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Entretien avec Eric Prost

Il est originaire de Mâcon, une ville à laquelle, même s’il l’a quittée un temps professionnellement, il reste très attaché… puisqu’il y est revenu, y créer, encore de très belles choses. Il s’est fait un nom au saxophone, au travers d’un parcours riche, parsemé de belles formations…

 

 

Eric Prost

Un sax d’exception, en toute humilité…

 

 

Michel Martelli : Eric, ta route s’est bâtie sur des rencontres riches…

Eric Prost : Oui, c’est vrai. Et d’entrée, en plus. C’est à l’âge de sept ans que je vais entrer au conservatoire de Mâcon – c’était une école de musique alors, et pas un Conservatoire à Rayonnement Départemental comme aujourd’hui – et là, comme professeur, je vais avoir Roger Muraro. Je ne sais pas s’il est besoin de préciser la carrière de Roger Muraro, et le nombre impressionnant de prix qu’il a pu remporter comme pianiste classique… eh bien figure-toi qu’il a commencé par le saxophone… et qu’il m’a donné des cours pendant deux ans. Je me souviens qu’il nous accompagnait pendant nos cours, au piano cette fois. Et c’était à chaque fois des moments  extraordinaires. Grâce à lui, dans cette école, c’est tout un univers qui va s’ouvrir à moi. Une école dans laquelle je vais rester jusqu’à mes quinze ans..

Après Roger Muraro – qui va abandonner le sax ensuite – Jacques Baguet sera mon second professeur. Jacques est prof de sax sur Mâcon depuis plus de vingt-cinq ans… A cette période, je vais croiser Jean-Charles Richard, une rencontre dont je te reparlerai un peu plus tard. Très riche.

A quinze ans, je vais obtenir ma médaille d’or, mon cursus terminé. Côté lycée classique, j’étais en 1ère B et, franchement, l’économie…. Mais, pour bifurquer, il me fallait partir. Partir sur Dijon, pour m’inscrire en classe F 11, la classe qui te permet un Bac Musique, avec enseignement général le matin et conservatoire l’après-midi. J’ai obtenu mon Prix du Conservatoire en 1988, et mon Prix de Perfectionnement l’année suivante, en 1989. J’étais dans la classe de Jean Arnoult, qui fut un élève de Marcel Mule. C’était une classe très « à l’ancienne » mais dans laquelle j’ai appris énormément et où surtout j’ai découvert le jazz…

 

M.M. : Que tu n’avais pas abordé jusqu’alors ?

E.P. : … disons qu’à Dijon, le monde du sax classique, c’était en fait peu d’œuvres, peu de répertoire. Et à côté de ça, tu trouvais en ville des endroits comme « Le Brighton » ou « Le Grand Café » où on entendait beaucoup de jazz… il y avait aussi la rhumerie « La Jamaïque » qui, à cette époque – ce n’est plus le cas maintenant – donnait sa part belle au jazz . Moi je travaillais beaucoup mon sax, je travaillais aussi beaucoup Charlie Parker – que j’adorais – et je me pointais dans ces endroits avec mon sax, pour faire des bœufs… eh bien, ça a matché ! J’avais derrière moi quelques concerts « classiques » déjà, mais là, je me suis rapidement trouvé à accompagner un trio jazz, qui était emmené par un professeur du conservatoire, Pascal Baron – qui était pianiste. Un trio piano-basse-batterie. J’ai eu aussi l’occasion de jouer là avec le trompettiste Patrice Bailly, qui s’est arrêté, depuis. En fait, on était assez peu, sur la scène jazz à cette époque. Le conservatoire était résolument tourné « classique ». Alors, on a pris sur nous de … monter un Big Band. Complet, avec dix-huit musiciens. Sauf que… c’était interdit. Alors, on se réunissait tard le soir, en ayant mis le veilleur de nuit dans la poche, pour pouvoir répéter. Mais nous nous sommes faits dénoncer. Nous nous sommes entendus dire que « cette musique n’avait rien à faire dans ce conservatoire »… et là je te sors la version « soft ». Certains états d’esprit, à cette époque, étaient aux portes du racisme…

Bref, on a arrêté… avant de recommencer, plus tard, sous une autre forme.

 

M.M. : Que se passe t-il, après Dijon ?

E.P. : A Dijon, je vais rester deux ans. Deux ans au bout desquels j’ai mes deux prix de conservatoire, mon Bac et je suis passé « côté jazz »..  Que faire, sinon mettre le cap sur l’École Nationale de Musique de Villeurbanne, avec des profs comme Jean Cohen ou Gilbert Dojat. A l’E.N.M…. évidemment, ça va être le temps des rencontres musicales, des premiers groupes, des bœufs à n’en plus finir… surtout au « Hot-Club » de Lyon, où l’on va faire deux ou trois bœufs par semaine, après les concerts programmés (on finissait chaque fois aux aurores…) sous les yeux de Régis, qui était barman à l’époque, qui en a vu des vertes et des pas mûres…

Là, je vais rencontrer toute la bande avec laquelle je vais fonder « le collectif Mu ». A savoir : David Sauzay (sax ténor), François Gallix (contrebasse), Laurent Sarrien (batterie), Jean-Loup Bonneton (guitare) – un des compositeurs du collectif – Philippe Pipon Garcia (batterie), Gaël Horrelou (sax), Laurent Courthaliac (piano) et Fabien Marcoz (basse) qui avait remplacé Jean-Louis Chalard. Nous étions tout un groupe d’allumés fanas de John Coltrane. Et on va tellement passer des nuits entières au Club qu’on va finir par s’en faire virer ! C’est de là que vient la fédération du Collectif Mu.

Et du coup, en 1993, on va revenir sur Mâcon, car le père de François y a une maison qui a la particularité d’avoir deux grandes caves. Et qui nous les propose pour faire travailler le collectif, et pour y faire nos répèts…

 

M.M. : Le début d’une belle collaboration…

E.P. : On a vécu de belles années ensemble, oui. On fréquentait les ateliers de jazz de Didier Levallet, à Cluny et puis, également, le club (et studio d’enregistrement) « A l’ouest de la Grosne », monté par Jacky Barbier – Jacky qui était un « ancien » du Café de la Gare…

Bref, c’était des bœufs tous les soirs, qui vont nous faire croiser la route de Simon Goubert, le batteur, aussi allumé que nous sur Coltrane et il ne se passera pas beaucoup de nuits sans qu’on joue ses morceaux… En 1994, on soumet même l’idée à Simon de faire un disque. Mais lui nous dissuade… et nous conseille plutôt de monter un club !

On va prendre acte de son conseil et, le 17 février 1995, nous allons fonder « Le Crescent ». Aujourd’hui, je reste le seul fondateur toujours membre de l’association. Je ne l’ai jamais quittée, en fait. La vie a fait que les autres ont suivi leurs routes respectives, tant professionnelles que personnelles. Néanmoins, tous reviennent en programmation au Crescent, aujourd’hui.

Pour l’ouverture, nous avions convié Alain Jean-Marie et son quartet. François, Laurent et moi les avons accompagnés, ce soir-là. « Le Crescent » va devenir notre laboratoire, dans lequel nous allons faire venir « des pointures », comme Riccardo del Fra, Eric Le Lann, Georges Arvanitas, Michel Graillier (tous les deux décédés, hélas), Yannick Rieu, Simon Goubert (bien sûr) ou Christian Vander…

Le club a pris très vite sa réputation, sur la ville de Mâcon. Ce projet, monté par une bande de jeunes musiciens a bien plu. Côté instrument, c’est à peu près à cette période que je vais abandonner le sax alto pour me consacrer au ténor…

 

M.M. : Et puis votre « bande » va remporter de beaux prix…

E.P. : Déjà un premier album « Live au Crescent » va voir le jour… En 1995, on va gagner le concours organisé par « Jazz à Vienne », ce qui va nous permettre de faire ensuite la première partie du concert donné par Wynton Marsalis… L’année suivante, on va aller gagner le concours de La Défense : le prix pour le collectif, le prix de la composition pour Jean-Loup, et le troisième prix soliste pour David… Tu vois que ça marchait bien, d’ailleurs ça va nous ouvrir plein de scènes. En 1998, on sort un second album, « Don Quichotte » sous le label « Seventh Records » de Christian Vander. La presse était top, on va enchaîner les dates dans les beaux endroits jusqu’au début des années 2000. Et puis, mais comme normalement, chacun ayant grandi sur sa route et ayant affirmé son style musical propre, va prendre sa voie…

 

M.M. : Comment, toi, tu rebondis ?

E.P. : Il y a deux projets qui vont marcher « de concert » pour moi. En 2000, je monte mon premier groupe jazz « Loops », avec Stéphane Foucher à la batterie, et François Gallix à la contrebasse… Avec ce groupe, on va faire un  album, déjà, « Get high », et puis nous allons être sélectionnés par l’Alliance Française, ce qui va nous permettre d’aller tourner, sur deux ou trois ans, en Égypte, en Syrie, au Soudan, au Sénégal, en Mauritanie, au Niger, au Mali, au Bénin…. et peu de temps après, peut-être l’année suivante, je vais entrer dans le groupe “Meï Teï Shô”, une formation très musiques actuelles, musiques ethniques, avec le chanteur Jean Gomis, « Sir Jean ». Avec ce groupe aussi nous allons faire des tournées internationales. Au Brésil, au Canada, dans toute l’Europe… à chaque fois sur de grosses scènes. Je vais y côtoyer Kostia Delaunay (guitare), Boris Kulenovic (basse) ou Germain Samba (batterie).

Et, à côté de ces deux projets, je vais entrer dans l’Orchestre Régional de Jazz, que dirigeait Gil Lachenal à ce moment-là, et rencontrer aussi Pierre Drevet, dont je ferai partie de son ensemble pendant quatre ou cinq ans…

 

M.M. : La liste des groupes où tu interviens est impressionnante. On en cite quelques-uns ?

E.P. : Oui. Liste non exhaustive, bien sûr… Avec mon quartet « EP4 », on va, fin 2000, sortir un second disque, éponyme. Dans « EP4 », je collabore avec Stéphane Foucher, Bruno Ruder au piano et Jérôme Regard à la basse.

Dans le même temps, je suis dans le quintet du bassiste Greg Théveniau « La vie est un poulpe », avec Bruno, encore, au piano, Hervé Humbert à la batterie et Nacim Brahimi au sax…

Je joue aussi dans le quartet de Christian Vander, de la musique « Coltrane », également dans le « Maxime Blésin Quintet » avec Emmanuel Duprey au piano, Sal La Rocca à la contrebasse, Mourad Benhammou à la batterie, et Maxime à la guitare, bien sûr…

Dans le « Pierre Drevet Quintet », je te l’ai déjà dit…

Et puis un groupe – qui dure encore aujourd’hui – avec David Suissa et qui s’appelle « Leitmotiv Blastik Pertran ».

« The Amazing Keystone Big Band » que j’intègre la seconde année, soit en 2011, grâce à Jon Boutellier,

Et puis, avec le « Quartet Crescent », avec Romain Nassini, Stéphane Foucher et Greg Théveniau, on vient, aussi, de sortir un album…

Depuis 2010, je joue aussi dans le « Alfio Origlio Quartet », avec aussi Jérôme Regard et Andy Barron,

Depuis 2015, dans le groupe de Romain Baret, avec Sébastien Necca, Michel Molines, Romain et Florent Briqué

J’ai accompagné aussi la chanteuse Catali Antonini sur son album « Persian Alexandria »

 

En 2015, Jean-Charles Richard (je t’avais dit qu’on en reparlerait) a été appelé par JazzRA, avec carte blanche pour monter un groupe. Ce sera « L’Equilibre de Nash » – inspiré par la fameuse théorie des jeux immortalisée à l’écran par Russell Crowe – dans lequel on a créé un univers poétique, avec Basile Mouton à la contrebasse, Stéphane toujours à la batterie, et Roberto Tarenzi au piano. On a fait une grosse tournée avec ce quintet entre 2015 et 2019.

Je te cite aussi « XXL », un groupe qui revisite les compositions de David Suissa, avec Thibaut François à la guitare, Boris Pokora au sax ténor, Simon Girard au trombone, Fabien Rodriguez à la batterie, Michel Molines à la contrebasse. Sans oublier David au chant bien sûr et donc moi-même au sax ténor.

Et puis je termine par le Big Band de l’Oeuf, de Pierre Baldy-Moulinier, dans lequel je joue depuis maintenant quinze ans. Je tiens à terminer avec ça parce que c’est une expérience fondamentale pour moi, avec Pierre qui est un compositeur incroyable. Tu travailles la joie au corps …

 

 

Propos recueillis le vendredi 1er mai 2020

 

Un grand merci à toi, Eric, dont j’ai découvert la carrière « fabuleuse » au fur et à mesure que nous avancions sur ta route… Ton accueil a été plus que chaleureux. Et merci également à Franck Benedetto, mon complice photographe qui nous a mis en relation…

 

Discographie :

  • Collectif Mù « Live au Crescent » « Don Quichotte »
  • ORJ Gilles Lachenal « Nuances »
  •  Emmanuel Borghi « Anecdotes »
  •  Jean Benoit Culot 5et « Live au petit opp » « Live à puzzle » « Love songs »
  • Alfio Origlio 4et « Wings and notes » « Aqua »
  •  Amazing keystone big band « Pierre et le loup et le jazz » « le carnaval jazz des animaux » « Mr Django et Lady swing » « Django extended » « We love Ella » « la voix d’Ella »
  •  Maxime Blésin 5et « Bowling Ball »
  • Maxime Blésin 6et « Hydrogen Bond »
  •  Mei teï shô « Dance and reflexion »
  • David Bressat « Neo » « Alive » « true colors »
  • Catali Antonini « Persian Alexandria »
  • Romain Baret 4et et 5et « Split moments » « Naissance de l’horizon »
  • David Suissa « Chante et tais toi » « Animal savant » « Sans bouger de là »
  • Crescent 4et « Quartet Crescent »
  • Greg Théveniau « La vie est un poulpe » Laurent Fickelson « In the street »
  • Big Band L’Oeuf « Eclosion » « Cascades » « Petits plats pour grand ensemble »
  • En Leader : Loops « Get high » ; EP4 « EP4 » ; XXL « Des enchantés du bocal »

Ont collaboré à cette chronique :