 2007 – le concours d’entrée au C.N.S.M.D. de Paris. Et donc entrer dans cette école prestigieuse. Le vrai début, à mon sens, de mon parcours professionnalisant. C’était vraiment une adresse où je voulais être, et je vais y passer, dans un premier temps, quatre belles années dans une émulation terrible, avec une concurrence saine et puis, bon, on était à Paris….

En plus, d’excellents (futurs à l’époque) musiciens seront de ma promotion. A commencer par Fred Nardin, et puis, un peu plus tard, des copains comme Jon Boutellier et David Enhco… tu vois ce qui se dessine… Mais je dois dire aussi qu’ à cette période, je me suis ouvert à beaucoup de styles de musique différents, par goût personnel. Ce qui m’a permis aussi de rencontrer de multiples profils de musiciens aussi très différents..

Donc, tu l’as compris, c’est là qu’en 2010 va naître « The Amazing Keystone Big Band », entre Fred, Jon, David et moi. Mais c’est aussi le moment où je vais rejoindre le groupe « Ping Machine », un groupe qui n’existe plus aujourd’hui, dont le chef de projet était Fred Maurin – guitariste – qui est maintenant directeur artistique de l’Orchestre National de Jazz. Suite à son départ « Ping Machine » s’est arrêté, mais j’y ai passé presque dix ans, avant de tourner cette page…

 

M.M. : Le C.N.S.M.D. t’ouvre d’autres voies ?

B.B. : Bien sûr. En 2009, le C.N.S.M.D. va m’envoyer participer à « l’European Jazz Orchestra », une formation qui, chaque année, réunissait des musiciens de toute l’Europe. Un big band de vingt musiciens et quasiment vingt nationalités différentes. L’expérience a duré trois semaines. Tu comptais une semaine de préparation et deux semaines de tournées. Nous avons pu aller du Danemark jusqu’en Bulgarie, en 2009, et notre directeur artistique était Peter Herbolzeimer, qui était très connu dans le monde du jazz d’Europe de l’Est, également un excellent arrangeur, qui est aujourd’hui malheureusement décédé. Voilà une expérience qui a aussi beaucoup influencé ma carrière de sideman et qui m’a, d’une certaine façon, « spécialisé » dans les grands ensembles, comme le « Paris Jazz Big Band », ou l’orchestre d’Yvan Jullien, ou encore le « Gil Evans Paris Workshop » de Laurent Cuny. Et puis le « Vintage Orchestra » aussi, un super ensemble où on explore, entre autres, la musique de Thad Jones… et, un petit dernier pour la route, le « Laurent Mignard Duke Orchestra » qui joue du Duke Ellington.

Tu vois, beaucoup de participations, mais qui demandent beaucoup de temps, en plus de celui que je consacre au Keystone, pour les arrangements…

 

M.M. : Le « classique » a toujours été là, en toi ?

B.B. : Il n’a jamais été très loin, en fait. Côté jazz, j’ai eu la chance d’avoir autour de moi des gens comme Glenn Ferris qui a été mon prof de trombone, Riccardo del Fra, qui était notre chef du Département et qui nous a dirigés sur certains projets particuliers – j’ai pu, grâce à lui partir au Panama, et surtout François Theberge qui a été mon prof d’arrangements. François, je lui dois énormément. Je crois que, si je n’avais pas croisé sa route, je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui. Même si j’ai toujours aimé écrire. Son apport a été indéniable.

Et donc, en parallèle, oui, mon cursus classique m’a permis de jouer dans l’orchestre du théâtre du Châtelet, pour accompagner des comédies musicales, ou encore sur le spectacle « Chicago » qui était joué au Théâtre Mogador. Je me considère comme très chanceux d’avoir pu participer à de tels projets, je t’ai dit, déjà, que j’aimais participer à des projets très divers.

En réalité, lorsque tu interprètes une comédie musicale, c’est un « plus » d’être jazzman.

 

M.M. : Un mot, sur ton statut de professeur ?

B.B. : A la fin de mon cursus au C.N.S.M.D., je re-signe pour trois ans supplémentaires, afin de suivre la formation diplômante pour devenir professeur. Comme j’avais postulé pour Lyon, je vais y arriver, en 2012, au département jazz bien sûr, où je donne des cours de « cuivres jazz », d’arrangements… et bien sûr une implication dans le Big Band du Conservatoire. Je considère comme une chance de pouvoir faire ce lien entre le musicien et le professeur. Déjà, de nature, je suis quelqu’un qui aime transmettre, et puis cette position est propice à la réflexion. Je peux te dire que, depuis que je donne des cours, je progresse. On passe par des introspections qui sont, au final, très bénéfiques pour nous. Et puis nous sommes dans la région Rhône-Alpes qui est un vivier extraordinairement actif sur le plan musical.

 

M.M. : « Keystone » va vous apporter une Victoire du Jazz, en 2018. Ton ensemble fétiche ?

B.B. : Bien sûr que l’on a été ravis de recevoir cette récompense qui a couronné plusieurs années de travail. « The Amazing Keystone » oui, c’est notre beau bébé. Un bébé qui est né un soir à Paris, alors qu’on se fait une session chez David. Fred et moi avions des devoirs d’arrangements pour le C.N.S.M.D. On était dessus et puis on s’est dit « pourquoi on ne se monterait pas notre Big Band ? ». A partir de cette idée lancée, la sauce a pris très vite : on avait là l’occasion de jouer nos propres arrangements.

Notre premier concert a eu lieu le 26 avril 2010 à « La Clé de Voûte ». Un concert 100% compositions et arrangements personnels. Ce soir-là, ça a marché du tonnerre. Le public se marchait dessus… A tel point qu’on a pris l’engagement d’assurer au moins un concert par mois à Lyon, à « La Clé de Voûte » (voir la chronique de Philippe Maniez). « Keystone » était aussi notre laboratoire où on a pu étendre notre métier d’arrangeurs…

En 2012, Jean-Paul Boutellier, le père de Jon, nous propose de « présenter l’orchestre de jazz » – sur la scène de « Jazz à Vienne » – au travers d’une adaptation de « Pierre et le loup » de Prokofiev pour big band (voir la chronique d’Eve Robin). Il se trouve que j’étais très branché « arrangeur de pièces classiques », nous avons donc relevé ce défi et cela a été le véritable départ de «The Amazing Keystone Big Band ». Pour la petite histoire, les héritiers de Prokofiev nous ont donné leur accord pour que nous puissions en faire un album. Avec « Pierre et le loup », nous avons donné cent trente concerts dans une année.

Mais il n’y a pas que ça, sur la carte de visite du groupe : tu as nos compositions personnelles, notre interprétation d’autres répertoires – comme celui de Quincy Jones – et, donc, les projets à destination des jeunes publics. Après « Pierre et le loup », nous avons revisité Saint-Saëns et son « Carnaval des Animaux », et puis bâti deux projets sur deux grandes personnalités du jazz, Django Reinhardt et Ella Fitzgerald.

Nous avons une dizaine de disques aujourd’hui, à notre actif.

Ce qu’il faut souligner aussi, c’est que ce big band, à deux ou trois exceptions près, est aujourd’hui dans la composition qu’il avait il y a dix ans. Nous déplacer représente une lourde logistique car nous sommes une vingtaine sur la route. Mais c’est aussi une vraie famille.

Cette Victoire du Jazz a été une belle récompense pour nous, c’est vrai. Mais, des récompenses, nous en recevons chaque fois que l’on voit le sourire des enfants au sortir de l’un de nos concerts. Ça aussi, c’est très important. Nous nous sommes produits sur tout l’Hexagone. A l’international, c’est plus compliqué, même si nous avons présenté « Pierre et le loup » en Allemagne. Et en Angleterre, sur notre bande son évidemment, c’est l’acteur anglais David Tennant qui a prêté sa voix au spectacle. Car oui, sur ces spectacles, il y a systématiquement un récitant. Pour « Pierre et le loup », ça a été Denis Podalydès (et Leslie Menu), sur le « Carnaval des Animaux », c’était Édouard Baer, pour « Django », c’était Guillaume Gallienne et pour « Ella », Vincent Dedienne.

Les livres-disques issus de nos créations sont de beaux objets pour les enfants… et une dernière (demi-)info : notre nouveau projet, en partenariat avec Hachette-livres, est en cours. Normalement prévu pour l’automne 2020. Mais… je ne te dis rien pour le moment, juste que nous serons là autour d’un grand classique de la littérature…

 

M.M. : Un dernier mot, « coup de cœur » peut-être ?

B.B. : Je vais terminer par un projet que j’ai créé, il y a presque deux ans, à savoir le trio Uncle. Il réunit autour de moi Jérôme Mourier à la batterie, et Denis Frangulian à la basse électrique. Ce que l’on y propose est un véritable contre pied à ce que je peux proposer au travers du Keystone, où l’on est très acoustique. Avec B!M on est dans un son plus simple, très électronique. Notre album, « 4.06 a.m » devrait sortir cet automne…

Quand je te disais que j’étais très éclectique…

 

 

Propos recueillis le jeudi 30 avril 2020.

 

 

Encore un musicien – de surcroît jeune papa – riche d’une culture musicale importante, et en même temps d’une simplicité très agréable, puisque c’est celle qui construit les grandes personnes.

Merci pour cet échange, Bastien, qui aura été un moment très plaisant.

Et merci à mes deux complices, André Henrot et Franck Benedetto qui ont pourvu à la qualité photographique de cet entretien.

Ont collaboré à cette chronique :