Retour aux claviers, dans cette chronique… une section riche pour le jazz, riche de nombreux talents qui nous enchantent. Lui est installé dans la ville de Claude Nougaro, mais en réalité, il ne connaît pas les frontières. Ce boulimique de travail a toujours eu la main heureuse dans le choix des projets qu’il construit, ou auxquels il collabore. Tant mieux pour nous.
Entretien avec Étienne Manchon
Musicien entre éclectisme et fidélité….
Michel Martelli : Étienne, tu affiches une route déjà riche. Où commence t-elle ?
Étienne Manchon : Je suis originaire de Nancy, en Meurthe-et-Moselle. C’est là où commencera ma voie musicale.. parce que j’ai eu la chance d’avoir des parents “artistes”. Mon père – par ailleurs chercheur en mathématiques – est pianiste, à la base, et c’est aussi un musicien averti, passionné de musiques traditionnelles françaises comme irlandaises. Il a toujours adoré l’accordéon, comme la cornemuse. Ma mère, elle, joue de la flûte traversière, et de la flûte à bec. Elle intervient, du côté professionnel, en écoles maternelles ou primaires, et donne des cours de flûte, et de solfège. Comme l’instrument était déjà à la maison, j’ai commencé par le piano, à quatre ans. J’ai débuté par des petits cours, que me donnait mon père, pendant toute une année. Et puis, je suis entré à l’école de musique de Neufchâteau, dans les Vosges, une école dans laquelle j’ai été accueilli par Mme Becker, la prof, avec qui j’obtenais de bons résultats, même si je reconnais que j’aurais pu apprendre beaucoup plus. Bref, je suis resté deux ans dans sa classe, et puis, à mes sept ans, la famille a émigré vers le Centre, posant ses valises à Clermont-Ferrand.
A Clermont, je vais entrer au Conservatoire. En classes piano, solfège et même chorale. Bien sûr, c’était du piano classique, et j’y ai progressé grâce à ma prof Dominique Blanc-Leleu, qui m’a coaché jusqu’à mes dix ans. Ensuite, pour le second cycle, j’ai suivi l’enseignement d’Isabelle Ducreux, dont d’ailleurs Dominique était l’assistante, Isabelle qui sera ma professeure pendant les quatre ans de mon second cycle, et les deux ans de mon troisième.
M.M. : Tu n’avais bien sûr, à ce moment-là, aucune certitude sur la suite ?
E.M. : Je crois que j’ai toujours voulu être musicien. Mon souci principal était plutôt : “Est-ce que je vais pouvoir y arriver ?” Dans mon cursus scolaire classique, ayant connu une voie plutôt littéraire, j’avais opté, au lycée, pour “musique lourde” qui nous octroyait sept heures de musique par semaine. Avec un petit concours d’entrée, quand même. Tu vois, la musique avait déjà tout mon intérêt.
En revanche, au sortir de mon troisième cycle, j’ai arrêté le Conservatoire. Je crois que j’en avais assez de jouer tout seul et je reconnais volontiers que, dans ce Conservatoire-là, la pratique “en groupe” était assez laissée de côté. C’était quelque chose qui heurtait un peu ma conception de la musique. Mais cette période m’a permis de m’ouvrir un peu plus à d’autres univers, comme le jazz, ou les musiques actuelles, autant d’univers qui ne “correspondaient pas trop” à l’enseignement que j’avais reçu. Et le parcours “de pianiste classique” s’éloignait un peu. Même si, tu le verras, il ne m’a jamais véritablement quitté tout à fait.
Mon Bac en poche, obtenu à dix-sept ans, je vais émigrer à Toulouse, à cause de sa Faculté de Musicologie orientée vers le jazz. Nous sommes en 2012. Je passe le concours d’entrée, et je commence les cours et, dans le même temps, quasiment, et sur les recommandations des professeurs de la Fac, je vais aller m’inscrire au Conservatoire de Montauban, à cinquante kilomètres de Toulouse. Pour y développer mon jeu instrumental, surtout. A Montauban, j’entre en classe jazz, bien sûr, mais il n’y avait qu’un seul professeur pour tout le département, David Haudréchy. Pas mal de musiciens de ma promotion sont devenus professionnels. Je pourrais te citer Oscar Emch, super guitariste, qui a émigré vers la pop, qui joue pas mal avec le flûtiste Magic Malik, le bassiste Philippe “Waterballs” aussi – c’est son nom de scène – qui joue, lui, avec Maïlys Maronne. De la même façon, à la Fac, j’ai rencontré des copains qui sont toujours dans mon entourage, dont le batteur Théo Moutou, qui est aujourd’hui le batteur de mon “Étienne Manchon Trio” depuis six ans – trio qui compte aussi le contrebassiste Clément Daldosso…
M.M. : Et puis, tu vas encore bouger…
E.M. : Après trois années, le temps de passer mon troisième cycle, d’obtenir mon DEM, et ma licence à la Fac, je vais refaire mes valises, oui, et mettre le cap sur Paris. parce que j’avais dans l’idée d’entrer au CNSM. C’était en 2015, c’était top, mais voilà je ne resterai au CNSM qu’une année et demie ! En dépit des merveilleux conseils prodigués par Pierre de Bethmann. Parce que j’avais un groupe, et qu’avec ce groupe on faisait quelques concerts, et qu’à un moment donné on nous a demandé de choisir. Le Conservatoire, ou les concerts. Je suis parti. Il me semblait que c’était plus là mon chemin, même si je reconnais que je serais resté sans aucune difficultés. J’avais choisi ma voie musicale, aussi. Elle serait “Jazz”.
Je suis devenu intermittent du spectacle en janvier 2017. Le “Etienne Manchon Trio” existait depuis 2016 mais, avant lui et à Toulouse, j’avais créé le “Etienne Manchon Quartet”, en compagnie de Dorian Dutech à la guitare électrique, de Philippe “Waterballs” à la basse, et de Damien Gouzou à la batterie. Moi, j’étais aux claviers, bien sûr. Ce quartet a vécu de 2014 à mi-2017.
Parce qu’en 2017, je vais commencer à tourner avec le groupe de jazz/soul “La Recette”, un groupe emmené par Oscar Emch, avec encore Philippe à la basse, et Théo à la batterie. J’étais toujours aux claviers.
Mon propre trio commençait à tourner un peu, mais c’était quand même les tout débuts.
Je te disais tout à l’heure que je n’avais jamais véritablement abandonné la musique classique. Cela va se matérialiser lorsque j’accompagnerai des chanteuses lyriques.
Avec “La Recette”, nous tournerons jusqu’en 2019. Le groupe avait été créé en 2012, alors que nous étions tous encore à la Fac, et nous avions envie d’autre chose. Dans le groupe, c’est Oscar qui composait. Les autres, nous apportions nos contributions dans les arrangements, surtout.
Mais nous faisions pas mal de dates par an.
A partir de 2019, beaucoup de projets vont venir se bousculer, dans ma vie.
M.M. : A commencer par ton propre trio…
E.M. : Oui, mon trio qui pris son envol, et a tourné pas mal. D’ailleurs en février, nous sortirons notre premier album, “Elastique borders”.
Mais en 2019 aussi, je vais entrer dans le septet du contrebassiste Yves Rousseau, qui a beaucoup joué avec Jean-Marc Padovani. Cet ensemble tourne bien, nous avons déjà fait une vingtaine de concerts, et tu peux retrouver des musiciens comme Géraldine Laurent au saxophone, Thomas Savy à la clarinette, Jean-Louis Pommier au trombone, Csaba Palotaï à la guitare – un gars génial d’origine hongroise qui a joué avec Emily Loizeau, et Vincent Tortiller à la batterie, Vincent dont le groupe, “Daïda” tourne super bien. Avec ce groupe, on est sur du jazz progressif, avec une écriture assez fournie.
J’ai cité Jean-Marc Padovani tout à l’heure, j’ai eu le grand plaisir de partager la scène avec lui sur le projet “Mescladis”, qui réunissait sur scène un quatuor vocal, des percus, une contrebasse et où je jouais de l’orgue baroque, en plus du clavier. Cela reste pour moi un super souvenir.
Je vais arriver aussi dans le groupe de musique baroque “Lyra”, où là je joue du clavecin. Et où je suis bien entouré : Amandine Bontemps est au chant, Camille Suffran et Camille Antona aux violons, Coline Lemarchand à la flûte traversière ancienne, et Estelle Besingrand au violoncelle.
Toujours en 2019, en juillet, je vais commencer à jouer avec le groupe “Gabacho Maroc”, un groupe de musique fusion, de musiques du Maghreb, et de jazz. Dommage que ce groupe se soit arrêté avec l’apparition de la Covid, en 2020.
J’ai commencé à donner des cours, à la Faculté de Toulouse aussi. Des cours d’ensembles, et d’improvisation…
M.M. : C’est énorme… Et ça ne s’arrête pas là…
E.M. : 2019 a été une grosse année… J’ai créé un nouveau groupe, “La Pieuvre Irréfutable”, un octet autour de mes compositions, très axé “groove” avec un petit côté Zappa. Dans ce groupe, tu vas trouver Pierre Pollet à la batterie, George Storey à la basse, Rémi Savignat à la guitare, Guillaume Pique au trombone, William Laudinat à la trompette, Ferdinand Doumerc au sax alto, et Alexandre Galinié au sax ténor.
Tous sont des musiciens très occupés, mais je peux te dire que mon prochain album, qui sortira en septembre 2023, sera avec ces musiciens-là. Ce groupe, avec en plus un quatuor à cordes.
De temps en temps, je joue avec le vibraphoniste bordelais Félix Robin. Félix avait invité le saxophoniste polonais Dawid Toklowicz sur une tournée. Depuis, on joue ensemble tous les ans.
On arrive à 2020… Au début de l’année, je vais créer un duo avec le saxophoniste rhônalpin Pierre Lapprand, “Congé Spatial”. On y écrit tous les deux, sur un travail avec, tu l’imagines rien qu’au nom, pas mal d’électronique. Et beaucoup d’inter-actions, aussi. On va sortir un album en mai 2023, d’ailleurs. On pourra en reparler.
Je vais entrer aussi dans le sextet de jazz acoustique “Six for Six”, emmené par Malo Evrard à la batterie, qui écrit, bien sûr. George Storey est à la contrebasse, Igor Lawrynovicz est au trombone, Adrien Dumont à la trompette, et Sandro Torsiello aux saxophones ténor et soprano. Avec ce groupe, un premier album est sorti en mai 2022, “Frogs Performance”.
Bon… et puis après, la Covid est arrivée, et l’ascension s’est un peu calmée. Mais, malgré tout, on a pu créer, avec la rythmique de “Six for Six”, le “Flutty Fox Trio”, dans lequel on ne joue que des standards. On en joue d’ailleurs beaucoup sur YouTube, car on en a posté pas mal pendant le troisième confinement.
En 2021, j’ai eu une super opportunité, en allant jouer, et enregistrer au Palazzetto Bru Zane de Venise, où j’accompagnais la mezzo Aude Extremo. Une expérience incroyable.
Et au mois d’octobre de la même année, je sors un album avec une formation née au jazz-club de Toulouse, où nous avons enregistré plein de standards. C’est un trio dans lequel je joue avec George à la contrebasse et Pierre à la batterie.
M.M. : On arrive à 2022… où la situation s’est un peu normalisée. Et tu réenclenches les vitesses…
E.M. : Je reconnais que les beaux projets ont continué à se présenter. Comme ce groupe folk, dans lequel j’entre dès le mois de janvier, “Meshaï”, avec lequel on a déjà fait pas mal de concerts très chouettes.
J’ai aussi accompagné le chœur de chambre “Les Eléments”, un chœur de Toulouse, pour leur spectacle “Rosa-Lune et les loups”.
Toujours en musique classique, j’ai créé le duo “Agast” avec la violoniste Jeanne Le Goff.
En février, “Congé Spatial” s’est exporté en Allemagne, pour une petite tournée. Et nous y avons rencontré un joli succès.
En avril, j’ai retrouvé mon copain Gaspard Baradel, en l’invitant sur Toulouse dans un groupe spécialement créé pour l’occasion, groupe avec lequel nous avons fait six ou sept concerts. Deux batteurs nous avaient épaulés sur ce projet-là, Rémy Gouffault et Malo Evrard. Et Grégoire Oboldouieff était à la contrebasse.
Avec Malo Evrard, toujours, et le saxophoniste David Pautric, nous avons créé “L’Autre Big Band”. Nous sommes dix-huit sur scène. Un premier album a été enregistré – il va sortir d’ici deux semaines – et nous y avons invité Géraldine Laurent.
Je suis aussi entré dans le groupe du trompettiste toulousain Daoud – dans un groupe qui porte son nom. Un groupe très chouette encore, où je retrouve Félix Robin, mais aussi Louis Navarro qui est à la contrebasse. Nous venons d’enregistrer un premier album. Ce groupe a gagné le “Tremplin” de “Jazz au Phare” de l’île de Ré.
En juillet, “Congé Spatial” s’est produit à “Jazz à Marciac” où j’étais déjà venu, l’année précédente, mais cette fois avec mon trio.
Je suis aussi entré dans le Big Band “Le Gros Cube”, emmené par le super saxophoniste Alban Darche. Là aussi, nous sommes nombreux. Dix-sept. Et on y fait de la super musique. Nous sommes déjà allés nous produire en Belgique.
En septembre dernier, avec le “Étienne Manchon Trio”, nous avons sorti notre second album, “Streets”. Un album qui a connu une belle gestation avec de nombreux concerts déjà faits autour de lui, et d’autres prévus sur 2023.
Allez… je finis… pour l’instant… avec ce projet que j’ai entamé avec le guitariste-chanteur du Cap-Vert, Tcheka. C’est à la base un duo, mais on ne s’interdit pas de l’étendre à un trio, ou un quartet. Avec contrebasse et batterie. A suivre…
Propos recueillis le jeudi 29 décembre 2022
Quelle belle route ! Merci, Étienne, de ta sympathie, de ta disponibilité, et de ce que tu nous donnes, entouré de tes amis musiciens, sur une scène. Au plaisir de se retrouver pour de nouveaux projets, et peut-être aurais-je l’occasion de t’écouter en concert…
Liste des entretiens réalisés par Michel Martelli