Avec cet entretien nous entamons un cycle de rencontres avec les directeurs (artistique, programmateur, directeur “tout court”) de nos festivals régionaux, histoire de faire plus ample connaissance avec leur personnalité et leur métier.
Il est né en Bretagne, dans le Finistère, à Loperhet – phonétiquement intéressant quand on aime la musique – un petit village à quinze minutes de Brest. Son parcours s’est bâti pierre après pierre, jusqu’à lui faire décrocher le poste de Directeur Artistique du Festival « Jazz à Vienne », véritable « multinationale » ouverte à toutes les frontières, qu’elles soient géographiques ou artistiques.
Parole de Directeur : Benjamin Tanguy pour « Jazz à Vienne »
Michel Martelli : Benjamin, comment se développe ton amour pour la musique ?
Benjamin Tanguy : J’ai grandi dans une famille qui était très sensible aux spectacles vivants, aux festivals de rue. Je viens d’une région où l’on peut trouver la scène « Le Quartz » – à Brest – qui a suscité depuis longtemps un engouement musical très fort dans la région avec la programmation de spectacles ou de concerts extraordinaires.
A la maison aussi, nous écoutions « Radio Neptune » qui réservait chaque jour toute une moitié de sa programmation au jazz. Et puis enfin, j’avais un oncle qui par le biais de l’association « Aprèm Jazz » de Quimper, organisait des spectacles. C’est lui qui me fera découvrir les Sonny Rollins, Miles Davis ou John Coltrane.
Donc, d’entrée l’envie a été très forte, grâce à tous ces facteurs. Gamin, bien sûr, j’ai eu droit à l’éveil musical, en école de musique. Pourtant, je dois confesser que mon intérêt pour le solfège n’était pas très important. Quelques années plus tard, je vais découvrir le saxophone. Quand tu découvres un instrument, il y a très souvent un album, ou un concert qui te marquent et te poussent à poursuivre. Moi j’ai eu la chance de connaître les deux. L’album, c’était « A Love Supreme » de John Coltrane, et quant au concert, ça a été celui donné par le batteur Elvin Jones et son ensemble, en Suisse. Ce jour-là, j’ai pris une grosse claque émotionnelle. Je croyais voir sur scène un mec de trente ans à peine, il en avait en fait plus de deux fois plus.
M.M. : Qu’en as-tu retenu ?
B.T. : Que la musique peut transcender les gens. Je découvrais là toute la puissance de cette musique, tant sur les auditeurs que sur les musiciens. Je pressentais déjà que le jazz allait me marquer toute ma vie. Mais je ne me suis pas cantonné à ce seul univers pour autant. Vers l’âge de neuf ans, je vais découvrir le hip-hop au travers de l’album d’ IAM « Ombre et Lumière », une découverte qui m’entraînera ensuite sur les pas de Brandford Marsalis… Pour moi, c’était clair, le jazz et le hip-hop seraient mes deux piliers de vie. Il ne pouvait en être autrement.
Pour le sax, après l’école de Loperhet, ce fut celle de Landerneau… et puis, scolairement, après avoir obtenu mon Bac section ES, je suis parti faire un BTS de Communication en Entreprises sur Brest. Là, musicalement, je monterai deux groupes dont l’un qui n’a pas mal tourné du tout, qui s’appelait « Indeekha » – un groupe d’influence très « Portishead » avec quelques petits traits de jazz aussi… Mais ce que je retiens dans tout ça, c’est que, déjà, je m’occupais de tout le côté administratif pour que vivent ces groupes.
Du reste, après l’obtention de mon BTS, je me suis posé la question : est-ce que je continue la pratique de mon instrument, ou bien vais-je œuvrer pour les musiciens d’une autre façon ? Très rapidement, je vais opter pour la seconde solution.
M.M. : Et tu vas radicalement émigrer pour ça…
B.T. : C’est vrai, oui, puisque de Brest, je vais me retrouver… à Nîmes. En I.U.P – Institut Universitaire Professionnalisant. Dès la première année dans cette structure, on nous avait demandé de réaliser le « portrait » d’un métier, et tu imagines que mon choix s’est bien sûr tourné vers la promotion d’artistes. De plus, sur la ville, il existait deux associations très importantes, tournées vers le jazz : d’abord Jazz 70 – où le regretté Guy Laborit a joué un grand rôle, et puis « L’Agglo au rythme du Jazz », qui est devenu aujourd’hui le « Nîmes Métropole Jazz » Dans ces associations, je vais rencontrer Stéphane Kochoyan, connu en tant que pianiste, bien sûr, mais aussi, après Guy, comme Directeur Artistique de « Jazz 70 ».
Dès l’année suivante, je serai bénévole pour l’association, et je serai même « l’assistant » de Stéphane sur les divers festivals dont il assurait la direction artistique comme celui d’Orléans, celui de Barcelonnette… en fait, il avait beaucoup d’activités, et mon aide, ma présence sont bien tombées à ce moment-là, autant pour lui que pour moi. Parce que tu imagines que j’ai beaucoup appris dans cette période.
M.M. : Comment cette route va-t-elle t’amener à Vienne ?
B.T. : Il y a eu, d’abord, l’association « Idylo ». A la base, cette association était un projet étudiant. Et puis, avec un collègue, je l’ai reprise pour en faire une « association laboratoire », dont le but serait de mettre en avant des styles musicaux « non médiatisés ». Sur cette ligne de conduite, nous avons monté plein de « festivals » de divers genres, dont certains ont super bien marché, d’autres un peu moins bien. Mais cette expérience, que l’on gérait à deux simplement, a été, elle aussi, très formatrice.
Tu me demandes comment le lien se fait avec Vienne… eh bien, pendant ma dernière année d’étudiant, je vais avoir six mois de stage à faire. Nous sommes là en 2009, et ces six mois de stage, je vais aller les faire dans le cadre de « Jazz à Vienne ». J’avais commencé à semer mes graines.
Parce qu’en 2010, je reviendrai à Nîmes, pour travailler avec Stéphane, et notamment sur une exposition retraçant quarante années de l’histoire du jazz sur Nîmes. Une exposition qui a été passionnante à monter de bout en bout, avec énormément de vidéos, et la rétrospective de tous les musiciens qui avaient fait l’histoire gardoise de cette musique. Savais-tu qu’à une époque, il n’y avait pas moins de sept clubs de jazz, sur Nîmes ?
Et puis, comme suite à mes six mois passés en Isère, mon maître de stage va me prévenir qu’un poste de chargé de projet va se libérer à Vienne. Je vais évidemment répondre à cet appel à candidature et, en septembre 2010, j’intégrerai la « team » de « Jazz à Vienne ».
M.M. : « Jazz à Vienne » était une association, à la base ?
B.T. : Oui. Une association de plus de trente ans. Le fondateur du Festival, c’est bien sûr Jean-Paul Boutellier. De son statut d’association, « Jazz à Vienne » s’est ensuite dirigé vers un statut d’E.P.I.C – Établissement Public Industriel et Commercial. Côté fonctionnement, ça ne changeait rien. On devenait une institution publique, en revanche. Et le premier directeur n’aura fait qu’un bref passage. En 2012, Stéphane Kochoyan sera nommé Directeur. Et très vite, il souhaite monter un Comité de Programmation où tu pourras retrouver Jean-Paul Boutellier, Jean-Pierre Vignola (son bras droit), Reza Ackbaraly… et moi.
Plus on va avancer dans le temps, plus on va me donner du poids, et des responsabilités. D’entrée, je devais gérer les spectacles jeunes publics, l’académie, les fanfares… entre autres… et puis cela a évolué vers le « Club de Minuit », et puis la saison…
Depuis, la structure a mis sur pied bien d’autres projets. Parmi eux, le « Jazz à Vienne in Paris » par exemple, ou encore, suite au « Jazz Day » conçu par l’UNESCO (et Herbie Hancock) pour la date du 30 avril, le « Jazz Day à Lyon » qui regroupe aujourd’hui plus de quatre-vingts acteurs du jazz, culturels, sociaux… sur diverses grandes villes de la Région Rhône-Alpes. Nous, nous gérons en plus la communication entière de cet événement.
Je vais aussi très vite proposer des artistes pour le « Théâtre Antique », de la nouvelle génération.
M.M. : Quand prendras-tu tes fonctions de Directeur Artistique ?
B.T. : Stéphane Kochoyan va quitter « Jazz à Vienne » en 2015. Et du coup, pour l’organisation de l’édition 2016, la Direction va « se scinder en deux », avec Samuel Riblier en tant que Directeur Général et moi comme Directeur Artistique.
Avec notre collaboration avec le Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême, nous changerons notre identité graphique.
Nous allons également développer nos partenariats à l’international, notamment au Japon, avec le Tokyo Jazz Festival, aux Etats-Unis avec l’Apollo Theater de New-York, au Brésil aussi… Dernièrement, nous avons créé encore deux événements : le « Jazz à Nouméa » en Nouvelle-Calédonie, et « Jazz à Val Thorens », en Savoie.
Mais, je crois que ce qui est important pour nous, c’est de pouvoir ainsi « croiser » différents styles de musiques, et, plus encore, différents styles artistiques et donner leur place à d’autres manifestations, comme la danse, le Salon B.D et Jazz, des séances de cinéma, la poésie, les expo-photos.
Tous des projets originaux, et uniques.
M.M. : Si tu devais ne retenir qu’un concert, qui t’a véritablement marqué, ce serait lequel ?
B.T. : Nous avons vu de belles choses sur nos scènes… mais je crois que le concert qu’a donné Roy Hargrove, en 2009, a été très marquant pour moi. C’était pour lui une sorte de «carte blanche.», avec son jeu au milieu du Big Band en première partie, et avec son groupe « The RH Factor » en seconde – plus funk, néo-soul.
Ce soir-là, il y avait eu un gros brassage de public et, malgré la pluie qui nous était tombée dessus, ce public-là n’avait pas cessé de danser sur cette musique qui, je le crois toujours fermement aujourd’hui, a encore de très beaux jours devant elle.
Elle est dynamique, généreuse… et puis la nouvelle génération de musiciens ouvre encore d’autres belles fenêtres.
Tout ça fait que, mais tu t’en doutes, on se sent très bien dans ce Festival de « Jazz à Vienne » qui dure seize jours, quand même.
Propos recueillis le mardi 23 juin 2020
Benjamin, tu auras « essuyé les plâtres » pour cette extension d’interview en direction des présidents/directeurs de festivals de notre belle région Rhône-Alpes.
Ce moment aura été court, mais riche, et c’est un plaisir de te connaître. Grâce à votre action, « Jazz à Vienne » procurera encore longtemps de beaux moments de jazz…
Au plaisir de t’y croiser…