Il est originaire du sud de la France, du département du Gard. Son nom s’est souvent associé au piano, on commence à mesurer aussi son talent à la contrebasse. Il sort aussi prochainement un premier album sous son nom…
Camille Thouvenot
Une route très bienveillante…
Michel Martelli : Camille, on te connaît avant tout comme pianiste. Ça vient comment ?
Camille Thouvenot : J’ai eu la chance d’avoir des parents mélomanes. Je dis bien « mélomanes » et non pas musiciens. Rien de « professionnel » chez eux. Mais quand même. Mon père jouait de la contrebasse, avec ses copains, épisodiquement et de façon tout à fait amateur, et puis, il est passé au violoncelle grâce auquel il a pu s’exprimer en duo avec une autre violoncelliste. Et puis, il avait énormément de disques à la maison… Ma mère, elle, était mélomane « par procuration », mais, c’est par sa famille qu’est arrivé chez nous… un piano. Le premier sur lequel je poserai les doigts… Je crois d’ailleurs que mon père a gardé des enregistrements de mes « prestations » à trois ans ! Enfin, ça m’avait donné envie… Les choses se sont faites ensuite progressivement. Nous habitions à Russan, dans le Gard, et mes premiers cours, je vais les prendre avec Marc Cornelissen, musicien et pédagogue québécois installé dans le Gard. On rentre en contact avec lui, lui qui était… violoniste. Mais bon, il avait le don avec les enfants et il en a amené beaucoup sur des instruments très différents… Ça va être pour moi l’occasion de rencontrer mon grand copain Hugo Piris, Hugo qui joue du violon et de la trompette…
Avec Marc, la route va durer quatre ans. Il nous a très rapidement fait jouer en pratique collective, il nous faisait même composer – enfin, on le croyait ! – Il avait réussi à créer un univers très ludique. On jouait de tout, bon, des trucs simples parce qu’on était des débutants, mais il nous faisait aborder de nombreux styles de musiques. Et puis il nous encourageait à improviser. Tout en restant un morceau très humble… Et tu veux savoir le plus amusant ? Quelques années plus tard, il deviendra mon élève, lorsque je donnerai des cours de piano-jazz…
A onze ans, il est temps pour moi d’aller voir ailleurs, estime-t-il…
M.M. : Bon. Et alors, où vas-tu arriver ?
C.T. : Je vais arriver dans la « classe » d’un tout jeune professeur de Conservatoire, il en sortait juste, Cédric Bambagiotti. Le contact est très cool. Un très bon professeur classique, très complet quant à son enseignement. J’ai beaucoup progressé avec lui aussi, comme dans la lecture de la musique par exemple.. Mes parents n’étaient pas très chauds pour que j’entre au Conservatoire et, sur le moment, moi non plus. Cédric a pourtant su le faire… en rusant. Après deux-trois ans de cours, il va finir par m’y faire entrer, vers quatorze-quinze ans. Je passe l’examen d’entrée, que je réussis, et me voilà au Conservatoire de Nîmes. Je te dis tout de suite que, contrairement aux craintes familiales, c’est quelque chose que je n’ai jamais regretté. J’irai jusqu’au DEM, en classique, que j’aurai à vingt-et-un ans.
Mais, en parallèle de ça, alors que j’ai douze-treize ans, et avec deux copains, Hugo, donc, et Lucas Linares (qui sera à la basse et qui aujourd’hui est graphiste), Marc va nous faire jouer ensemble, en trio d’abord et puis ensuite en quartet puisqu’on va très vite croiser Nicolas Cabello qui va se joindre à nous. Nous avons treize ans… Nous commençons à tourner ensemble, et puis on va rajouter à l’ensemble un chanteur. Ce sera Leni Lenen. Et le groupe sera baptisé « Skanda », un groupe qui va nous apporter notre première véritable expérience. Leni écrivait ses textes – il avait le même âge que nous – le reggae, le ska, c’étaient nos univers. Avec le temps, la petite notoriété de ce groupe a augmenté, on s’était constitué un petit répertoire, on faisait de petits concerts ici ou là, on gagnait même certains tremplins auxquels on participait… Finalement c’était assez magique, il nous arrivait même de faire des rappels ! Plein de potes nous suivaient… non, c’était vraiment sympa.
M.M. : Au Conservatoire, ça se passe comment ?
C.T. : Je suis en classe de troisième, lorsque je rentre au Conservatoire, en classe classique. Mais, comme elle existe, je vais aussi prendre l’option jazz, parce que le prof est Alex Clapot et que c’est un copain de mon père… Alex va me faire découvrir Keith Jarrett, Oscar Peterson… c’est quelqu’un de très ouvert, à de nombreux univers. Mais bon, j’ai quand même repiqué du Jarrett plus que de raison, à relever des solos…
Du côté de ma classe « classique », je suivais mon cursus normal, mais sans plus. A vrai dire, comme il était devenu plus proche de ma famille, je continuai plutôt ces cours avec Cédric…
Un autre copain de mon père, René Bottlang – qui est pianiste de jazz – a aussi joué un rôle sur cette route. Il ne m’a jamais donné de cours, non, mais il n’était jamais très loin quand même. Il organisait des stages en été, et on y a participé avec les copains de « Skanda ». Et même, à un moment, on avait monté un semblant de quartet avec Hugo, mon père, un batteur ami de René et moi. On jouait nos compos. C’étaient des moments cool. Plein de choses se sont passées.
De quinze à vingt ans, je vais rester au Conservatoire. Alors que je suis en Terminale, le groupe « Skanda » existe toujours ! On faisait encore des concerts, c’était, du coup, devenu plus sérieux. tu te rends compte ? On avait dix-huit ans, et déjà cinq années d’expérience derrière nous. Et puis. Leni a eu de plus en plus de mal avec la scène, avec nos parties instrumentales, aussi, qui devenaient de plus en plus importantes. Bref, au bout d’un moment, chacun a pris sa route, mais très gentiment.
M.M. : Comment ça évolue, pour toi ?
C.T. : Au Conservatoire, je vais hériter d’une prof, Pascale Berthelot, qui va arriver de Lyon. Dans sa classe, je vais rester presque cinq ans. Bien sûr je vais bosser le répertoire obligatoire, classique, baroque, romantique. Je passais mes divers cycles avec divers degrés de stress, devant les jurys mais ça se passait bien dans l’ensemble. Pascale Berthelot était, en plus, passionnée de musique moderne et contemporaine. Elle en a même créé un atelier. Et bien sûr que je l’ai suivie, c’était quand même exceptionnel pour Nîmes. Non, tu vois, j’ai toujours eu des personnes très bienveillantes autour de moi, qui m’ont bien fait avancer. En fin de DEM, alors que mon UV de jazz est OK, Alex, qui connaissait Mario Stantchev, me parle de lui et de Lyon.
Et moi… je pars sur Lyon, puisque Mario y a sa classe au Conservatoire là-bas. Je passe l’audition, je suis retenu et à partir de là, vont commencer deux années d’allers-retours entre Lyon et Nîmes.
Je continuais le classique avec Pascale dans le sud, et le jazz avec Mario à Lyon.
Et, en plus de ça, je donnais des cours. A Nîmes, comme à Lyon. Tu imagines les semaines d’enfer.
Parce qu’en plus, il y avait le « Baryton » à Lyon, où je jouais tous les mardis soirs, avec mon grand pote du Conservatoire Claude Bakubama (bassiste). On organisait des jams, en duo d’abord et puis ensuite en trio, lorsque Zaza Desiderio nous a rejoints, comme d’autres batteurs. Parce que tu imagines bien que c’est une époque où je vais rencontrer plein de musiciens. Mais enfin, le tout me faisait faire de sacrées semaines.
M.M. : La période des groupes va commencer à poindre ?
C.T. : Forcément oui. C’est le parcours classique afférent à tout musicien. Mes diplômes en « classique » en poche, c’est pourtant le jazz qui va prendre de plus en plus d’importance. Mario a toujours été là, et on s’est super bien entendus justement parce que j’avais fait ce parcours classique. Il m’accompagnera jusqu’à mon DEM.
Côté rencontre, avec Zaza dont je t’ai déjà parlé, et Nora Kamm, la saxophoniste allemande que je ne te présente pas, on va très rapidement former le groupe « Dreisam ». Tous les trois, nous étions quasiment arrivés à Lyon en même temps. L’idée est partie de notre duo avec Nora et puis Zaza est arrivé, assez naturellement. A la base, cela devait être un quartet, on voulait un bassiste en plus. Mais, finalement, la formule en trio nous a bien convenu. Mais du coup, avec mon piano, je devais assurer le rôle de ce bassiste que nous devions accueillir, mais qui ne viendrait pas. Je devais, sur scène, faire le lien entre Nora et Zaza. Mais c’était un rôle très enrichissant aussi.
Dans cette même période, aussi, il y a eu le trio avec Gauvain Gamon (contrebasse) et Marc Michel à la batterie. Le « G.M.T Trio ». On a fait quelques concerts, et aussi un album.
A cette époque je rencontre le guitariste Yanni Balmelle. Il me contacte un jour, et me propose de participer à son trio, avec comme instrument l’orgue. Le deal me plaît, et je m’intègre au « Trio D.T » (parce qu’on jouait souvent en été…) où je rejoins Yanni et Josselin Perrier à la batterie. Une aventure qui va s’étirer sur quatre-cinq ans.
En 2012, avec le « Baryton » en plus, j’arrive à avoir suffisamment de concerts à mon actif pour capter le statut d’intermittent du spectacle. Du coup, j’ai donné bien moins de cours, et je passais plus de temps à jouer, à développer d’autres projets dans différents contextes. Les portes lyonnaises sont grandes ouvertes, et les rencontres continuent à s’enchaîner.
Ça va être le moment aussi de la création du quartet LA&CA, avec la violoncelliste Audrey Podrini, qui est aussi ma compagne, Zaza Desiderio à la batterie, et Vincent Périer à la clarinette. Avec ce groupe, nous sortirons l’album « Se souvenir des belles choses ». Et nous avons fait de nombreux concerts.
Avec Dreisam aussi, nous avons fait de nombreux concerts, un album en 2014 et des participations dans nombre de beaux festivals.
M.M. : Et puis… tu vas partir sur un autre instrument ?
C.T. : Oui. Je t’ai parlé, au tout début, de la contrebasse. Elle va me rattraper. Vers mes vingt ans, je vais la récupérer, je vais commencer à la grattouiller, à l’apprivoiser. Je vais découvrir de plus en plus l’instrument. Et puis, je vais prendre des cours, avec Jérôme Regard, et pour cela je vais revenir au Conservatoire de Lyon. Mais bon, dans un cursus assez allégé, puisque je vais boucler l’affaire en deux ans.
Et, en 2015, je vais monter le premier groupe dans lequel je serai contrebassiste – ce qui est connu de peu de gens encore à ce moment-là. Dans ma tête, même si il y avait ce côté « test », ou « joke », à durée limitée, je voulais un « gros truc ». Une sorte de « all stars »… avec mes potes. Nicolas Cabello était à la batterie, Vincent Périer au sax… et puis Aurélien Joly à la trompette, Guillaume Nuss au trombone, Thibaud Saby au piano, Julien Sermet à la guitare, sans oublier les filles pour les voix, Célia Kameni et Marion Amirault. Tu vois, une belle équipe. Et ce projet, qui devait ne faire que passer… eh bien finalement, il a connu sa petite route, parsemée de quelques sons, et une vidéo. Il a pris de plus en plus d’importance sous le nom de « Foolish Ska Jazz Orchestra ». On jouait des standards du jazz, beaucoup d’instrumental mais tout ça était hyper festif, on faisait danser sur du Monk, du Mingus… En passant au Backstage [NdlR : la superbe émission] de FR3 Auvergne-Rhône-Alpes, nous nous sommes fait encore plus connaître, et nous allons entrer dans le réseau « ska-jazz ». Ce qui nous a apporté un nombre impressionnant de fans.. en Amérique Latine..
Aujourd’hui, le « Foolish » existe encore, mais seuls Nicolas et moi sommes restés, les autres ont pris d’autres routes. La nouvelle équipe ? Tu trouves Romain Baret à la guitare, Marc Cabrera au piano, Fred Gardette au saxo, Simon Girard au trombone, Guillaume Pluton à la trompette et à la voix… Jessica Martin Maresco. Bon, je ne ta cache pas que c’est assez peu évident à gérer. Mais ça m’a aussi affirmé dans ce rôle de contrebassiste.
Dans mes autres projets, le groupe « Padam Partie », monté et emmené par le guitariste Nicolas Mathieu, avec Grégory Chauchat à l’accordéon et Cyrille Daras en seconde guitare. Ici, on est sur un projet qui oscille entre le swing musette et le manouche. On a fait une très belle saison avec ce groupe l’année dernière. Mais c’est un projet très bien travaillé…
Je te cite aussi ce groupe, très… blues psychédélique, très roots, très lunaire avec Eric Duperray en lead, au chant , Zaza Desiderio (increvable) à la batterie et Emmanuel Mercier à la guitare. Le groupe, c’est bien sûr « Automatic City » et c’est une belle expérience aussi pour moi…
Et puis, ,je participe aussi au projet « Organ Trio » du violoniste Rémi Crambes. Là, je suis à l’orgue, et, à la batterie Wendlavim Zabsonre, un batteur du Burkina exceptionnel. Un groupe très « groove », très musclé dans le son, dans lequel on peut jouer du Monk, du Miles ou des compos de Rémi…
M.M. : On va terminer… par ton bébé ?
C.T. : C’est vrai que celui-là… mon premier disque, en trio bien sûr, mais comme lead, et sous mon nom… Le projet ? Je l’ai imaginé il y a trois ans, en 2017, et pour le faire j’ai réuni deux musiciens avec qui j’avais un très bon feeling, Christophe Lincontang à la contrebasse, et Andy Barron à la batterie.
Lorsque j’ai décidé de faire ce disque, je me suis fait plaisir. J’ai assuré une partie du financement sur mes fonds propres, le reste… j’ai lancé une campagne participative KissKissBankBank sur ce projet-là.
C’est beaucoup d’arrangements, beaucoup de reprises aussi, Audrey nous apporte aussi une touche de composition électro-acoustique assez géniale. Non, franchement, on est assez content du résultat.
Mon groupe, c’est le « Camille Thouvenot Mettà Trio » et l’album va s’appeler « Crésistance ». J’en ai confié le graphisme à mes amis d’enfance Lucas Linares et Victor Coste.
Affaire à suivre…
Propos recueillis le samedi 16 mai 2020.
C’est toujours exaltant de rencontrer un membre de la Famille Musique, d’autant qu’il est une forte personnalité doublée d’une sympathie énorme.
C’est ton cas, Camille – ton talent, je le connaissais déjà – et cet entretien aura été un moment très sympa.
A très vite.