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Entretien avec Climène Zarkan

Elle est née à Paris. Mais elle va quitter très tôt la capitale, pour grandir « sous d’autres cieux ». Si on l’aime pour sa voix, on n’oublie pas non plus qu’elle a une formation de pianiste. Solide et sans frontières…

 

 

Climène Zarkan

 

La musique ? Un patchwork de toutes les couleurs…

 

 

Michel Martelli : Ta carrière musicale ne va pas commencer en France, donc…

Climène Zarkan : Non. Je ne vais rester à Paris que jusqu’à l’âge de quatre ans. Et puis, nous allons bouger, en raison du travail parental. Ce sera Beyrouth d’abord, où nous ne resterons qu’une année, et puis Damas, en Syrie, d’où je ne partirai qu’en 2002.

Donc, mes premiers pas musicaux seront syriens, au Conservatoire de Damas, mais avec aussi quelques cours particuliers. Il y a à Damas une grosse communauté arménienne et russe, et c’est à leur contact que je vais « baigner » dans le classique. Je me souviens que ma professeure s’appelait Aïda… j’avais cinq ans et demi.

Mon père était chanteur, compositeur et oudiste. Il jouait aussi du daf – ou du def comme tu veux – un instrument de percussion traditionnel de Perse. Mon père a été mon premier « grand artiste ». Ma mère, elle, était une grande mélomane. Et enfin, j’ai une grande sœur qui chante aussi à la perfection, mais qui n’a pas souhaité en faire carrière.

Aïda était considérée comme la meilleure professeure de piano du Conservatoire. Pour les enfants, en tout cas. Avec elle, je vais passer de belles années, solides dans la base. Mes premières auditions, je les passerai chez elle, ou au Conservatoire avec elle.

 

M.M. : Et puis… retour en France…

C.Z. : Oui. En 2002, par le travail de ma mère, nous allons atterrir à Lyon. Et, très vite, nous allons y faire la connaissance de Sama Suleiman, une Syrienne, qui connaissait à fond le fonctionnement du Conservatoire du quartier de Fourvière, et qui va m’aider à y entrer. Pendant toute une année, je vais préparer mon admission qui aura lieu en 2003. Lorsque je rentre, c’est dans la classe (piano classique) de Mme Chamarande. Je précise aussi que, malgré mon entrée dans cette classe, Sama était toujours à mes côtés pour des cours particuliers.

Dans ces années-là, tous les étés, je repartais en Syrie. Et là-bas, je vais entrer dans « l’univers de mon père », c’est-à-dire la musique orientale, quelque chose qui m’avait en fait toujours accompagnée, mais que je n’avais pas forcément réalisé. Je vais avoir aussi l’occasion de croiser la route de musiciens extraordinaires, comme Sabri Mudallal. Sabri est un musicien incroyable, que j’ai eu la grande chance de croiser dans ma propre maison.

J’ai toujours chanté, avec mon père, ma mère, ma sœur… Depuis toute jeune, j’ai connu diverses cultures, dont deux principales. Cette « bi-culturalité », je ne l’ai pas toujours vécu sans difficulté, et je regrette aujourd’hui de ne pas en avoir pris conscience plus tôt.

 

M.M. : Ton premier contact avec le jazz, c’est vers cette époque ?

C.Z. : J’ai passé mon année 2008 à Beyrouth. Et au Liban, je vais prendre des cours de « piano-jazz » avec Giovanni Ceccarelli, dont la femme travaillait là-bas. Je vais faire à Beyrouth une année de Conservatoire, j’aurais une professeure russe, en piano, Angela – j’ai oublié son nom.

On revient à Lyon. Après la classe de Mme Chamarande, je vais aller dans celle de Philippe Soler. Dans sa classe, je vais rencontrer plein de gens qui vont devenir de grands musiciens comme Yanik Jacket, un multi-instrumentiste qui est passé aussi du classique au jazz.

Je vais rester dans la classe de Philippe jusqu’à l’obtention de mon DEM, ce sera en 2010. Et après ça…. eh bien l’envie m’avait un peu quittée, pour tout te dire. Je me heurtais à bien trop de compétition, à bien trop de stress… et à peu de solidarité. Je ressentais ça très fortement. Pourtant, j’adorais à ce moment-là la musique de chambre, mais… j’avais envie d’ailleurs. A part ma découverte du piano-jazz à Beyrouth, j’étais toujours dans un cursus classique.

Et puis, un ami vibraphoniste, Lenni Torgue, va m’emmener écouter un concert, à « La Clef de Voûte ». Sur la scène, Clémentine Vacher chantait. Pour moi, ça a été un déclic. Un gros déclic. Pour la première fois, je me disais : c’est ça ! C’est là où je veux aller !

Je me suis donc préparée au concours de « jazz vocal » au Conservatoire de Lyon. On est en 2012 et j’arrête là le piano. J’entre dans la classe de Jérôme Duvivier, où je vais rencontrer Claudine Pauly, Célia Kameni, Marie Almosnino, et puis… Zaza Desiderio, Everton Oliveira, Victor Pascal.

Je découvrais un monde tout à fait nouveau pour moi. Pendant les trois années qui ont suivi, j’ai énormément appris de ce monde-là.

 

M.M. : Tu as fait aussi l’ENM de Villeurbanne ?

C.Z. : Oui, en 2015, j’intègre l’ENM de Villeurbanne. Et je vais  apprendre le oud, avec, pour professeur, Thomas Loopyut. Qui va m’enseigner pendant une année. Ce sera aussi pour moi le début des concerts, parce que je vais rencontrer plein d’autres musiciens qui joueront de la musique orientale. Parmi ces belles personnes, je vais te citer la chanteuse (et oudiste) Yousra Abourabi ou encore Mansour – je ne le connais que sous ce seul nom – qui est un super musicien et journaliste ! Tu le vois, cette année aura été très riche en plongée dans cet univers où j’ai baigné très tôt.

Mais, dans le même temps, je faisais aussi beaucoup d’allers-retours à Paris où je commençais à « me frotter » à l’univers du jazz manouche – que j’avais un peu approché à Lyon. Là encore, la découverte d’un univers extraordinaire, d’un intérêt terrible. J’ai fait pas mal de jams avec eux… quand je te dis « eux », je pense à Arsène Charry, ou au violoniste indo-suisse Baiju Bhatt, un musicien superbe. Oui, on a fait pas mal de « caves » sur Paris… Un an plus tard, je m’installais à Paris.

 

M.M. : On parle d’univers, très différents dans ta carrière… il y a aussi le « maloya »

C.Z. : Oui. C’est à Lyon que je découvrirai ce monde-là, aux « Valseuses », rue Chappet. Je vais tomber littéralement amoureuse de cette musique. Ce soir-là, grâce à mon téléphone, je vais enregistrer et du coup apprendre plein de leurs mélodies. Par la suite, j’ai été amenée à les recroiser et… ils m’ont invitée – ainsi que Claudine Pauly, du reste – à les rejoindre. On est en 2014, et le « collectif » s’appelle Ti’Kaniki. La découverte d’un nouvel univers, pour moi, une nouvelle approche d’une musique ternaire très enrichissante pour laquelle il te faut un « lâcher-prise » particulier.

Je dois beaucoup à Hadrien Santos da Silva et à Gaël Champion. Ce sont eux, notamment, qui m’ont fait découvrir les kass-kass – ces petites percussions d’Afrique Centrale – un instrument qui marche, en fait, par paires, que Gaël et Hadrien fabriquent aussi. J’ai commencé à travailler ça, comme j’ai commencé aussi à travailler le kayamb, une percussion idiophone rectangulaire, en bambou, un instrument traditionnel très difficile à jouer.

 

2014 va être aussi l’année de la création du « duo Miral » avec le guitariste Baptiste Ferrandis, un duo chant-guitare-percussions.

Je voudrais aussi te citer un projet qui, s’il n’a pas eu la longue vie qu’il aurait pu mériter, nous a donné de belles dates dont une à l’Amphithéâtre de l’Opéra de Lyon… Le projet s’appelait « Brazil Music Project » et il réunissait Zaza Desiderio, Célia Kameni, Jean-Louis et Marie Almosnino, Diane Delzant, Simon Bérard et Wendlavim Zabsonre. Je le cite simplement parce que c’était là encore une super expérience.

 

M.M. : Parles-nous un peu de Paris…

C.Z. : Paris, j’y arrive donc en septembre 2015. Et tout de suite, bien sûr, je vais tenter d’entrer dans les Conservatoires, en jazz vocal. Sans succès ! Face à ça, je me dis : « bon, plus d’école pour moi, maintenant, j’apprendrai différemment, et notamment sur scène »… A cette période, je suis invitée par le groupe « Gipsy Galaxy » un groupe qui mêle le manouche et le jazz moderne, mon « duo Miral » avec Baptiste commence à bien fonctionner… si bien d’ailleurs, qu’ensemble, nous allons commencer à réfléchir sur le projet « Sarab ».

J’ai chanté beaucoup de musique orientale. Je voulais réapprendre ça. Avec Baptiste, nous nous sommes mis à travailler ensemble, à ré-arranger certains morceaux traditionnels. Et nous avions envie d’un bel écrin pour le faire. Nous voulions faire de « la fusion » de manière encore jamais entendue, quelque chose de particulier avec des sons encore inédits.

A l’automne 2017, la forme de sextet s’était dessinée. Avec, embarqués dans cette aventure, Robinson Khoury (au trombone et au chant), Thibault Gomez (au Fender Rhodes), Paul Berne à la batterie, et Timothée Robert à la basse.

Un premier album éponyme est sorti en mai 2019.

 

M.M. : Climène, on va également parler d’une autre belle rencontre pour toi…

C.Z. : Oui, c’est vrai. Alors qu’avec Baptiste, nous sommes dans un festival à Angers, je vais rencontrer Julien Gauthier. Ce festival mêlait musique classique et musiques actuelles. Et Julien avait été « l’arrangeur » de nos morceaux pour les adapter à la formation classique qui devait nous accompagner.

Julien était devenu un ami très proche. C’était aussi un compositeur très riche. Il avait, entre autres, composé une symphonie qu’on lui avait proposée de jouer sur l’île de la Réunion. Julien m’avait demandé si je voulais assurer sa première partie. Moi, La Réunion, je connaissais déjà pour y être allée en 2016, avec Claudine Pauly, un voyage bercé de « maloya » où nous avions rencontré Danyèl Waro.

J’ai dit « oui », bien sûr, à Julien. Et en 2018 nous sommes partis à La Réunion… où le concert a été annulé pour cause de « gilets jaunes ». Reporté en 2019.

En novembre 2019, je suis donc repartie à La Réunion pour ce spectacle qui a été d’une richesse prodigieuse… émotionnelle aussi, car je l’ai vécu comme un hommage, Julien étant décédé en août 2019… Un voyage qui m’avait pris aux tripes.

 

Pour revenir à mes premiers groupes parisiens, je vais citer l’orchestre de bal – encore une belle expérience – « MaDam RamDam » avec Pierre-Marie Lapprand au sax, Thibault Gomez aux claviers et à l’accordéon, Benoît Joblot à la batterie, et Paolo Gauthier au chant, à la guitare et aux percussions…

 

Également, et jusqu’en 2019, un groupe « musique balkanique / musique chaabi », « Gaïmalis », qui regroupe des musiciens extraordinaires de différentes cultures comme Nacer Hamzaoui, qui est algérien et qui joue du mandole – l’instrument traditionnel aux cordes pincées – , Mohamed M’Sahel qui est marocain et qui joue du darbouka, du def et du bendir, Sabin Hristov qui est bulgare et qui joue du hautbois, Jacques Méhu, un multi-instrumentiste français qui joue notamment du kaval – la flûte oblique, diatonique ou chromatique selon la région du monde, et enfin Alain Ducros, qui joue, lui, du violoncelle.

 

M.M. : Un mot de ton actualité d’aujourd’hui ?…

C.Z. : J’ai commencé à jouer avec quelques musiciens cubains, épisodiquement, mais c’est un autre univers exaltant…

J’ai aussi aujourd’hui rallié le groupe « Selkies » – à la base, c’était un remplacement – un groupe qui est emmené par la pianiste et chanteuse Nirina Rakotomavo. Nirina peut chanter en créole, en anglais, en espagnol… elle compose des textes très beaux, bien d’actualité aussi, sur une musique métis qui se rapproche beaucoup de la soul… Une musique très pure.

Dans ce groupe, je retrouve Cynthia Abraham, Maxime Barcelona à la guitare, Anissa Nehari aux percussions et Elvin Bironien à la basse.

Le virus a compromis notre première résidence, mais nous allons nous retrouver bientôt.

 

Sinon, j’ai accompagné le contrebassiste François Poitou sur morceau de Emel Mathlouti (grande chanteuse tunisienne et icône de la révolution tunisienne avec sa chanson « ma parole est libre ») qu’il a arrangé, et j’ai rejoint le groupe lyonnais « Kunta » sur un titre qui évoque les enfants syriens.

 

Mais bon… j’ai encore plein de projets dans la tête…

 

 

Propos recueillis le mercredi 17 juin 2020.

 

 

Une vraie belle rencontre, une vraie belle personne… Une de plus.

Merci, Climène, pour ta spontanéité, ton enthousiasme et ta fraîcheur. Un bonheur.

A t’écouter rapidement, sur une scène retrouvée…

 

 

André Henrot magnifie une fois de plus ces quelques lignes par des clichés « au top »…

Ont collaboré à cette chronique :