Cette fois, direction le sud-ouest. Une région où nous accueille une super saxophoniste, qui va prendre le temps aussi de se consacrer à un tout autre projet, plus personnel. Mais dans l’attente, découverte de cette artiste, aussi agréable que talentueuse…
Entretien avec Carla Gaudré
Un sax sublimé, ouvert à toutes les musiques.
Michel Martelli : Carla, merci de nous ouvrir le sud-ouest. D’où es-tu ?
Carla Gaudré : Je suis née en Ariège, dans la belle ville de Lavelanet. Mais le plus important, je crois, ce sera, un peu plus tard, notre déménagement à Marciac, je vais y venir. Avant ça, alors que j’ai quatre ans, et que nous sommes à Mirepoix, je vais aller, avec ma mère, écouter la fanfare qui jouait à la Halle de Mirepoix. Et là, je flashe sur le saxophone. Visuellement d’abord, sûrement le côté brillant m’avait attiré l’oeil, et puis le son, bien sûr. J’ai dit à ma mère que c’était ça que je voulais faire. Du coup, ma mère est allée se renseigner à l’école de musique, où on va lui dire qu’il va falloir attendre mes huit ans ! J’étais trop petite, encore. Alors, je me suis remise à écouter la musique à la maison, ce qui était monnaie courante chez nous, et ma mère a eu la bonne idée de nous procurer un petit clavier, sur lequel je me suis entraînée – où je commençais de petites compositions aussi – pendant presque quatre ans. Parce que je n’avais pas du tout abandonné l’idée du sax. Et elle va finir par se réaliser : pour mes huit ans, enfin, je vais entrer dans l’école de musique de Mirepoix, dans la classe d’Olivier, dont j’ai oublié le nom, mais qui était un bon saxophoniste. Une classe que je fréquenterai pendant une année et demie, jusqu’à ce que nous déménagions sur Auch. Une ville dans laquelle, bien évidemment, je me réinscrirai en classe de saxophone. Là, le fils de nos voisins de palier jouait du sax, aussi, et il était au collège de Marciac. Il m’en parlait parfois, et l’idée faisait son chemin en moi. Auch, au final, nous n’y resterons que quelques mois. jusqu’à la fin de mon CM2, en fait. Mais, musicalement, j’ai eu la chance de pouvoir apprendre beaucoup par moi-même. Je reproduisais beaucoup.
M.M. : Et cette idée de Marciac ?
C.G. : Elle va se réaliser. Bon, comme mon petit voisin me vantait ce collège où je pourrais faire de la musique, bien évidemment je vais en parler à ma mère. Et ma mère va prendre la décision d’aller nous installer là-bas. C’était en 1998, et j’avais tout juste onze ans. Mais je vais m’inscrire dans ce collège, en prenant bien sûr l’option “Ateliers d’Initiation à la Musique Jazz”. Dans mon emploi du temps, la musique, c’était cinq heures par semaine, en plus des matières habituelles. Nous faisions des ateliers, nous avions des cours spécifiques, et puis il y avait un Big Band, un Big Band que j’ai intégré dès que je suis arrivée. J’avais, c’est vrai, un niveau encore assez moyen mais dis-toi que, dans ce collège, tu n’étais pas obligé de savoir jouer d’un instrument pour y entrer. En revanche, il fallait présenter une bonne moyenne, sur tes notes. Pour moi, ça s’est bien passé : j’avais déjà quelques cours en tête, et, comme je te l’ai dit, j’avais la chance de pouvoir apprendre assez facilement. Pourtant, c’était une période, aussi, dans laquelle je me cherchais. Je voulais faire plein de métiers, mais pas forcément dans la musique. Elle restait importante à mes yeux, mais je ne pensais pas encore à en faire mon métier.
M.M. : Marciac, un beau berceau, non ?
C.G. : Si tu aimes le jazz, c’est un paradis, oui ! Le jazz, là-bas, c’est toute l’année. Pour un petit village, ils se débrouillent bien, en proposant, notamment, des concerts de jazz tous les mois. Grâce à ça, j’ai pu voir énormément de musiciens, et cette période “bénie” durera, pour moi, presque dix ans. Si tu veux bien je voudrais citer, pour leur rendre hommage, quelques-uns des professeurs qui m’ont accompagnée tout au long de ma vie à Marciac : Jean-Pierre Peyrebelle, d’abord, qui était un super pianiste, et qui nous manque, depuis deux ans. Et puis Robert Zacharie, Richard Calleja, David Santa-Lucia, David Pautric, Christian “Tonton” Salut.. et Jacques Aboucaya – en histoire du jazz. Tu vois, du côté profs aussi, j’ai eu beaucoup de chance.
Après le collège, comme il n’y avait pas de lycée à Marciac, j’ai dû me scolariser à Mirande, à quelques kilomètres. Toujours dans une classe avec option “jazz”.
Mais c’est au collège que débutera une “petite” expérience des concerst en public. A Marciac, nous avions des intervenants, nous avions des masterclasses – comme celle avec Wynton Marsalis, par exemple. Une période aussi où j’ai croisé des musiciens comme Leïla Martial, comme Benjamin et Jean Dousteyssier. Benjamin est saxophoniste, Jean est clarinettiste, et j’ai su qu’Emile Parisien était aussi passé par là.
Tout ça m’aura procuré une adolescence de rêve et je ne garde, de cette période, que de très bons souvenirs.
M.M. : Que se passe t-il, après ton Bac ?
C.G. : Je voulais, bien sûr, m’inscrire en Fac de Musicologie. Et pour ça, j’ai mis le cap sur Toulouse. Je ferai mes trois ans à la Fac, obtenant ma licence en 2009. En parallèle, je m’étais inscrite au Conservatoire, en classe jazz bien sûr.
A Toulouse, je vais “affiner” ma personnalité de musicienne. Pendant mon temps de Fac, nous avons eu une résidence avec le super pianiste – qui a monté le Méga Octet – Andy Emler. Nous avons joué sa musique pendant toute une semaine, et j’ai vraiment eu un grand choc musical à cette occasion. Ça a vraiment été très important pour moi, et cette expérience m’orientera très vite sur mes propres projets, ou mes propres compositions.
Mon premier groupe ? Ce sera “Just Five” dans lequel, comme son nom l’indique, nous étions six ! Un groupe qui comprenait Xavier Gainche au piano, Michael Le Van à la guitare, Nathanaël Renoux à la trompette, Rémi Bouyssière à la contrebasse et Anthony Raynal à la batterie. Mais c’était vraiment “le groupe de la Fac”, qui aura précédé la création du “Wen Quartet”, que j’ai monté avec Xavier Gainche, avec Louis Navarro à la contrebasse, et Simon Portefaix à la batterie. Ça, c’était en 2009. On jouait du jazz contemporain, de la musique improvisée, sur nos compositions.
Avec le “Wen Quartet”, nous avons enchaîné pas mal de concerts très sympas.
A côté de ça, j’ai eu l’opportunité de participer, en Suisse, à un projet monté par la saxophoniste Nicole Johänntgen, “S.O.F.I.A”, pour “Support Of Female Improvising Artists”. Un projet à visée européenne, avec, sur la scène, que des musiciennes. Nous étions sept filles, en provenance d’Allemagne, de Grande-Bretagne, de Suisse et de France. L’idée était de former un groupe et, pour nous affirmer, nous avions des formations sur la vie des musicien(ne)s, en Allemagne, en Suisse et en France. Pour cet ensemble, chacune apportait ses compositions, que l’on mettait en commun, et que nous avons jouées ensuite, notamment à Cologne, à Zurich, et à Paris. Ce fut un projet éphémère, mais très intense. Car beaucoup de connexions se sont créées, qui m’auront permis, entre autres, de participer à un album de Stevie Jo Dooley – qui est bassiste, et chanteuse, en Angleterre. Un album enregistré à Bristol.
Et puis, j’ai continué avec le groupe “X X Elles”, dont tu as déjà parlé avec Maïlys Maronne, qui est ici au piano. Mais je veux citer aussi Caroline Itier à la contrebasse, Camille Bigeault à la batterie, Sophie le Morzadec, Charlotte Bonnet et Alice Besnard au chant, et Léa Cuny-Bret au sax-alto. Sans oublier Mélanie Buso à la flûte.
“X X Elles”, c’est une très belle expérience, tant humaine que musicale. Chacune amène ses compositions, mais c’est Maïlys qui en fournit le plus. Nous avions envisagé, entre nous, un projet. Et même si chacune de nous a pris sa route, il ne faudrait pas grand-chose pour que nous le mettions en route.
M.M. : Et ton groupe “à toi”, alors ?
C.G. : Mon groupe va naître de ma collaboration avec Dorian Dutech, qui est guitariste. Notre groupe s’appelle Høst – avec le “o” barré, à la norvégienne. C’est un quartet, dans lequel nous jouons en compagnie de Pierre Terrisse, à la basse, Théo Teboul (au départ) à la batterie, mais qui a été remplacé par Simon Portefaix, lorsque Théo est parti vivre en Belgique. “Høst”, c’est un groupe entre le jazz et le post-rock. De la composition essentiellement inspirée de couleurs nordiques, et de groupes comme “Esbjörn Svensson Trio”, “GoGo-Penguin”, “Mammal hands”, ou du groupe de Donny McCaslin, qui a été le saxophoniste de David Bowie.
Mais nous nous inspirons aussi de groupes de post-rock comme “Sigur Rós” – groupe islandais – ou “Godspeed You Black Emperor”.
Deux albums sont déjà nés, avec ce quartet. Le premier, “Doppler”, est sorti en 2017. Et, en 2021, notre second bébé, “Kos”, a vu le jour. Un album sur lequel nous avons invité trois copains : Jeff Taylor ( au chant ), d’abord, que nous avions rencontré à Marciac, justement, quand nous avions fait la première partie de Donny McCaslin, et puis Nicolas Gardel à la trompette et l’excellent Ferdinand Doumerc, au sax ténor pour le coup.
“Kos” est une création “entre Pyrénées et fjords”, moins marqué “rock” que “Doppler”, peut-être plus lumineux, aussi. En plus, il nous entraîne vers d’autres chemins, auxquels nous commençons à penser très sérieusement.
M.M. : Mais tu ne fais pas que ça…
C.G. : C’est vrai. En parallèle à ces groupes, je travaille sur des “ciné-concerts”. En fait, nous sommes deux musiciennes qui jouons “en direct” sur des courts-métrages français, du début du vingtième siècle réalisés et/ou mettant en scène des personnages féminins. Ce programme s’appelle “Elles n’en font qu’à leur tête”, et ce ciné-concert est initié par le Collectif “Pigments”, de Toulouse.
Un projet vraiment chouette, auquel je collabore avec la claviériste Maya Cros.
Dans un tout autre registre, j’ai rejoint, avec Dorian, un groupe de “disco-funk” – en version “cuivres”, c’est-à-dire quatre cuivres et une section rythmique, mais sans le chant, du coup. Le groupe porte le nom de “Retro Fever”, et c’est un septet. Dorian est à la guitare, Simon Portefaix à la batterie, Christophe Ponsolle à la basse, et aux cuivres, David Mimey au sax ténor, Renaud Perrot au trombone et Mehdi Missoum à la trompette.
Le septet a été monté pendant le confinement. Mais on a déjà eu l’occasion de faire quelques jolies dates. Ce sont, à chaque fois, des concerts qui “bougent” beaucoup, et que nous pouvons produire, partout où les gens veulent danser !!!
Je vais te citer aussi le projet “La marmaille électrique”, qui s’inspire en droite ligne de “La marmaille post-fanfare” qui existe, elle, depuis plus de vingt ans. C’est une fanfare qui monte sur scène, et sur des compositions originales. C’est très différent de ce que je peux faire par ailleurs, c’est “très électrique”. Un album, éponyme, est sorti en 2022, qui réunit plusieurs compositeurs différents, qu’ils soient membres du groupe ou musiciens amis.
Nous sommes six sur ce projet, où tu peux me voir là au sax baryton. Avec moi, Nathanaël Renoux est au bugle basse, Frédéric Monnier au sax ténor et soprano, Anaïs Andret-Cantini à la trompette et au chant, Kevin Balzan à la basse et au chant, et Louis Pertoldi à la batterie.
C’est encore un super projet…
M.M. : Pourtant, tu es en ce moment sur un tout autre projet.
C.G. : Oui !!! Même si je continue, encore et toujours, à composer, je vais rendre mon meilleur travail en juin prochain, ma plus belle composition, car un “petit bout de chou” va venir nous rejoindre.
Et je pense que, pour quelques temps, il aura la priorité sur mon instrument, tout au moins en ce qui concerne la scène.
Propos recueillis le vendredi 10 février 2023
Quelle belle fin pour cette “rencontre” musicale. On va évidemment vous souhaiter le meilleur, à tous les trois. Avec des parents aussi impliqués dans la musique, le “bout de chou” devrait connaître une jeunesse très mélodieuse. Tant mieux. La musique guérit de tout…
Merci pour ton accueil, Carla. Top.