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Entretien avec Fabien Mille

Il est natif des environs de Grenoble, et a passé toute son enfance à Villard-de-Lans. Pourtant, il n’a pas hésité à s’exporter. Professionnellement et musicalement. Pianiste mais aussi saxophoniste, il revient en force depuis quelques années sur la scène française…

 

Fabien Mille

Un « piano » aux multiples sonorités…

 

 

Michel Martelli : Fabien, tout d’abord, une précision ?

Fabien Mille : Oui ! Parce qu’on m’interpelle souvent à ce sujet-là. Je n’ai aucun rapport avec l’accordéoniste Daniel Mille – que j’aime beaucoup par ailleurs , ni avec Christian Mille le violoniste. C’est dit. Mon père, qui a touché un peu de la batterie dans l’époque yé-yé a connu ce problème aussi….

Mon cursus scolaire ? J’ai eu un Bac scientifique, suivi d’une inscription en classe préparatoire aux Grandes Écoles. J’ai mené ça de front avec mes inscriptions en conservatoires… Bon, je t’ai dit que mes parents étaient déconnectés « musique ». Donc faire ma route, professionnellement, dedans, c’était une option.. lointaine. Mais je vais quand même entrer, à cinq ans, à « L’école des Quatre-Montagnes », sur le plateau du Vercors, pour y apprendre le piano. Cette école, à ses débuts, était une école itinérante… Mon frère y est entré aussi, pour le piano également, et puis il a bifurqué vers la batterie, et puis il a obliqué vers… la sortie. Je reste donc le seul de la famille, entre les mains de Madame Rimey-Meille, une prof assez classique, assez rigide aussi mais qui aimait bien ses élèves. Tu sais, au départ, je traînais un peu les pieds. Elle a pourtant réussi à me former, pianistiquement parlant, et à bien me former…

 

M.M. : Donc le piano. Et puis, tu as opté pour le saxophone, également ?

F.M. : Oui. J’ai commencé avec le piano, et puis j’ai embrayé avec le saxophone, dans une période pourtant – aujourd’hui révolue – où le saxophone n’était pas en odeur de sainteté pour des enfants de cet âge. Je vais rester dans cette école de cinq à quinze ans, les sept premières au piano et les trois dernières au sax. C’est ce dernier qui va me faire découvrir le monde du jazz. Je vais m’inscrire dans un stage – qui était organisé par Jacques Cordier, un organiste, très fort aussi sur la flûte à bec – qui va créer notre première expérience collective avec le « Big Band des Quatre-Montagnes »,  où l’on peut croiser aussi un violon ou une clarinette. Nous étions une dizaine et nous nous sommes super bien éclatés. Et cette semaine de stage s’est transformée en atelier régulier. Là, l’impro était top. Le jazz permet ça, avant tout. Cette souplesse musicale est très intéressante.

 

M.M. : Comment vas-tu t’étoffer ?

F.M. : Lorsque j’ai quinze ans, alors que je suis au lycée, je me rends compte que le Conservatoire, c’est juste la porte à côté (sur la colline de Fourvière). Je constate aussi qu’il y existe une section « jazz ». Alors je vais m’inscrire au concours d’entrée. Pour enfin appréhender le jazz, moi qui à cette époque ne sais même pas ce qu’est une contrebasse ! C’est vrai que, culturellement, à part l’écoute des vieux vinyles de mon père… Si, j’ai eu quand même un premier coup de cœur en écoutant, en 1992, le « Monty Alexander Trio » pendant un Festival à Nice. Je pense que ça m’a boosté.

Donc, je réussis le concours, et je vais faire la connaissance de Mario Santcheev, qui était professeur de piano-jazz. Mario est une personne formidable qui ne décourage jamais un musicien qui passe entre ses mains. Et lui va parfaire ma formation de pianiste. Parce que, s’il est vrai que je ne faisais pas partie des « acharnés », je ne traitais quand même pas mes cours par-dessus la jambe.

A partir du Conservatoire, je vais abandonner un peu le sax au profit du piano. Mais je le reprendrai plus tard. Et puis, en parallèle, et dès mes quatorze ans, je vais monter un premier quintet avec Benjamin Gaidioz – grâce à qui j’apprenais plein de trucs sur divers musiciens – qui était aux claviers, Rémi Collireau, très doué à la batterie, Rémi Clot-Goudart à la guitare – il est aujourd’hui agrégé de philosophie… – Jean Filoti, qui est devenu un super bon menuisier et puis… Laurent… dont je n’ai jamais su le nom, et qui était notre bassiste…

Notre groupe s’appelait « Les Jazz Sons Five » (une trouvaille de notre philosophe..). Avec ce groupe, nous avons pu faire quelques dates de concerts, et aussi un partenariat avec le café-théâtre de Villard.

 

M.M. : Et tu vas quitter la région Rhône-Alpes ?

F.M. : J’ai fait mes trois ans au Conservatoire, en parallèle de mon entrée en classe préparatoire scientifique. Et je suis accepté à l’Ecole Centrale… de Lille. J’y pars, et je vais vite m’inscrire, aussi, au Conservatoire de cette ville. Où ma route va croiser celle de Cyril Wambergue, qui devient mon nouveau professeur de piano. Il a beaucoup travaillé dans la chanson française. Le concours d’entrée ? Je l’avais passé avec un morceau aux accents d’Herbie Hancock. Lille m’a ouvert l’esprit sur un tout autre univers, plus Keith Jarrett ou Brad Mehldau. Je découvrais là une toute autre manière d’improviser due, en partie sans doute, aux professeurs eux-mêmes dont l’influence a certainement joué.

A Lille, je vais rester deux ans et demi. Le temps de mon école d’ingénieurs. Du reste, avec certains d’entre eux, je vais monter un petit groupe. Et aussi, dans une moindre mesure, une fanfare, quelques structures « amateur ». J’ai profité de tout ça pour parfaire mon éducation jazz, et surtout, donc, grâce à ce groupe, que nous avions appelé « Muskrat Randle Quintet ». Autodidacte, très « free jazz », très fan du groupe belge Aka Moon… Nous jouions des compositions, de nous tous, j’avais la chance de jouer là avec des gens très doués, mais qui refusaient de jouer les standards. Mais les compos, c’était assez participatif et collectif pour faire notre bonheur.

Finalement, j’ai « bien mûri » à Lille. Une période qui a parfaitement complété celle vécue à Lyon.

 

M.M. : Lyon, où la vie va te ramener ?

F.M. : Oui, et où, d’entrée, je vais bosser comme ingénieur. Mais je voulais quand même achever mon cursus musical. Donc je me réinscris au Conservatoire, et là, je vais rencontrer Jérôme Regard, Jérôme qui m’a fait encore énormément bosser. Nous allons aussi monter le « Zirilim Quartet », qui produisait des compositions originales de jazz, empreintes de musiques traditionnelles des Balkans. Je partageais ce groupe avec Roland Merlinc, à la batterie, Alexis Requet au sax tenor,  Raphaël Guyot à la contrebasse… C’était notre premier groupe « semi-pro » qui nous a fait faire quelques concerts. Un ensemble artistiquement très intéressant, qui réunissait quatre personnalités… solides. Nous avons tourné trois ans ensemble, avant de prendre des routes différentes..

 

M.M. : Mais, en réalité, tu vas partir beaucoup plus loin…

F.M. : A Lyon, j’étais ingénieur… généraliste, j’ai envie de te dire. Avec des spécialisations, dans les nanotechnologies, les ondes, l’acoustique… tu vois le rapport plus ou moins lointain avec la musique ?… Cette formation va me faire travailler, à Lyon, dans le domaine des objets afférents à la puériculture, et puis je vais émigrer à Aix-en-Provence, dans le domaine, cette fois, du jouet. Je vais rester une année à Aix, et puis je vais m’envoler vers… Shenzhen, en Chine, où je vais rester quatre ans. Note bien que j’en ai ramené quelques rudiments de chinois.

Eh bien là-bas aussi, va se produire un déclic. Je vais rencontrer, par hasard, des Chinois qui ont un « club de jazz », je devrais plutôt dire « jazz garden ». Ils cherchaient un pianiste, et j’ai dit « oui ». Cette expérience m’a beaucoup appris, elle aussi. Surtout dans la manière de « simplifier » mon jeu… Je jouais quatre soirs par semaine. Accompagné du gérant, qui était guitariste (très inspiré Wes Montgomery), un batteur, un trompettiste et… deux Sud-Africains, au chant et à la contrebasse… Plus tard, se greffera une section complète de « soufflants ». Et une chanteuse chinoise aussi… Moi, je faisais les arrangements pour les soufflants…

Au final, tu vois, je garde une très bonne impression de ce séjour chinois.

 

M.M. : Tu vas garder cette double casquette longtemps ?

F.M. : Lorsque je rentre en France, je travaille toujours comme ingénieur, oui. Mais ça devient compliqué et je ne te cache pas que j’ai frisé le burn-out… J’ai donc arrêté le métier d’ingénieur. Je n’étais plus vraiment motivé. A partir de 2014, je vais prendre du temps, et je vais commencer à accepter plein de projets musicaux, dans des styles très différents. Comme par exemple, ce groupe de musique africaine, « Sagoke Groove » qui était emmené par Seydou Dramé – chanteur et percussionniste – et deux choristes dont Nicole Lise… Ça a été une très belle expérience humaine, nous avons fait une quinzaine de dates, sur le second album de Seydou, « Bara »…

A côté de ça, il y avait un orchestre « disco », « Denim Brant », sans doute très enrichissant artistiquement mais avec lequel on n’a vraiment pas beaucoup tourné…

De 2014 à 2016, je peux dire que j’ai vécu des expériences très variées. Cela va être aussi une période où je vais commencer à donner des cours. Continuer serait le terme plus exact, car ces cours, je les avais déjà commencés en Chine, au profit de divers musiciens de toutes nationalités. Des cours que j’assurais, là-bas, en anglais. Ici, je vais devenir professeur à domicile, pendant deux ans, pour une vingtaine d’élèves… de sept à soixante-dix-sept ans. Débutants ou confirmés. Là, j’étais encore à Aix. Mais un jour, retour aux sources. Nous revenons nous installer en Isère, à Voiron.

 

M.M. : Voiron, où ton actualité va maintenant se dévoiler…

F.M. : Oui. Je dois dire que je n’étais pas mécontent de revenir sur Voiron. J’ai vite retrouvé un réseau de musiciens, avec qui je vais  monter plein de projets intéressants.

D’abord, avec le batteur Lionel Grivet, nous allons nous lancer dans un trio, « Jazz de France », avec Jean-Pierre Comparato à la contrebasse. Un trio qui est en train de muter en quartet puisque nous a rejoints Fabrice Bon au saxophone.

Je joue également dans le « Duke’s Place Quartet ». Toujours avec Lionel Grivet à la batterie, avec aussi André Wentzo à la contrebasse et Franck Pilandon, au saxophone. Le spectacle s’appelle « New Ellington Project » et les morceaux ont été ré-arrangés pour un format quartet. Nous abordons là des compositions du « Duke » – celles, peut-être moins connues, des années soixante. Nous avons déjà fait quelques dates, mais le Covid en a annulé d’autres…

Avec le « Harlem Swing Orchestra », on aborde la musique « Cotton Club », c’est à dire le jazz 1920-1933 avec un septet. Emmené par Pierre Fournier, à la trompette, André Wentzo qui est de ce voyage aussi, Laurent Chofflet à la batterie, Ivan Baldet au saxophone, comme Jean-Baptiste Pérez d’ailleurs, et Yvan Lemaire au trombone. Tous des musiciens d’exception, et tous des musiciens de caractère. Le spectacle s’appelle « A night at the Cotton Club » et tourne sur des airs du Duke, mais aussi de Cab Calloway, entre autres… Là aussi, des dates ont dû être annulées…

Il y a aussi le « Big Band de Fontaine », dirigé par Sylvain Charrier – un « percussionniste « classique » et un vibraphoniste de jazz – L’idée est de monter de beaux projets en invitant, chaque fois, une personnalité. Comme nous l’avons fait avec le chanteur belge David Linx… Nous allons faire un « hommage à Herbie Hancock », en invitant le pianiste Alfio Origlio. Dont la date, prévue à  La Source  de Fontaine, a été repoussée au 23 janvier 2021…

Et puis je termine par le spectacle pour enfants que nous avons monté avec Michael Chéret. Tiens, j’y joue de l’hélicon, en plus du piano… C’est très agréable de travailler avec Michael, qui est quelqu’un de très rigoureux, de très méthodique. Il joue du sax ténor, et soprano. Raphaël Guyot nous accompagne à la contrebasse et au banjo, quant à Christophe Telbian, il est notre batteur…

Le spectacle, de quarante cinq minutes, s’intitule « Jazz Toons » et revisite la musique de certains dessins animés. On fait découvrir le scat au public – qui vient sur scène – et on essaie de présenter divers styles de jazz. Un spectacle qui fonctionne vraiment bien.

 

 

Propos recueillis le vendredi 24 avril 2020

 

 

Quel interview-marathon ! Mais quel plaisir d’échanger avec toi, Fabien, ton professionnalisme et ton humour font merveille. A bientôt de te découvrir sur l’un ou l’autre de tes spectacles.

 

Un grand Merci à mon ami Franck Benedetto pour ses photos, toujours ad-hoc…

 

 

Ont collaboré à cette chronique :