Au sein d’une même famille, trouver plusieurs membres qui font le même métier peut s’entendre. Un métier artistique, c’est plus rare. Et en plus rencontrer le succès d’égale façon… voilà qui mérite qu’on s’y arrête… Dans la famille Alour, après Sophie-la-Saxophoniste et certainement avant Julien-le-Trompettiste, je voudrais… la soeur.. qui a choisi de s’exprimer au piano. Un vrai bonheur….
Entretien avec Chrystelle Alour
Le jazz ? Je le partage, aussi, avec les enfants…
Michel Martelli : Chrystelle, que peut-on dire de ton parcours ? Précoce ?
Chrystelle Alour : Je ne serai pas aussi tranchée. Tu vas le comprendre. Si je suis native de Vélizy, dans le département des Yvelines, c’est en Bretagne que je vais grandir. D’abord parce que notre père y avait ses origines et que la “vie parisienne”, ça n’était pas pour eux. Quant à mon parcours, lorsque j’étais petite, il y avait un piano, à la maison. Un piano que ma mère rêvait de pouvoir maîtriser, et qui lui donnait l’envie de voir ses trois enfants musiciens. Mon père, lui, nous faisait écouter nombre de concerts de musique classique. Mais, alors que j’ai cinq ans, je vais me manifester auprès de ma mère car ce piano m’attirait fortement. Sur le moment pourtant, elle me fera comprendre que ce serait “non”. Je pense qu’elle voulait s’en réserver l’usage mais ce refus va, au contraire, me fixer définitivement sur cet instrument. Même si, un moment, la guitare m’a également tentée.
Et si ce piano m’a permis de commencer un apprentissage en grande partie autodidacte, je t’avoue que je ne travaillais pas vraiment, dessus. Je pianotais, disons, et ça a été comme ça pendant quelques années, jusqu’à mes douze ans. Parce que cette année-là, un ami de mon père, Philippe Briand, va venir à la maison. Philippe était un bon batteur de jazz mais moi, à cette époque là, je ne connaissais pas grand-chose du jazz. Cette rencontre va m’ouvrir des horizons, comme, du reste, une écoute du premier disque d’ Antonio Carlos Jobim. Un souvenir magique qui va me faire aimer toute cette musique brésilienne.
M.M. : Et Philippe va te mettre le pied à l’étrier ?
C.A. : D’une certaine façon. Comme pour un autre jeune musicien, qui était clarinettiste. Il va nous faire travailler et, dans ma douzième année donc, nous nous “produirons” – le terme est un peu fort – dans un duo piano – clarinette, devant un petit public. Cela se passait au Théâtre de Quimper, mais par contre je ne me souviens plus de ce que nous avions joué. Je resterai sous la houlette de Philippe deux ans – mais je te rappelle que je me familiarisais déjà sur le piano depuis quelques années. Tu sais, j’ai toujours été assez indisciplinée, en regard des contraintes comme celles que peut nous donner le solfège, par exemple. Je me définirai plutôt comme quelqu’un “d’intuitif”, et le piano, pour moi, doit être, avant tout, un espace de liberté. Et ce sentiment, je le transmets aujourd’hui à mes élèves.
A l’âge de seize ans, je vais entrer au Conservatoire de Quimper, en classe de piano “classique”. Cela a été une période pendant laquelle, même si j’écoutais du jazz depuis presque quatre ans, je n’en jouais plus. Ce seront deux années à travailler le classique.
Et puis, à dix-huit ans, je décide de partir aux Etats-Unis. Je voulais changer de vie, et je suis partie à New-York. mais je n’abandonnais pas la musique pour autant – ni le piano – car je rencontrerai là-bas une prof qui va m’apporter énormément, sur le plan de la technique. Vraiment quelqu’un de riche, comme Michel Sogny, avec qui je travaillerai plus tard. Lui aussi m’a beaucoup apporté.
A New-York, tu imagines bien que je suis allée écouter de grands musiciens comme Keith Jarrett, ou encore les frères Brecker – fabuleux duo trompette / saxophone et tant d’autres, dont quelques uns ne sont plus là, malheureusement.
Je suis restée toute une année à New-York. Et lorsque je rentre en France, tout s’arrête.
M.M. : Comment ça ?
C.A. : Je suis de retour en terres bretonnes, mais je vais les quitter pour mettre le cap sur la capitale, où je vais me consacrer à mes études. “Lettres Sup” d’abord, et puis études de droit qui m’amèneront jusqu’au Master, que j’obtiendrai à la Fac Panthéon-Sorbonne. Et puis j’ai commencé à travailler, à Paris, mais dans le droit. Je n’ai remis le pied à l’étrier de la musique que dix ans plus tard, parce que je me suis dit que, si je laissais passer la musique, j’allais passer à côté de ma vie.
A trente-et-un ans, je vais rencontrer les “bonnes” personnes. Toutes musiciennes bien sûr. Et a commencé une période, que je pourrai qualifier de “magique”, où tout est devenu facile. C’est très vite que je vais trouver un poste “d’accompagnatrice de danse classique”, à Choisy-le-Roi. J’ai accepté, bien sûr, et dis-toi que je travaille toujours aujourd’hui, dans un autre conservatoire, avec la professeure de danse que j’avais rencontrée là, Florence Garrigoux. Une très belle personne qui m’a offert une très belle collaboration. Ma “petite fée”, en quelque sorte, qui a su me donner ma chance.
J’étais payée pour faire de la musique. C’était top. Ça n’a pas empêché mon chemin de vie de se compliquer un peu ! Parce que, si je m’étais remise au jazz relativement vite, cela va être aussi la période où je vais rencontrer mon mari, et, ensemble, nous allons agrandir notre famille, avec nos deux enfants, Lucie et Samuel. Mon mari est batteur de jazz. Quant à nos enfants, ils sont partis sur cette voie musicale aussi, et j’espère qu’ils s’y épanouiront.
Bien sûr que je me suis consacrée pleinement à mon rôle de maman. Mais cela ne m’empêchait pas de composer aussi et, à force de travail, de sortir mon premier album – en 2019 – que j’ai baptisé “Traversée”. Pour cette première réalisation, je me suis bien entourée : au saxophone-ténor, David Prez – un super musicien, Sandro Zerafa à la guitare, Manu Franchi à la batterie et Simon Tailleu à la contrebasse. Sur un des morceaux de cet album aussi, nous avons “invité” ma sœur Sophie (et son saxophone) et mon frère Julien, et sa trompette. Cet album a vraiment été une grande joie pour moi. Il m’a définitivement entraînée dans la composition.
Et puis, “Traversée” m’a ouvert les portes de France 2, de France 3 mais aussi de Télérama. Avec une très belle reconnaissance à la clé. Ça fait chaud au cœur.
M.M. : Tes compositions… tu veux dire en français ?
C.A. : Oui. Cet album m’a permis de composer des chansons en français. Etant bilingue, j’avais composé jusqu’alors uniquement en anglais. Mais comme je me produisais aussi dans des endroits où je sentais que l’anglais, ça passait juste, j’ai très vite dévié sur des compositions en français. Mais je reprends aussi deux morceaux, que j’aime particulièrement, dans cet album, des chansons que j’interprète en portugais : un titre de Caetano Veloso, et un autre de Djavan, un morceau très mélancolique, que je joue en compagnie de Sandro. Caetano, comme Djavan, sont de véritables icônes, au Brésil, et c’est un vrai plaisir de les interpréter.
Sur la lancée, on a fait quelques dates, pendant le Festival de “Cary Potet”, en Bourgogne, notamment, un endroit très très beau, avec une salle de concert en verrière. Une très belle ambiance, aussi.
Nous nous sommes également produits en Bretagne, où nous avons aussi reçu un très bel accueil. J’étais particulièrement émue de jouer à “L’Estran”, où le maître des lieux, Xavier Lejeune, sait faire vivre le jazz. Il faudrait beaucoup de personnes comme lui.
M.M. : La Covid a eu une influence sur ta route ?
C.A. : Bien sûr. Comme tous. En 2020, alors que j’étais partie pour démarcher ce projet, sonne le glas de la Covid. Le démarchage, terminé. Mais je vais en profiter pour “rebondir” au sein des écoles, qu’elles soient maternelles ou primaires. Là, je fais travailler les enfants sur plusieurs thèmes. Les enfants me passionnent, j’adore travailler avec eux à tel point que, l’année dernière – en juin 2022 pour être plus précise – j’ai sorti un nouvel album, spécialement pour eux, que j’ai appelé “Un arbre sur la lune”. Un album que j’ai voulu “très jazz”, mais avec quelques beaux accents brésiliens avec un peu de chanson en français au milieu…
Pour cet album-là, si Sandro était toujours à la guitare, c’est Gabriel Midon qui tient la contrebasse et Stéphane Adsuar qui est à la batterie. L’album compte onze titres, onze compositions sur des thèmes que les enfants apprécient particulièrement, la nature, les animaux, le printemps aussi….
Prochainement, je vais aller jouer dans un festival – toujours pour les enfants. Ce sera le 22 avril, en Seine-et-Marne, dans un lieu qui s’appelle “L’Envolée”, au cœur du pôle artistique du Val-Briard. Je sais que nous nous y produirons en trio, mais je n’ai pas encore arrêté le “casting”…
Sinon, je compose. Encore et toujours, mais “dans l’ombre”, c’est ce qui convient le mieux à ma personnalité. Les projets viennent spontanément à moi, et ça me convient très bien. Le prochain est d’ailleurs pour bientôt. Mais je ne peux pas encore t’en parler : ce sera peut-être l’objet d’une prochaine rencontre…..
Propos recueillis le vendredi 10 mars 2023.
Je me souviens d’une série américaine qui s’appelait “Ah ! Quelle famille !”… Ici, le “Ah !” prend un sens admiratif. Car, après un très bel échange avec Sophie, en juin 2020 – que le temps passe vite, comme disait Mouloudji – celui-ci aura été de la même veine, avec une musicienne aussi chaleureuse que passionnée dans tout ce qu’elle fait. Merci, Chrystelle, pour cet entretien, qui permettra de faire connaître un peu plus encore la chouette musicienne que tu es…
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