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Entretien avec Charlotte Reinhardt

Lorsqu’on est “fils de…” ou “fille de…” ou même quand un lien parental nous unit à quelqu’un qui a été “grand”, ça peut être gênant, ou pas. Dans son cas… non. Musicienne, elle l’est assurément, et son talent, elle se l’est forgé à la seule force du poignet. On croirait volontiers qu’un esprit bienveillant lui envoie la grâce, de là-haut. Peut-être. En tout cas, son dernier album est un petit chef d’œuvre

 

Entretien avec Charlotte Reinhardt

 

Mais qu’est-ce que le “désordre” peut être agréable !….

 

 

Michel Martelli : Charlotte, le nom que tu portes a-t-il conduit ta vie d’entrée ?

Charlotte Reinhardt : Je ne crois pas, non. Pas dans mes premières années en tout cas. Je suis originaire de Cognac, en Charente, et il se trouve que oui, j’ai eu la chance d’arriver sur cette planète dans un milieu très branché musique, puisque maman était pianiste, professeure de piano et en plus, elle composait – et très bien. Autant te dire que c’étaient les préludes de Bach qui m’endormaient !… C’est à huit ans que je me suis mise au piano. Peut-être suite à un concert auquel j’avais assisté, un concert d’Aldo Ciccolini… alors que j’allais m’endormir, je me souviens que sa “sonate Aurore” de Beethoven m’avait réveillée !… Oui, je crois que, ce jour-là, j’ai eu un gros déclic. Mais, tu vois, curieusement, ce n’est pas avec ma mère que je vais apprendre. Et d’ailleurs, d’une façon générale, un fils ou une fille élève de son père ou de sa mère, ça fonctionne rarement. Voilà pourquoi, dès huit ans, je suivais des cours particuliers avec une organiste réputée…

Mon père, qui est anglais, était guitariste. En parfait autodidacte. Et, en conséquence, tu peux imaginer qu’à la maison, ce n’était pas de la musique française que l’on écoutait à la maison. Et le jazz avait d’ailleurs une place assez prédominante, dans ce domaine-là…

A l’âge de douze ans, je vais passer un concours. A Bordeaux. Et il se trouve que l’un des membres du jury pour ce concours était du Conservatoire National Supérieur de Paris. Madame Tacon. Qui a été aussi- pour la petite histoire – la professeure d’Alexandre Tharaud. Après m’avoir écoutée, dans le cadre de ce concours, elle a appuyé ma candidature pour entrer dans ce Conservatoire. Et c’est comme ça que ma mère, ma sœur qui est danseuse et moi avons pris la direction de Paris…

 

M.M. : L’aventure commençait ?

C.R. : Peut-être, oui… Mais bon, sur le moment, j’avais treize ans, je suivais ma scolarité dans des classes à horaires aménagés, qui me permettaient d’être derrière le clavier de mon piano entre six et sept heures par jour, et j’entrais au Conservatoire de Paris XIV puis, par la suite, au Conservatoire National Supérieur.

Dans ces années-là aussi, ma mère a rencontré un guitariste de jazz, au “Blue Note” si je me souviens bien, et qui, du coup, est devenu mon beau-père, Yannick Robert. Là oui, à partir de ce moment-là, j’ai vraiment reçu la “double culture”, le “classique” dans lequel j’évoluais depuis des années, et à présent le jazz.

Tu as commencé notre entretien avec mon nom… Dis-toi que ce lien familial, je n’en ai eu réellement conscience que très tard, en fait. Les choses de la vie ont fait que nous n’avons pas grandi “dans l’ombre de Django”, même si on peut penser que son esprit nous a toujours accompagnés. Oui, ma grand-mère, Maria Reinhardt – qui était trapéziste – était la cousine de Django. C’était quelqu’un que j’ais rencontré tardivement, et que j’ai voulu revoir, à un moment donné de ma vie. Je l’ai retrouvée et, lorsque je suis arrivée chez elle, j’ai retrouvé toute la famille Schmitt, et c’est de cette façon que j’ai pu “renouer ce lien familial”. Je reconnais que je me suis un peu protégée de cet héritage mais, ce qui est indéniable, c’est que j’en ai gardé une éternelle quête de liberté. Incontestablement…

 

M.M. : Yannick Robert t’ouvre donc toutes grandes les portes du jazz ?…

C.R. : Jusqu’à son arrivée, tu pouvais écouter à la maison Oscar Peterson, ou encore Dave Brubeck. Avec Yannick, on est passé sur du Chick Coréa, sur du Pat Metheny… Metheny que j’ai très vite adoré, et dont je me suis mise à relever les solos. Mais quand même, le classique restait “ma colonne vertébrale”, et je ne m’exprimais pas encore en jazz. Par contre, j’écoutais beaucoup !

A dix-sept ans, c’était des concerts à gogo, des écoutes à n’en plus finir. Et puis, Yannick fait un jour entrer à la maison ses copains, à savoir le batteur André Charlier, et le (super) bassiste Benoît Vanderstraeten, arrivés tout droit de Los Angeles et avec qui il formera le “Yannick Robert Trio”.

Nous avons eu aussi le pianiste Benoît Sourisse à la maison. Il répétait dans ma chambre ! C’était juste incroyable, ces petits concerts privés et ce n’était qu’un début, puisque, par la suite, ce sont les frères Doky, Chris Minh et Niels Lan, que j’ai rencontrés. Au Festival “La Nuit du Jazz” de Sarcelles. Et puis j’ai rencontré aussi les frères (jumeaux) François et Louis Moutin et c’était à chaque fois de très belles rencontres.

Mais, tu vois, cette fenêtre ouverte sur la planète Jazz aura plutôt dopé chez moi, à ce moment-là, mon envie de composer. Au départ, je composais pour moi, bien sûr, sans but vraiment précis. Je composais de petites pièces, tout en continuant mon cursus classique.

A la fin de mes études au CNSM, j’ai voulu m’attaquer au “Supérieur”, qui se fait en trois ans. Mais je ne cache pas que cette période aura été pour moi.. assez délicate. Car, en réalité, je ne me sentais pas devenir une pianiste soliste. Jouer au sein d’un orchestre de chambre, oui. Je me suis mise à accompagner pas mal de chanteurs d’opéra.

Au final, j’ai stoppé ce cursus. Je voulais composer. Mais c’était quand même une décision assez importante à prendre, et je me suis mise à chercher des projets. Le tout premier chanteur que je vais pouvoir accompagner sera Carlos de Maqua. Avec lui, nous avons donné un concert à l’O.N.U., et j’en garde un super souvenir.

 

M.M. : C’est aussi un moment de ta vie où tu vas t’ouvrir à un autre univers…

C.R. : C’est vrai, oui. A ce moment-là de ma vie, j’ai voulu faire du théâtre. Et ma bonne étoile me permettra de rencontrer la comédienne Catherine Salviat et puis, chez elle, des gens merveilleux comme Guillaume Gallienne ou Rufus. Là encore, j’ai ressenti une forme d’exutoire et ce que je portais en moi depuis toujours, je te parle là de “l’évasion”, m’est revenu en pleine face. C’était ça que je devais faire. Je me suis donc inscrite au Cours Simon, dans lequel je resterai trois ans, et puis je suis entrée au “Magasin”, avant de faire divers stages au “Théâtre de l’Atelier”. Une période pendant laquelle j’ai participé à pas mal de pièces, mais, je te rassure, la musique était toujours présente. Je jouais… c’était même une nécessité, mais à présent sans la rigueur d’un Conservatoire. Juste pour le pur plaisir.

Grâce au théâtre, je vais croiser un jour un agent, qui recherchait une pianiste. J’ai suivi cette voie, qui me permettra d’accompagner certains artistes, et notamment Laurent Voulzy – parmi bien d’autres. Mes compositions n’étaient jamais très loin. mais un jour, Laurent Voulzy m’a demandé “pourquoi tu ne chantes pas ?”. C’est vrai que je ne faisais que des chœurs, avec lui.

Sa remarque m’a touchée, et je suis après ça restée presque un an enfermée, à travailler ma voix mais aussi à vouloir monter un groupe. C’était pas mal de travail, crois-moi, et, au départ, j’ai créé une première “mouture” avec des anciens musiciens du Centre des Musiques Didier Lockwood, où je ne suis pourtant jamais allée. Par la suite, ce seront des duos, ou des trios avec Olivier Louvel (guitares) et Edouard Coquard (batteur et bassiste). Ensemble, nous avons fait pas mal de concerts et en 2015, un premier EP a vu le jour, baptisé sobrement  “Charlotte Reinhardt”.

2015 restera, pour moi, une année noire. Parce que j’ai vécu de près les attentats du Bataclan. Cet évènement m’a empêchée de créer sur toute l’année 2016. Ce n’est qu’en 2017 que je renaîtrai. J’ai recommencé la scène par des concerts avec Edouard, j’ai aussi fait un “Sunset” avec Olivier. L’univers “chant” était toujours présent. Mais un autre projet s’annonçait.

 

M.M. : En lien avec la musique, ou le théâtre ?

C.R. : Avec le cinéma. Un jour, on m’appelle, pour jouer pour un film. J’ai répondu à cette invitation, bien sûr, et j’ai produit l’une de mes compositions. Le film, c’était “L’autre”, de Charlotte Dauphin. Qui m’a demandé : “mais de qui est ce morceau ?”. Quand elle a su que je l’avais composé, elle m’a confié son scenario que j’ai lu en entier le même soir. Et j’ai commencé à composer de petites choses, ici et là. Le résultat lui a tellement plu qu’au final, je composerai toute la musique du film. Et pour ça, j’avais été pré-sélectionnée pour les César, en 2021.

Je crois que c’est cette aventure qui a déclenché, chez moi, la composition de “Colors”. Parce que ce que je venais de vivre me faisait vraiment prendre conscience que “je pouvais dégager quelque chose” derrière mon clavier. C’est alors que le confinement est arrivé mais ce moment si particulier, j’en ai profité pour libérer mon rapport viscéral à la musique, dans un moment sans temporalité. Juste moi et mon piano. Là encore, les influences jazz et classique se sont à nouveau rencontrées. Pour le morceau Désordre, la “boucle” tournait en moi depuis longtemps. Je t’ai dit que j’avais fréquenté l’Opéra. J’y ai vu nombre de danseurs, parce que la danse devait être associée à ce morceau. J’ai choisi, pour l’énergie, la batterie pour nous amener ce “désordre”. Faisant face à l’ordre, que peut procurer le piano.

En août 2021, je rencontre le danseur de flamenco espagnol Gad de la Fuente. Je lui ai fait écouter ce titre, et il a été très touché car tout ce qui incarnait le flamenco, selon lui, il le retrouvait. On a décidé de travailler ensemble, à distance bien sûr puisqu’il est en Espagne, mais pendant de longs mois. Tout s’est précipité : j’ai signé avec deux labels, et puis il y a eu le clip.

A ce sujet, j’ai eu un jour l’occasion de voir un cours de flamenco que donnait Gad, à Madrid. Avec ses danseurs. Je les ai tous filmés, dans la plus vieille école de flamenco de Madrid, remplie de longs couloirs, où nous avons improvisé. Cet enregistrement colle parfaitement au titre : nous avions mis le piano dans la grande salle, et ce fut un moment très intense..

Sur cet album , je suis entourée de super musiciens : Edouard Coquard est à la basse, Yannick Robert est aux guitares, Franck Agulhon est à la batterie et Eric-Maria Couturier est au violoncelle.

A la fin du clip, tu peux entendre le son réel des chaussures des danseurs de flamenco que j’ai conservé.

Le disque est sorti le 6 mai dernier. trois clips ont déjà été réalisés sur cet album. Un concert aura lieu, avec Franck Agulhon, les 2 et 3 juin prochains, au “Sunside” à Paris.

Et j’ai encore plein de compos en réserve. Assez pour un “Colors” II ? On verra ! Pour le moment, je veux faire vivre ce bébé-là !!!

 

Propos recueillis le jeudi 19 mai 2022

 

Deux mots : plaisir intense. D’avoir pu, Charlotte, échanger avec toi et d’avoir l’occasion, via ces colonnes, de faire découvrir ton album “Colors”, et un petit bout de ta vie.

“Colors” mérite une voie royale et je gage que c’est ce qui va lui arriver…

… et je serai au rendez-vous pour “Colors II” ou quel que soit son nom.

 

Ont collaboré à cette chronique :