L’artiste qui nous a ouvert son univers est “une battante”. Dans tous les domaines. Elle n’a pas peur de se lancer des défis, et la vie l’a toujours comblée, puisque la réussite a toujours été au bout.. Une voix à suivre, assurément…
Entretien avec Caroline Doll
Porter la musique, le chant, le texte.. et la langue française, au plus haut…
Michel Martelli : Caroline, on ne peut pas dire que ta voie s’est ouverte sous les meilleurs auspices…
Caroline Doll : Oui, c’est vrai. Je suis née dans la jolie ville de Martigues, dans une famille pas trop artistique, même si mon frère a tâté un peu de la basse, et ma mère un peu de piano, mais surtout, je suis arrivée avec de gros soucis de santé dès ma naissance. Un médecin avait même diagnostiqué que je serai muette. Ça commençait bien ! Mais la vie en a quand même jugé autrement, la preuve : j’ai pu prendre, depuis, une “belle revanche” sur un destin qu’on me prédisait plutôt noir.
Petite, j’enchaînais les spectacles.. devant ma glace et, dès l’âge de six ans, je rêvais d’être Madonna. Pourtant, le vrai déclic, je crois, va se produire lorsque j’aurai huit ans, lorsque j’irai voir au cinéma le film “Qui veut la peau de Roger Rabbit ?”. Dans ce film, Jessica Rabbit interprète, à un moment, un titre de Peggy Lee. J’ai été littéralement scotchée et, depuis, l’envie de prendre cette voie ne m’a plus jamais quittée.
A l’âge de six ans, je suis entrée – quand même – au Conservatoire de Martigues, dans la classe de piano classique. Mais l’expérience n’a pas duré. Je n’ai pas accroché, et je t’avoue que je me suis découragée.
D’ailleurs, de huit à quatorze ans, rien ne se passe de vraiment sérieux. Je rêvais beaucoup à cette époque. Mais, à quatorze ans, je vais intégrer mon premier groupe, un groupe de rock. Comment ça se passe ? J’avais rencontré, dans un train qui m’emmenait à Marseille, le guitariste de ce groupe, et on n’avait pas hésité à “faire quelques boeufs” dans le train, en voix-guitare. Et ça avait pas trop mal marché. Lui, Julien Turcat, avait déjà son groupe, “Ester”, un groupe rock, donc, qui réunissait Nicolas Costes à la basse et Cédric Delucca à la batterie. Moi, je suis arrivée là au chant, bien sûr, mais aussi à la composition. Et la majeure partie de mes textes, je les écrivais en anglais. Avec ce groupe, nous nous sommes produits pendant trois ans, dans nombre d’endroits sympas. Des endroits qui restaient dans notre région bien sûr… nous n’avions pas encore de voiture.
M.M. : Avec ce groupe, tu te lançais ?
C.D. : Non, pas vraiment. Car après cette première expérience de scène, j’ai enchaîné avec plusieurs boulots, pas du tout artistiques. Je n’ai véritablement “repiqué” dans la case “musique” qu’en l’an 2000, pour mes vingt-et-un ans. Et je vais revenir via un autre groupe, “Triembach” – du nom de la ville allemande d’où était originaire le guitariste du groupe, Benjamin Couture. C’était aussi un groupe rock, mais dans celui-ci, je composais beaucoup moins. Je crois que, pendant l’année durant laquelle notre collaboration a duré, j’ai dû composer seulement deux morceaux.
En revanche, ce qui va vraiment “me libérer”, c’est lorsque je vais prendre la décision d’entrer à l’IMFP de Salon-de-Provence. J’avais enfin franchi le pas de faire du chant mon métier, de la musique aussi. Bref, de mettre (enfin) un peu de technique sur ce qui n’était jusqu’alors que ma passion. A Salon, j’ai recommencé à zéro. A commencer par le solfège, que j’avais abordé à six ans et que j’avais vite abandonné. Je suis entrée à l’IMFP avec l’idée, la volonté, de maîtriser ma voix, mais aussi pour “apprendre à parler” avec les musiciens. Il était évident, pour moi, qu’il fallait que je progresse, ne serait-ce que pour déchiffrer une partition.
J’ai eu des professeurs géniaux, à commencer par Julien Baudry – mon professeur de chant. Et puis j’ai eu la chance, également, d’avoir Christine Lutz en cours de théorie musicale. Christine ? C’est une extra-terrestre ! Et puis je n’oublie pas Gérard Couderc, notre prof “de groupe”. Car oui, tous les élèves de l’IMFP participaient à des groupes, pour progresser. Mais moi, en plus, et en dehors de l’établissement, j’avais monté “Nena Chempa”, d’abord en duo jazz, avec un pianiste aux influences cubaines, Christophe Sabaton. Puis, ce duo, nous l’avons fait évoluer en trio, et c’est Grégory Massoc qui nous a rejoints, aux congas. Et enfin, le trio est devenu quartet lorsque Rémi Gacquière est arrivé avec sa contrebasse.
Et, mine de rien, ce groupe a duré presque trois ans, le temps de mon séjour à l’IMFP en fait.
M.M. : La machine s’était mise en route ?
C.D. : Disons que les groupes ont commencé à s’enchaîner sérieusement. Et cela a commencé avec un duo, toujours voix-guitare, en jazz, bien sûr et cette fois en compagnie du guitariste Jérémie Pitt. Ensuite, j’ai pu constituer un autre duo, avec un autre guitariste, Julien Husson, toujours en jazz. ce dernier duo a évolué, lui aussi, et est devenu le “Softly Jazz Quartet”. Il a tourné jusqu’en 2013 et, outre Julien et moi, il réunissait Yann Kamoun à la contrebasse, et Christophe Vignals à la batterie.
Ce quartet a pas mal tourné, aussi. Régionalement s’entend.
Dans cette période aussi, j’avais créé un autre ensemble, un autre quartet, mais cette fois de style pop-rock-jazz, que j’avais bâti autour de mes textes, et de mes mélodies. Ce groupe avait été baptisé “Le plic-ploc de la pluie” et je t’avoue que c’était, comment dire ?… très déjanté, très théâtral. Yann Kamoun faisait partie de ce voyage-là, et nous avaient rejoint Clément Innocenti à la batterie ainsi que Rémi Kerbrat à la guitare. Et ce quartet, j’ai pris un jour l’initiative de “l’éclater” – bien sûr temporairement – pour partir en Belgique, avec seulement Rémi et sa guitare. Et sous cette forme “duo”, nous avons tourné dans beaucoup d’endroits de Bruxelles, avec beaucoup de succès. Nous étions logés chez le pianiste Julien van Aerschot qui, du coup, a transformé notre duo en trio. De bons souvenirs.
Mais, en 2012, tous ces groupes étaient arrêtés. Je me produisais ici et là en duo, ou en trio, avec des copains de l’IMFP. Et puis, je commençais à donner des cours de chant. Toujours avec Christophe Vignals, nous avons monté plusieurs projets, avec des musiciens comme le pianiste Grégory Lachaux, le pianiste encore Félix Marret, avec le guitariste Romain Simeray ou, toujours à la guitare, Vincent Lesur.
Yann Kamoun venait souvent jouer avec nous, mais je voudrais aussi, et bien sûr, citer Philippe Petrucciani, Philippe qui était mon professeur d’improvisation à l’IMFP. Et bien sûr aussi, je m’empresse de dire que cette (courte) liste n’est pas exhaustive. J’ai participé à tellement de projets.
Avec Christophe, Yann et Philippe, nous avions créé le “Caroline Doll Quartet”, qui nous a donné une aventure riche d’une année, avec l’enregistrement d’un teaser dans le Studio de La Buissonne, à Pernes-les-Fontaines.
M.M. : Et puis, tu tournes encore une page…
C.D. : On peut dire ça… J’ai en effet changé toutes mes équipes, pour monter de nouveaux groupes, comme le “Leningrad Trio” dans lequel je me produis avec le fantastique Ugo Lemarchand, au piano et au saxophone s’il te plaît, et le non moins fantastique Julien Heurtel, à la basse. Avec ce groupe, nous reprenons des “tubes” des années quatre-vingts, quatre-vingt-dix et deux mille en version jazz.
Police, Michael Jackson (entre autres) en version jazz, c’est pas mal, crois-moi.
Et puis, il y a aussi “So Jazz”, un groupe qui, là encore, se décline en duo, en trio ou en quartet, sur des standards de jazz qui partent des années trente, jusqu’aux années soixante. Mais c’est du jazz vraiment traditionnel. Là, tu peux croiser Eric Casanova à la guitare, Jean-François Merlin à la contrebasse et Carl Bouchaux à la batterie – dans la version “quartet”.
Avec eux, nous préparons un “spectacle-hommage” à Ella Fitzgerald. Un conte musical qui retracera sa vie, parsemée des standards de jazz qu’elle a pu interpréter. Dans ce spectacle, je chanterai, bien sûr, mais je serai aussi la conteuse. La première ? Nous la donnerons le 10 mars 2023, sur la scène du “Portail Coucou”, une salle de concert de Salon-de-Provence.
Ce concert sera donné pendant la Semaine des Droits de la Femme. Une semaine qui verra aussi les expositions des œuvres de Nattaf, et de Caroline Pepperpaint, deux dessinatrices exceptionnelles que j’avais découvertes en tant que commissaire d’exposition, une fonction que j’occupe depuis deux ans maintenant.
M.M. : Et tes compositions, dans tout ça ?
C.D. : Mais je m’y suis remise à fond. Avec des compositions de textes en français, cette fois. Via un groupe, plutôt rock je le reconnais, “Caroline Doll et Thélème”, avec toujours Eric Casanova à la guitare, et Jean-Noël Tomasi à la basse. Nous avons donné un premier concert, dans le mois d’octobre dernier, pendant le “Festival de Poche” de Miramas, qui est proposé par le compositeur Alain Ortéga. Alors oui, si ce groupe est clairement rock – Lenny Sevinsky nous a enregistrés au studio Noise Bel Room à Eyguières – sache que je reprends aussi ces morceaux dans une version jazz, avec “So Jazz”.
Je vais te citer enfin le duo “Raide Sugar”, que j’ai conçu avec Jérémy Campagne, “guitariste classique aux influences flamenco”. Nos morceaux, ici, sont plutôt dans l’univers pop-jazz, mais avec beaucoup d’influences hispaniques. Une exploration musicale encore totalement différente.
Tu sais, j’adore les équipes de musiciens avec qui je tourne. Chacun d’eux enrichit les ensembles auxquels ils collaborent à leur manière. C’est chouette.
M.M. : Parle-nous de tes autres facettes…
C.D. : Eh bien, je t’ai dit tout à l’heure que, depuis deux ans, j’avais été nommée Commissaire d’Expositions Artistiques, sur la ville de Miramas – pour l’instant. Mon rôle est de réunir des artistes en fonction d’un thème, un thème que je propose ou qui m’est imposé. Et ça dans un lieu qui me sera donné. C’est ce que l’on appelle les “expositions éphémères”. J’en ai déjà réalisé sept, réunissant des peintres, des photographes, des sculpteurs, des plasticiens, des artistes de mapping-vidéo…
Dans quelques-unes d’entre elles, je me suis aussi “auto-exposée”… Car je sculpte, aussi, je sculpte le bois et je réalise, en majeure partie, des animaux qui allient, dans leur conception, le bois et les pierres semi-précieuses. Et je visite aussi l’Art-Déco, via des diorama-photos.
Et puis.. depuis octobre dernier, j’ai repris les cours avec Julien Baudry – vingt ans après notre première rencontre – en technique vocale à l’IMFP de Salon-de-Provence. Mais la nouveauté, c’est que, depuis cette année aussi, je me suis inscrite en classe de contrebasse, avec pour professeurs Michel Zenino et Lilian Bencini. Vingt ans que cet instrument m’attirait. Je ne franchissais pas le pas. Eh bien maintenant, c’est fait.
Je voudrais terminer en te disant que j’ai aussi écrit un “one-woman-show”, que j’ai baptisé “Sciences de la cosméto-ménagère”, un spectacle d’une heure, que j’ai déjà joué trois fois, à Salon-de-Provence et à Miramas. Là; quand tu entres sur scène, tu vis une sensation que j’associerais volontiers à un saut en parachute !
La langue française, je m’efforcerai de la porter toujours le plus haut possible, et de toutes les façons possibles. C’est en grande partie pour ça que j’ai repris mes compositions uniquement en français.
Propos recueillis le mercredi 28 décembre 2022
Une volonté farouche, une touche-à-tout artistique qui réussit tout ce qu’elle entreprend, telle est la personne avec qui j’ai eu le plaisir de bâtir cet entretien. Merci, Caroline, pour ton pep’s, ta vitalité qui fait du bien. A très vite de te croiser !