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Entretien avec Félicien Bouchot

Il est originaire du Creusot, en Saône-et-Loire. Une ville qu’il quittera à sa majorité pour « poser ses valises » dans la région lyonnaise, où les diverses formations dans lesquelles il intervient font recette…

 

Félicien Bouchot

Artiste musical engagé…

 

 

Michel Martelli : Félicien, comment naît ta vocation musicale ?

Félicien Bouchot : C’est à l’âge de dix ans que j’entre à l’école de musique du Creusot et, ces études de musique, je vais les poursuivre dès mon Bac passé – un Bac littéraire – dans ma ville du Creusot. Je vais partir un an en fac de musicologie à Lyon II. Et puis, au bout de cette année, j’entre au Conservatoire de Lyon, en classe de jazz. J’ai arrêté la faculté au profit du Conservatoire parce que je trouvais la fac trop théorique. Je précise – si besoin était – que je suis trompettiste. Pendant cette période passée au Conservatoire, je vais y rencontrer quasiment tous les musiciens qui jouent encore avec moi aujourd’hui.

A Lyon, je vais rester trois ans, avant d’aller terminer mon cursus au Conservatoire de Chambéry, avec Pierre Drevet (éminent trompettiste et pédagogue) notamment…

Côté « formation », mon tout premier groupe, au Creusot, sera le « Monky Brass Band » mais en fait le premier a être relativement important naîtra pendant ma période du Conservatoire lyonnais. Ce sera un groupe « funk », baptisé «Sfonx », qui regroupera une dizaine de musiciens. Cette aventure, je l’ai partagée cinq ans, durant lesquels nous avons fait pas mal de dates autour de Lyon…

Il y a eu d’autres groupes, pendant cette période, des groupes plus à consonance « jazz ». Mais il faut dire que c’était la période du « Grolektif », dont le concept était de faire jouer, toutes les semaines, des groupes à « La Boulangerie du Prado ». Par la suite, le « Grolektif » était devenu une structure de production, un label de disque aussi. Il a fait aussi partie des associations à l’origine de la création de lieux comme « Le Périscope ». Ça s’est arrêté il y a un peu plus d’un an…

 

M.M. : Comment qualifierais-tu ta formation ?

F.B. : Elle est somme toute assez éclectique, même si le jazz est ma formation de base. Après la création de « Sfonx », j’ai enchaîné sur beaucoup de collaborations. Ma formation, du reste, je vais encore la compléter, pendant deux ans, au CEFEDEM de Lyon. Sur la période 2006/2008. A l’issue de cette période, je vais monter le big band « Bigre! ».

« Bigre! », à la base, c’est un projet d’études. Je voulais mettre à profit tout ce que je venais d’apprendre avec Pierre Drevet – notamment l’écriture pour big band. Et bien évidemment, cela devait se transcrire au travers d’un orchestre. Ça s’est fait comme ça. On avait tout dans nos mains, y compris les locaux, le deal était de monter des projets musicaux et j’avais quelques idées. A titre personnel, le « Vienne Art Orchestra » m’avait très souvent donné des envies.

Donc, à la fin de l’année 2007, je vais réunir la section rythmique de « Sfonx » (guitare/basse/batterie), le violoniste Rémi Crambes, treize copains « soufflants » avec qui je jouais au Conservatoire et le percussionniste Arnaud Laprêt. Dix-huit personnes, cet ensemble a été important dès sa création. Le répertoire était constitué de mes compositions personnelles. Très vite, nous avons sorti un album éponyme. Le tout premier d’une série de six, à ce jour – on parlera du septième plus loin – dans des esthétiques assez différentes chaque fois…

 

M.M. : Outre « Bigre », tu es également dans plusieurs autres formations ?…

F.B. : Oui, je joue aussi dans trois autres formations, principalement. La première, c’est le « Very Big Expérimental Toubifri Orchestra », un orchestre qui a été créé, il y a une quinzaine d’années, par quelqu’un qui s’appelait Grégoire Gensse. C’est une formation de dix-sept musiciens, mais là, ce n’est pas un big band. L’orchestration est différente. Ici, tu trouveras flûte, clarinette, vibraphone, percussions, clavier, chant aussi… Dans cet ensemble, je suis entré dès sa formation, et puis je m’en suis éloigné pour y revenir, il y a quelques années…

La deuxième formation est l’ « Amazing Keystone Big Band », un big band de jazz qui existe depuis une dizaine d’années, imaginé à la base par Jon Boutellier, Fred Nardin, David Enhco et Bastien Ballaz. La moitié du groupe est lyonnaise, et l’autre moitié parisienne. Cet ensemble avait été créé pour jouer, une fois par mois, à « La Clef de Voûte » de Lyon, et c’est avec lui que « Jazz à Vienne » nous a demandé une création de « Pierre et le loup » pour les enfants. Devant le succès rencontré, cela a été suivi par d’autres productions, comme « Le Carnaval Jazz des Animaux », un spectacle dédié à Django Reinhardt (très ludique, les enfants ont très vite accroché) et un autre dédié à Ella Fitzgerald. Chaque fois, la musique alternait avec le conte, ou du texte et, pour la partie « parlée », nous avions avec nous notre conteur, Sébastien Denigues. Mais, pour les disques sortis à ces occasions, nous avons eu plusieurs conteurs, comédiens de renom comme Denis Podalydès, Edouard Baer, Guillaume Gallienne ou encore Vincent Dedienne…

Enfin, ma troisième « formation » est le « Skokiaan Brass Band », un ensemble dont je dirai qu’il est « à géométrie variable » puisque nous sommes entre six et dix musiciens sur scène. Ici, on est plus sur de la musique traditionnelle de La Nouvelle-Orléans, que ce soit ce que l’on peut entendre dans leurs fanfares, mais aussi leurs musiques plus modernes. Nous sommes d’ailleurs partis là-bas, pour y faire une formation, et, au retour, nous avons fait un album qui sort  ces jours-ci, le 17 avril pour être précis… Son titre ? « The French Touch »…

 

M.M. : Quelle est ton actualité brûlante ? 

F.B. : Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est la préparation de l’enregistrement du septième album de « Bigre! », qui va s’appeler « Tumulte ». Sur cet album, nous avons invité Célia Kameni, et je peux te dire que cet album a quasiment été écrit « sur mesure » pour elle. On y trouve beaucoup de chansons. Les textes, j’en ai écrit une partie, l’autre étant confiée à d’autres paroliers. Et c’est la même chose pour la musique. J’ai fait appel à cinq arrangeurs sur cinq titres, à savoir Jon Boutellier, Bastien Ballaz, Aloïs Benoit, Corentin Quemener et Grégory Julliard. Quant aux textes, je me suis entouré de David Suissa, de Loïc Lantoine, de Willy Play et de Barbara Frey.

Une campagne participative de précommande de cet album est actuellement en cours. Tu peux en trouver le lien sur le site Internet BigreBigBand.com ou sur la page Facebook (facebook.com/bigrebigband)

L’écriture est achevée. Normalement on devrait entrer en studio fin juin…. évidemment si la situation sanitaire le permet.

Pour notre promotion aussi, nous avons instauré des concerts réguliers, pour « Bigre! », à Villeurbanne. Ces concerts, un par mois, se feront au « Toï Toï le Zinc » – un café-concert. Bien sûr, là également, les dates sont pour le moment différées, nous devrions reprendre, au rythme d’un concert tous les premiers samedis de chaque mois à compter du mois de septembre 2020.

 

M.M. : Est-ce facile, pour un ensemble, de se produire de façon régulière, aujourd’hui ?

F.B. : Franchement, je trouve que c’est de plus en plus compliqué, surtout pour un grand ensemble, d’être récurrent dans un même endroit. En France, malheureusement, nous ne sommes ni aux USA, ni même à Cuba, où les groupes quels qu’ils soient, ont toujours un endroit pour jouer toutes les semaines. C’est bien pour cela que je suis très heureux de cet accord trouvé avec le « Toï Toï ».

Tu sais, nos six premières représentations ont fait carton plein. Je regrette vraiment que nos programmations soient si compliquées, car, sur une ville comme Lyon, nous avons le potentiel public et nous avons le potentiel répertoire. Avec « Bigre! » j’espère bien prouver que ce genre de formation remplit les salles chaque fois. Ce n’est pas être immodeste, c’est un constat. Et puis, franchement… pour un orchestre, jouer pas très loin de chez nous a un certain intérêt social. Lorsqu’on est loin, on ne fait pas forcément des rencontres « en profondeur » par manque de temps, souvent. Lorsqu’on joue « à la maison », les projets se montent plus facilement, parce que toutes sortes de personnes viennent nous écouter.
C’est un discours que je tiens depuis 2012. Nombre de groupes ont tout ce qu’il faut pour jouer plus souvent, et remplir à chaque fois la salle. Et si on m’oppose « la lassitude », je dis « non »…

Tu vois, pour abonder dans ce discours, j’ai écouté des « collectifs » sur de la samba, ou encore de La Réunion…. eh bien c’était plein, chaque fois. Cette dynamique devrait être bénéfique à tout le monde.

Mais au lieu de ça, je trouve beaucoup de « frilosité » ici. Dans le fait de programmer régulièrement un groupe, par exemple, mais aussi parce que j’ai le sentiment que les groupes locaux, ici, sont souvent considérés comme des groupes amateurs. Je me demande si un groupe lyonnais est bien vu à Lyon…

Côté musical, je crois que « Bigre! » a fait ses preuves. Dans les gens qui nous suivent régulièrement aujourd’hui, on trouve des personnes venant de tous les coins de France, de la Bretagne à la région PACA. Mais à Lyon, j’ai l’impression qu’un groupe, pour « réussir », doit forcément s’expatrier, partir de la ville… Alors qu’avec cette formation, nous avons joué sur toutes les plus grandes scènes françaises, y compris l’Olympia.

Je me demande si, à partir du moment où un endroit est subventionné, on ne fait pas disparaître, du coup, la programmation récurrente.
Et puis il y a aussi un autre facteur à prendre en compte : depuis quelques années, on forme de très bons musiciens. D’excellent niveau, mais pas forcément formés au côté « administratif ». Il n’y a pas de boulot pour tous, beaucoup chôment ou galèrent…

J’estime avoir de la chance, je ne me considère pas comme le plus à plaindre. Mais j’aimerais beaucoup qu’en France, comme dans d’autres pays, tout le monde puisse exprimer son art sur les scènes…

 

Propos recueillis le mardi 14 avril 2020.

 

Merci à Félicien Bouchot pour son discours clair, sa gentillesse, et son « engagement » sur certains points, qui fait du bien. On souhaite, bien sûr, le plus grand succès à ses futurs projets, et notamment pour la sortie de « Tumulte »…

 

Ont collaboré à cette chronique :