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Entretien avec Camille Bertault

Ces colonnes ont un certain pouvoir magique. Elles permettent de « faire une halte » auprès de musicien(ne)s, de se poser, et de créer des moments uniques oscillant entre empathie et profession.

Pour celui-ci, c’est une musicienne, et chanteuse, hors pair qui nous a ouvert ses portes. Avec une grande simplicité, à la hauteur de son talent…

 

Camille Bertault

 

Une voix qui résonne aux quatre coins du monde…..

 

 

 

Michel Martelli : Camille, ta trajectoire est déjà très belle… où a t-elle commencé ?

Camille Bertault : Je suis née à Paris. Mais, malgré tout, je ne vais pas y rester très longtemps et, avec ma famille, nous allons vite « émigrer » vers la Normandie. Mais le lien ne se brisera pas pour autant, car mon père, qui était ingénieur du son et travaillait pour le cinéma, bossait beaucoup sur Paris. En plus de son travail, mon père était pianiste, très branché « jazz ». Et c’est lui qui va m’orienter, très vite, c’est-à-dire lorsque je vais avoir trois ou quatre ans, vers cet instrument. Il m’a beaucoup apporté…

C’est pour cela que, bien que soyons installés en Normandie, à l’âge de sept ans, je vais « faire le grand écart » entre Paris et la Normandie. Cette dernière pour l’école, et Paris, plus exactement Boulogne-Billancourt pour mon premier Conservatoire, dans lequel je me rendais une fois par semaine, le mercredi, pour y travailler le piano, et le solfège bien sûr. Ce sera là aussi que j’aurais mes premiers souvenirs de chorale et, crois-moi, ce sont de beaux souvenirs.

En résumé, entre une grand-mère pianiste, un grand-père violoncelliste, un père pianiste aussi – et une maman peintre et professeur de yoga – ça faisait pas mal d’influences artistiques diverses durant mon enfance…

A Boulogne, je vais y rester jusqu’à mes treize ans. Ce sera à cette période que mon père va décider de « prendre sa retraite » et de traverser la France pour que nous allions nous installer dans le Sud.

Et le Sud, ce sera Nice, et dans le Conservatoire de cette ville, j’entrerai en classe de piano. Je bénéficiais d’horaires aménagés, mais je dois dire que pour moi, le piano, c’était « affaire sérieuse ». Mon père, et sans parti pris aucun, trouvait depuis longtemps que je m’y débrouillais très bien. Et je pense que c’est pour cela que le piano a pris une place quasi centrale dans ma vie, dans mon éducation. Je me souviens de Madame Tedeschi, à Boulogne, ma professeure tu l’auras compris, qui, elle aussi, a toujours cru en moi, et en mes capacités. Entre elle, et mon père, j’estime avoir été très bien entourée. Ma pratique, avec Mme Tedeschi, était plutôt classique. Côté écoute, grâce à mon père, c’était plus « jazz »…

 

M.M. : A Nice, dirais-tu que tu t’es réellement forgée ?

C.B. : Les enseignements que j’y ai reçu ont été solides, oui. Sans doute. Mes journées étaient sur le format « école le matin, conservatoire l’après-midi ». Autant te dire qu’à compter de cette période, la musique prendra une place prépondérante, mais aussi très stricte, dans ma vie. Le Conservatoire de Nice est un conservatoire régional et les études y sont très exigeantes.

J’ai passé, dans la foulée, mon Bac. Un Bac technique « de la musique et de la danse ». F11, disait-on à l’époque. J’étais dans une classe spécialisée, avec musiciens et danseurs comme compagnons. Une autre belle période pour moi encore. Mais quand même… je dois dire qu’à ce moment-là, dans ma tête et quant à mes choix futurs, j’étais un peu perdue. Quand j’étais enfant, j’avais, c’est vrai, certaines facilités en musique, en danse… que je pratiquais en toute insouciance. Mais, à l’adolescence, ça a été tout l’inverse : parce que le trac avait pris place en moi, et que cela me posait problème en auditions. Tout ça faisait que je ne savais pas trop, à ce moment-là, vers quelle route j’allais me tourner. La musique, je commençais à maîtriser, mais je ne me voyais pas faire une carrière de pianiste soliste en classique…. J’avais envie de théâtre. Alors je me suis débrouillée pour en faire, à Nice comme à Paris. A Paris, j’ai même fait le « Cours Simon »…

Sur cette route, je devrais dire « sur ces routes »,  et jusqu’à mes vingt-cinq ans, j’aurais toujours l’impression que quelque chose me manquait. J’avais touché à la musique, au théâtre, à l’écriture – de textes ou de poèmes – ainsi qu’au chant… à partir de ces constatations, je vais m’axer sur ma voix, maillon commun entre toutes ces expressions artistiques qui gravitaient autour de moi…

 

M.M. : C’est ce qui te fait entrer « de plain pied » dans le monde de la chanson ?

C.B. : Disons que je me suis dit, à ce moment-là, que le monde de la chanson pouvait me permettre de déborder là où je voulais. Notamment en créant mes propres projets. Je suis quelqu’un – je ne sais pas si tu l’as saisi – qui adore improviser. Lorsque j’écris, ce n’est pas pour un style de public particulier, j’ai déjà écrit pour des enfants, par exemple. En réalité, je ne me sens pas « enfermée » sous une quelconque étiquette. Si, aujourd’hui, on me reconnaît comme une chanteuse, en vérité, le chant, pour moi, n’a été qu’une clé qui m’aura permis d’ouvrir les portes de plein d’autres domaines.

Je n’aime pas être « compartimentée ». Lorsqu’on définit quelqu’un sous une seule de ses activités, il me semble que cela annihile tout ce qu’il (ou elle) peut faire à côté.

Dans mon parcours, jusqu’à présent, je n’ai pas évoqué beaucoup le jazz, à part via mon père. Je vais pourtant m’y immerger très sérieusement, en entrant d’abord au Conservatoire du 9ème arrondissement, puis au C.R.R, rue de Madrid, où j’ai pu suivre mes classes d’écriture, d’harmonie, de piano, d’ateliers, de chant… Dans l’esprit.. j’y baignais depuis longtemps. Là, je concrétisais. Et je m’y suis entièrement immergée. Très facilement parce que le côté « liberté », le côté « improvisation » que le jazz nous apporte m’ont toujours portée. J’utilise beaucoup de couleurs de la palette du jazz dans beaucoup de mes compositions, aujourd’hui. Pas dans toutes, évidemment.

Le jazz m’aura permis aussi de me constituer un réseau, ce qui est toujours intéressant…

 

M.M. : Et tes formations, dans tout ça ?

C.B. : Avant de te répondre, je me dois de dire que, après le Conservatoire de Jazz, j’ai eu l’idée de faire une vidéo, dans laquelle je « revisitais » quelques titres de grands musiciens, comme Coltrane, par exemple. Contre toute attente, cette vidéo a commencé à tourner, et à tourner encore, me faisant passer du statut d’étudiante peu connue à celui… disons un peu mieux reconnue. Mais, tu vois, je crois que chanter des improvisations relativement difficiles n’était pas monnaie courante à ce moment-là…

C’est à la même période que j’ai enregistré un premier album, avec le pianiste Olivier Hutman, avec Gildas Boclé à la contrebasse, et Antoine Paganotti à la batterie. Cet album s’appelait : « En vie », et il a été remarqué par le label « Sunnyside Records » de François Zalacain. François l’a diffusé partout, ce qui nous a permis de tourner énormément avec cette première formation.

Par la suite, je vais rencontrer le succès au Brésil, où je partagerai la scène avec des musiciens brésiliens, et également aux États-Unis, avec cette fois des musiciens américains…

Pendant plusieurs années aussi, je vais me produire en duo avec le pianiste franco-américain Dan Tepfer, et, ensemble, nous allons beaucoup tourner.

Et, comme j’aime beaucoup cette formule en duo, j’en constituerai un autre avec le guitariste Diego Figueiredo. De beaux moments partagés, encore…

Côté albums, j’ai sorti mes deux derniers sous le label « Sony ». L’avant-dernier, c’était « Pas de géant », et le dernier « Le Tigre », celui que je fais tourner actuellement. C’est d’ailleurs suite à la sortie de ces deux albums que je vais constituer mon quartet – éponyme –  avec le pianiste Fady Farah, le contrebassiste Christophe Minck et Donald Kontomanou à la batterie. Avec ces trois musiciens, je tourne depuis maintenant trois ans et récemment, le percussionniste Minino Garay nous a rejoints. Donc, tu vois, nous nous produisons en quartet ou en quintet.

 

M.M. : Un mot, sur ton actu ?

C.B. : Parmi les projets récents, je viens d’enregistrer, avec le « Bruxelles Jazz Orchestra » un projet autour de Serge Gainsbourg. Il devrait sortir l’année prochaine

Je travaille actuellement sur un nouvel album, je suis en pleine écriture et en pleine composition. Mais bon, pour le moment, je veux donner son essor au dernier album, « Le Tigre », comme je te le disais…

J’ai dans la tête aussi un futur projet avec le pianiste autrichien David Helbock, et le cornettiste Médéric Collignon. Deux chouettes musiciens avec lesquels j’ai déjà un peu tourné. Eh bien dis-toi que « l’électricité » dans ce trio est très intéressante, et que ça me donne très envie d’enregistrer quelque chose avec eux…

Et puis, peut-être aussi un projet avec le pianiste argentin Leo Genovese. Il est pour moi une belle source d’inspiration…

Je verrai bien où le vent me mènera !…

 

 

Propos recueillis le vendredi 18 juin 2021

 

 

 

Un très grand merci, Camille, d’avoir accepté de m’ouvrir ta porte, et pour les courts moments que nous avons partagés. Je ne vais pas en faire des tonnes sur ton talent, car tu nous l’as démontré depuis longtemps, et tu sais t’entourer de musiciens inspirants, sur tes divers projets.

A bientôt de te croiser…

Ont collaboré à cette chronique :