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Entretien avec Chloé Cailleton

Elle est originaire de Cholet, dans le Maine-et-Loire, capitale du mouchoir… et du basket qu’elle pratiquera aussi. Elle a bâti son nom sur sa voix, au travers d’expériences aussi riches que variées..

Chloé Cailleton

Apprendre à apprendre, toujours…

Michel Martelli : Chloé, la musique est arrivée tôt, dans ta vie ?

Chloé Cailleton : Tôt.. non. Je vais entrer à l’école de musique de Cholet à l’âge de sept ans, une école où, à cette époque encore, on n’enseigne pas le jazz. C’est d’ailleurs, peut-être, ça qui va me déterminer dans cette voie, par la suite. Et puis, je ne rentre pas dans une classe de chant, au départ. Mais dans une classe de piano classique, que dirigeait Roselyne Béreau. Sophie Bourdon était ma prof de chant choral… Du côté familial, je n’avais pas des parents musiciens. Mais en revanche, je ne suis pas tombée dans cet univers-là par hasard non plus. A Cholet, il y avait, il y a toujours, une salle de spectacle appelée « Le Jardin de Verre ». Où tu pouvais verser dans les univers de la musique, de la danse, du théâtre… avec des espaces dédiés aux concerts aussi. Par amitié, mes parents ont accepté de siéger dans l’association qui gérait ce lieu. Ils étaient impliqués dans la programmation des artistes. Et, du coup, j’ai passé une partie de mon enfance et de mon adolescence à « traîner » au milieu de tous ces musiciens, comédiens, danseurs… Nous étions deux ou trois enfants à remplir nos yeux et nos oreilles sur les différents spectacles. Je crois que ça a été une période bénie de ma vie. A neuf ans, j’évoluais en plein dans un monde d’adultes. Et puis, j’ai un frère, de dix ans plus âgé que moi… il a fait du théâtre à une époque de sa vie, et ça m’a stimulée, aussi…

M.M. : Quelque chose de particulier t’a lancée sur ta voie actuelle ?

C.C. : Non.. ça a été assez complexe. A cette période, c’est tout un ensemble de circonstances, de contextes, qui ont démarré, et qui m’ont suivie toute ma vie. Mais il y avait aussi, à côté, la danse, la gym… mes parents ont su me mettre en contact avec des formes d’expression très diverses, et d’autres enfants. Cet environnement m’a très tôt dégourdie. Tu sais, avec un frère de dix ans plus vieux… j’étais presque enfant unique. Le lien avec les autres, c’était déjà mon moteur. J’ai aussi pu « faire mes armes » au théâtre, et à la natation également – qui m’a permis, à seize/dix-sept ans, de participer au Championnat de France en Nationale III. Malheureusement, la compétition était tombée le même jour qu’une représentation théâtrale… et il m’a fallu choisir. Je choisirai le théâtre.

Tu vois, tout ça pour te dire que j’aurais très bien pu basculer dans une toute autre discipline artistique que celle que je connais aujourd’hui.

A l’école de Cholet, je vais faire mes trois ans de solfège, avant de pouvoir accéder à mon instrument… Au bout de ces trois ans, je vais commencer le piano. Et en faire pendant deux ans. En classique, donc, mais comme, à côté, j’avais cet univers du « Jardin de Verre » qui m’accaparait, il m’arrivait de participer à des « stages d’improvisation » avec un groupe de musiciens de tous les âges. J’y ai débuté à neuf ans, avec ma copine Julie… On y chantait, avec parfois une clave dans les mains… Un « stage » que je referai ensuite au piano, et, encore après, au chant…

M.M. : Comment t’ouvres-tu au jazz ?

C.C. : Alors que je suis à l’école, en fin de deuxième année, on va me donner une cassette du pianiste Scott Joplin. Tu connais ses compositions en musique ragtime ? J’ai écouté ça, en boucle. Jusqu’à rêver de le jouer. J’en ai parlé à ma prof de piano… qui en a été un peu décontenancée mais qui m’a quand même « accordé une dérogation » pour pouvoir jouer un boogie en fin d’année ! Mais, tu vois, suite à ça, je vais arrêter le piano en école de musique, où je ne vais garder que le chant choral. Parce qu’on montait des spectacles très chouettes, comme « La sorcière du placard à balais », un spectacle mi-chant, mi-théâtre pour lequel je tenais le rôle principal, à onze ans…

La découverte de Joplin, et de tout son univers, a déclenché un truc chez moi. J’accrochais vraiment avec cette musique, dans le bon sens du terme. Je faisais aussi à cette époque de la danse afro-américaine, et le tout réuni me parlait vraiment et m’a définitivement donné cette envie du jazz, du boogie… Que j’ai intégré, en partie, en autodidacte. Je crois que l’école m’a apporté une manière d’apprendre. C’est ce qui nous fait devenir autonomes. Apprendre à apprendre, cela donne des bases solides…

Et le piano ? Je l’ai continué, toute seule, chez moi, dans un premier temps, et puis ensuite au travers de cours particuliers que me donnait le papa de ma copine Julie dont je t’ai parlé tout à l’heure. Son père, Bernard Dumoulin, était un passionné de jazz et de toutes les musiques « d’ailleurs ». Donc, tu imagines qu’avec Bernard, les cours seront axés « jazz », et je vais me découvrir le goût de l’improvisation. Et je vais trouver là, aussi, un espace de liberté que je ne trouverai pas ailleurs. En fait, tu vois, ce rythme m’a toujours parlé parce que j’adore danser d’une part, et puis, dans cette musique, j’aime le son, les articulations, le phrasé…

Bernard m’a donné ses cours sur deux ans, de façon épisodique ou ponctuelle et puis… je me suis lancée. Mais toutes ces années auront été aussi des années d’écoute. D’écoute d’énormément de musique. Via Bernard, via mes parents, via « Le Jardin de Verre »… Un mot, sur Julie, qui est ma plus ancienne et ma plus chère amie : elle chante aussi, aujourd’hui, dans diverses formations nantaises dont le groupe blues « Malted Milk »…

M.M. : Et toi… le chant, alors ?

C.C. : C’est en jouant du piano que je me suis mise à chanter. Vers quatorze/quinze ans. Mais à ce moment-là particulièrement, je n’avais aucune velléité d’en faire carrière… Je me tenais même un peu dans l’ombre de Julie, sur scène. Moi, je faisais les chœurs….Par la suite, vers nos dix-sept ans, on s’est affirmées. Et nous avons même formé un duo, les « Garden Sisters » dans lequel on était en plein dans l’univers pop, jazz… A seize ans, je vais découvrir l’album de Miles, « Kind of blue », un album qui va littéralement me scotcher. Un véritable choc. Dans les stages dont je te parlais tout à l’heure, les plus grands jouaient ça. Et je n’avais qu’une envie : faire pareil…

Plus tard, mes amis musiciens (certains) vont me confirmer que ma voix peut être mon plus bel instrument. Et ça va me fortifier, un peu…

En fin de lycée, Julie et moi allons croiser la route d’une troupe de « comédiens de rue », venus de Lyon, avec entre autres le bassiste Hugo Parle, les pianistes Joachim Expert et Julien Lallier, ainsi que le comédien-chanteur Slimane Bounia. Avec eux, on va faire une jam, on va « faire tourner un blues » et, en fin de soirée… ils vont nous proposer de partir avec eux sur Lyon, pour faire les choristes. Avec Julie, on s’est dit « chiche » et on est parties… A Lyon, la troupe a monté – et ce sera ma première expérience de chant en jazz – un spectacle qui s’appelait « 307e nuit à Samarkand », pour lequel nous étions dix-sept sur scène. Ce fut une expérience très enrichissante, très initiatique sur la vie nomade des troupes. On plongeait complètement dans l’univers d’un groupe très très investi. Des musiciens qui vont m’apporter des encouragements terribles quant au chant, ça fera aussi partie des éléments déclencheurs. Ce spectacle, c’était un objet hybride, avec nombre de disciplines réunies sur scène… Cette aventure va s’étaler sur deux années…

M.M. : Et puis, tu vas revenir sur Nantes…

C.C. : Après mon Bac, j’ai voulu m’inscrire en Fac d’anglais. Parce que j’aimais ça. J’ai d’ailleurs passé ma licence en Lettres / Langues et Civilisations Étrangères. Mais, pour ça, il me fallait partir à Nantes. Et, dans ma tête, trottait toujours l’envie de faire des jam… Donc, à Nantes, je vais très vite repérer le bar-jazz « Le Canotier ». Je commence à le fréquenter, et puis ça a été très vite trois/quatre fois par semaine à tel point que, petit à petit, je vais rencontrer quasiment tout le vivier des musiciens nantais. Nantes a toujours été une ville de musiciens. De tous temps. Même si, aujourd’hui, de nombreux clubs ont fermé leurs portes…

Et puis, comme si ça ne suffisait pas, entre la Fac et les jam sessions, je vais avoir l’idée de m’inscrire en classe « solfège » au Conservatoire de Nantes. Par besoin. Par envie personnelle. Je vais y passer mon troisième cycle, et aussi toute la partie « écriture classique » que je vais faire en deux ans. Je m’inscrirais aussi dans un atelier de jazz, ainsi que dans un chœur de jazz vocal. A cette époque, on pouvait encore accéder à toutes ces pratiques assez librement…

Je vais donc m’inscrire au concours d’entrée – la même année que ma licence – et je vais être admise. Je vais travailler ensuite sous la direction de Jean-Marie Bellec, qui reste un personnage incontournable du paysage nantais. Et j’arrête la Fac après ma licence, pour ne rester qu’au Conservatoire. J’avais deux ans pour préparer mon DEM. J’ai été admise en « chant » mais… je n’avais pas de prof de chant. Mes profs, c’étaient des pianistes ou mes camarades de session. Tu sais, je chantais de manière très intuitive. Cette période a été un peu tendue avec mes parents, qui ne me voyaient pas faire de la musique forcément mon métier. Mais je me suis accrochée, et rien ne m’a dissuadée…

M.M. : Tu vas entamer ta période « groupe » ?

C.C. : C’est là, en effet, que vont commencer à s’enchaîner les expériences scéniques, entre 1999 et 2002. Là, j’ai « appris le métier », de A jusqu’à Z. Je faisais tout. L’administratif, l’appréhension du public, le poids sur les épaules du chanteur !… Parmi les groupes dans lesquels je me produisais, je peux te citer « El Camino », un orchestre franco-cubain composé de musiciens nantais « issus du vignoble » et de musiciens cubains. C’était un groupe très masculin, dans lequel nous étions dix, dont trois chanteurs. Sous la direction artistique d’Olivier Congar.

Il y a eu aussi un Big Band, « Anatole Big Band », avec lequel j’ai pu faire de nombreux concerts.

Un Festival, également, m’a beaucoup touchée, le Festival « Jazz sur Lie » dans le joli village de « Le Pé de Sèvre ». Les habitants accueillent les musiciens chez eux, des scènes sont disséminées dans tout le village, le vigneron local associe sa cuvée à chaque Festival. Il y a dans cette manifestation un esprit particulier, un esprit de liberté que j’aime retrouver partout où je passe.

Tu vois, toutes ces expériences vont m’asseoir dans mon statut de chanteuse. J’aurai l’opportunité aussi de remplacer un chanteur brésilien, dans un orchestre brésilien « Brasil Pass ». une formation dans laquelle je vais me fondre très facilement, menée par des musiciens passionnés qui vont m’entraîner dans cet univers brésilien pendant… dix ans ! Une période où j’ai adoré Elis Regina, la chanteuse brésilienne bien trop tôt disparue, que j’aime toujours du reste.

M.M. : Et puis, tu vas encore bouger ?

C.C. : Oui ! En 2003/2004, cap sur Paris ! Tout en restant sur Nantes, aussi, pour « Brasil Pass ». A Paris, je vais entrer au CNSMD. J’avais préparé cette entrée un peu par curiosité, sans personne pour m’y aider, mis à part Armel Dupas (pianiste) et Ronan Courty (contrebasse) qui rentreront au CNSMD l’année suivante. Pour le concours d’entrée, je n’avais aucune attente. Je m’y suis présentée vraiment en décontracté, comme si j’allais à une jam session. Et ça a matché. Parmi mes camarades de session, Léonardo Montana, Joan Ech-Puig, Samy Thiébault, Nicolas Gardel, Alexandra Grimal, Antonin Leymarie, Eve Risser ou Fanny Lasfargues…

Je te précise aussi qu’avec Armel, ça a été une très belle rencontre musicale. Nous avons joué longtemps en duo avec pas mal de scènes parisiennes à la clé…

Un groupe a aussi été très important à cette période, c’est le quintet « Out of the blue », initié par François Ripoche (sax et compositeur). On joue là de la musique électronique tout en gardant la « tradition » du répertoire. Avec basse, contrebasse, saxo, voix, machine électronique et wurlitzer. Un album est né de cette collaboration – le premier pour lequel j’écris certains textes – sous le label Yolk. Que de la musique originale.

M.M. : Paris va être ta piste d’envol ?

C.C. : Il est certain que les expériences vont s’enchaîner pendant mes quatre années d’études au CNSMD. Où, je ne te le cache pas, il a été parfois assez difficile de trouver sa place, en tant que vocaliste. En revanche, les rencontres ont toujours été super, que ce soit avec les artistes qui venaient pour des master classes, pour les projets que nous pouvions monter en interne, pour les jam aussi, au « Sunset », aux « Ducs des Lombards », au « Baiser Salé »….

A Paris, je chantais aussi régulièrement à l’Hôtel Lutetia où tu trouvais de la musique quatre soirs par semaine. Je faisais là-bas deux concerts par mois, en trio.

Cette période a encore été riche en enseignements, et c’est aussi la période où je suis devenue intermittente du spectacle…

En 2005, je vais passer une audition pour entrer dans les « Voices Messengers ». une aventure qui dure depuis dix ans. C’est un groupe vocal dans lequel nous sommes huit chanteurs, quatre hommes et quatre femmes, avec Philippe Soirat à la batterie et Gilles Naturel à la contrebasse. Là encore, c’est une véritable école en soi, pour les concerts, la vie de groupe… Très formateur en vocal, là, je vais vraiment commencer à « étudier » ma voix…

Et puis je ne peux pas ne pas citer le Big Band de Jean-Loup Longnon, très be-bop, très swing avec un super orchestre… Là aussi, un disque est sorti, « Encore du bop »…

M.M. : Et puis, bien sûr, tu vas encore bouger…

C.C. : Eh ben… oui ! Après Paris, j’ai eu envie de passer mon Certificat d’Aptitude au Conservatoire de Lyon. A Lyon où je vais rester deux ans, à raison de deux jours par semaine. C’est aussi dans cette période que je vais commencer à enseigner, dans l’école de musique de Saint-Sébastien sur Loire. J’y suis maintenant depuis huit ans.

Tu vois, j’ai pris de la distance avec mon propre apprentissage. Une distance analytique par rapport à mon parcours. J’ai même écrit un mémoire là-dessus.

J’ai fait encore de belles rencontres comme celle avec Pierre de Bethmann (deux disques avec son « Medium Ensemble »). Ici, la voix a un rôle très instrumental… et puis une animation de stage d’été à Marciac, avec le saxo Stéphane Guillaume…

M.M. : Et maintenant ?

C.C. : Aujourd’hui, je suis revenue sur Nantes. Avec une énorme envie de construire des projets avec des musiciens du terroir nantais. J’ai rencontré le pianiste Guillaume Hazebrouck, et sa compagnie « Frasques ». Nous avons plusieurs projets en vue, dont un sur les « torch songs » américaines, ou un sur des chansons contestataires…

Nous avons aussi mis sur pied une « conférence-concert » que nous avons baptisée « Super Jazz Women » qui explore la place des femmes dans le jazz…

Je suis aussi sur le disque d’Alban Darche, « Orphicube », et sur celui de la pianiste Leïla Olivesi.

Et puis, dernière info (pour le moment!)… j’écris des chansons. Que je restitue via mon trio, « Paloma » avec Joan Ech-Puig et Léonardo Montana (ou Rémi Ploton, ça dépend)…

Voilà… et l’aventure continue…..

Propos recueillis le mardi 12 mai 2020

Merci, Chloé, pour cette belle rencontre que je suis très heureux de restituer ici, pour tous ceux qui t’aiment ou (les moins nombreux) qui ne te connaîtraient pas encore…

Vivement que je puisse t’écouter, « en vrai »…

 

Merci à Marine Uehara et JB Millot pour les photos.

 

Discographie :

  • “Suite Andamane” Leila Olivesi Nonet – 2019 (sorti chez Attention Fragile, ACEL)
  • Atomic Flonflons Orphicube Alban Darche – Yolk Records, 2018
  • La Baronne Bleue album éponyme – Aloya Records, 2018
  • Le Vanneau Huppé Collectif Spatule – Aloya Records, 2017
  • “A l’Air Libre” – Chloé Cailleton Trio Paloma – 2016
  • Exo Pierre de Bethmann Medium Ensemble – Alea, 2016
  • Sysiphe Pierre de Bethmann Medium Ensemble – Plus Loin, 2014
  • Abstract Olivier le Goas Septet – Rewind Records, 2013
  • Encore du Bop? Jean Loup Longnon et le Grand Orchestre – Intégral Jazz, 2011 
  • Lumières d’Automne Les Voice Messengers – Black and Blue 
  • Urban Setting Out of the Blue – Yolk Records 

Ont collaboré à cette chronique :