Les cordes reviennent en force dans cette chronique. Des cordes qui n’ont pas hésité à traverser l’Atlantique puis que celui qui les taquine est originaire du Chili… Musicien talentueux, il enseigne son art, aujourd’hui, sur les belles terres haut-savoyardes, tout en continuant sa route musicale, pour notre plus grand plaisir.
Entretien avec Felipe Silva-Mena
… où quand le Chili nous offre son talent…..
Michel Martelli : Felipe, grâce à toi Jazz Rhône-Alpes.com se pose au Chili… Dis-nous comment ton histoire y a commencé.
Felipe Silva-Mena : Je suis né à cent cinquante kilomètres de Santiago, et je suis venu au monde dans une famille d’ingénieurs. Pas le moindre musicien dans la famille. Ingénieur, c’est, un peu à cause de ça que c’est le métier auquel je me destinais, lorsque j’étais petit. Je voulais même devenir ingénieur en électricité. Mais au lycée, pourtant, la musique me rattrapera. La musique est très présente, dans les pays sud-américains. Mes premiers contacts avec elle se feront par l’intermédiaire de mes professeurs du lycée, puis, par la suite, via des cours particuliers, que je prendrai avec Angel Cortès. Ça se passait à Santiago même, et j’ai abordé la guitare via le rock, et le métal. Ce n’est qu’un peu après que je vais découvrir le jazz manouche et, crois-moi, ce sera un véritable coup de foudre avec cette musique-là. Pourquoi est-ce que j’ai choisi la guitare ? Eh bien, d’abord, parce qu’au Chili, cet instrument est très populaire. Dans la musique traditionnelle chilienne, c’est beaucoup de guitare. Mais aussi, lorsque j’avais douze ans, j’étais très fan du groupe argentin “Soda Stereo”. Je pense que ça a dû jouer, aussi. Tout ça a fait que, vers mes quinze ans, je vais me mettre sérieusement à l’apprentissage du jazz, et plus particulièrement le jazz manouche.
M.M. : La mandoline, c’est aussi à cette période-là ?
F. S-M. : Oui, c’est ça. Et pourquoi la mandoline ? Eh bien dis-toi que j’ai toujours été “fan” des “Quatre saisons” de Vivaldi. Mais le violon, c’est comme ça que je me suis attaché à cet instrument que je vais apprendre en total autodidacte. Mais bon, grâce à la technique de la guitare, que je maîtrisais, j’avais quelques facilités.
Une fois fixé sur mon choix musical, je me suis aperçu qu’à Santiago, l’offre de formation n’était pas vraiment riche. Alors, j’ai cherché ailleurs, hors des frontières, en Argentine, notamment. Et c’est comme ça qu’à dix-sept ans, je vais entrer à l’Ecole de Musique Populaire d’Avellaneda, qui est à Buenos-Aires. C’est une des deux plus grandes écoles de musique de cette ville. Et puis là-bas, au cours de ta formation, tu passes par le tango, le folklore, le jazz. Il y avait aussi, et surtout, le grand guitariste argentin Gonzalo Bergara. J’aurai la chance de prendre des cours particuliers chez lui, et c’est un apprentissage qui m’a énormément apporté. Une expérience géniale.
A l’école, je resterai deux ans. Deux ans pendant lesquels toute la musique sud-américaine se découvrira pour moi.
M.M. : Ton premier groupe, c’était quand ?
F. S-M. : Mon tout premier groupe, le “Silva Trio”, je l’ai créé en 2011. Je l’ai monté avec le guitariste Nicolas Moro, et le contrebassiste Federico Rey. Un peu plus tard, le violoniste américain Joe Troop, viendra nous rejoindre. Joe est un musicien remarquable, qui est résident de Buenos-Aires, et qui s’est énormément produit là-bas, en Argentine.
En parallèle aussi, je me produisais au sein de divers groupes, jusqu’à la fin de mon cycle d’études. Mais je n’irai pas jusqu’au bout de l’enseignement, parce que Gonzalo va très vite me conseiller de partir vers la France, pays où se joue le plus la musique manouche. J’ai tout juste vingt ans.
M.M. : Et tu pars comme ça ?
F. S-M. : Non, bien sûr. Un voyage pareil, ça se prépare. Non, j’ai d’abord fait un voyage-retour au Chili, où je resterai neuf mois, prenant au passage des cours à l’Ecole Supérieure de Jazz de Santiago. Là, j’ai commencé à explorer le jazz moderne. Et puis, j’ai commencé à “prospecter” pour la France, et comme Paris ne me tentait pas trop, mon choix va se porter sur Lyon, où je vais postuler – on est en 2014 – au Conservatoire de Fourvière [NdlR : Le CRR de Lyon]. Il fallait, bien sûr, passer une audition, et je suis arrivé sur Lyon juste quelques jours avant. Pour apprendre que, par manque de crédits, la classe de guitare du Conservatoire n’était pas reconduite ! Ca voulait dire qu’aucun nouvel élève ne pouvait commencer.
Alors… eh bien je vais me renseigner sur l’école de Bourgoin-Jallieu, où Jean-Louis Almosnino était, pour une année encore, professeur. Cette fois-ci, aucun obstacle, et je vais intégrer cette école, dans laquelle je rencontrerai une super équipe pédagogique. Outre Jean-Louis, il y avait là Manu Valognes – que j’avais en “atelier” -, Eric Teruel, mais aussi Pierre “Tiboum” Guignon, qui nous a quitté il n’y a pas très longtemps. J’en ai été très triste, car avec Pierre, nous avions fait pas mal de concerts ensemble.
Dans cette école de Bourgoin, je vais rester trois ans. Trois ans au bout desquels j’obtiendrai mon D.E.M. de Jazz sous la houlette de Steven Criado, qui avait remplacé Jean-Louis Almosnino.
Et sur Lyon même, tu penses bien que je fréquentais quelques clubs. C’est dans l’un d’entre eux que j’ai croisé la route de Baptiste Ferrandis – super guitarsite, aussi, dans le jazz moderne comme dans le jazz manouche. A partir de ce moment-là, je vais très vite rencontrer toute la “famille” manouche lyonnaise, grâce à de belles personnes comme Judy Rankin, comme Jean-Philippe Bernier, comme Maxime Dauphin ou encore Frédéric Arnoux. On se retrouvait tous au “Pressoir”, un établissement qui est devenu aujourd’hui “La Grooverie”. J’ai aussi rencontré, à cette période, le batteur Josselin Perrier, ainsi que le contrebassiste John Zidi. On a pris l’habitude de jouer en trio et c’est avec cette petite formation que je passerai mon D.E.M.
M.M. : Et une fois ton diplôme en poche ?…
F. S-M. : Après l’obtention de mon D.E.M., je voulais rester en France. Mais, comme ça, mon “statut” me compliquait un peu la tâche. Si tu n’es ni étudiant, ni intermittent. Alors, je me suis décidé à rejoindre le Conservatoire Régional de Lyon, et plus précisément sa classe de contrebasse. Sous la direction de Jérôme Regard. Pourquoi ce choix ? Tout simplement parce que, lorsque nous faisions des jams, je trouvais qu’il y avait beaucoup de guitares alors, plusieurs fois, je me suis mis à “la basse”. Et j’y ai pris goût, j’ai voulu creuser.
Au Conservatoire, j’ai rencontré plein de jeunes musiciens – plus jeunes que moi ! – dont Jean-Salim Charvet, tout jeune saxophoniste-alto génial, et puis, avec lui, le pianiste Noé Sécula, le batteur Adrien Bernet et le saxophoniste-ténor Paul Sanson. Nous avons commencé à jouer tous ensemble, dans le “No where’s time quintet”. Ça, c’était en 2017. Et nous avons quand même fait pas mal de dates, pas mal de concerts, jusqu’à ce que Jean-Salim parte aux Etats-Unis, et Paul sur Paris. Du coup, le groupe a poursuivi sa route en trio, le “Noé Secula Trio”, avec lequel nous avons fait pas mal de tremplins, et avec aussi un album à la clé, “Eternity in human flesh”, sorti en 2020.
M.M. : Tu as ton groupe, bien sûr ?…
F. S-M. : Oui. Avec Adrien Bernet, et Michel Molines, j’ai monté un trio dans lequel je joue de la guitare électrique, et de la mandoline. Le “Felipe Silva-Mena Trio”. En 2019. Tout de suite, nous avons beaucoup tourné sur Lyon, au “Bémol 5”, à “La Clef de Voûte”… le temps de préparer notre album, que nous avons enregistré pour partie – pour les morceaux de guitare – au Crescent, en février 2020.
Mais, à ce moment-là, la Covid est aussi arrivée en plein. Du coup, en regard de la situation sanitaire, mais aussi parce que je souhaitais rajouter des morceaux avec de la mandoline, nous avons fait une autre séance d’enregistrement – juste en bas de chez moi, car un ingé-son a déménagé en laissant son studio – en novembre 2021.
L’album sortira en octobre 2022, sous label “Mazeto Square”. Et ça ne s’arrêtera pas là, car un second album est prévu pour courant 2024. Je suis, en ce moment, en pleine composition.
Le premier album, “Sendero infinito”, nous allons aller, avec Adrien, le jouer dans mon pays, au Chili. A Santiago d’abord, mais aussi à San Javier – dans le sud du pays. Tu penses bien que ça restera des moments très émouvants pour moi. D’abord parce qu’on a reçu un très chaleureux accueil, et puis parce que ça faisait trois ans – à cause de la pandémie – que je n’avais pas remis les pieds sur mes terres. Et là, j’y retournais pour jouer ma propre musique.
Concernant les groupes, je voudrais te dire aussi que j’interviens – à la contrebasse cette fois – au sein du trio “Hidden Line” de Steven Criado, avec le batteur Daniel Portugal. Nous avons déjà sorti un E.P, et là encore, un second est en préparation.
Tu auras compris que mon univers musical a un peu évolué. Je garde le jazz manouche en moi, bien sûr, que je continue à faire vivre au travers de quelques jams, mais je me suis recentré aujourd’hui sur le jazz moderne, qui m’apporte de grandes joies également.
Je voudrais terminer en disant que, depuis 2020, j’enseigne au Conservatoire d’Annecy. J’y suis professeur de mandoline – ce qui est assez rare – et je suis heureux de dire que ma classe “fait le plein” – sur le plan “élèves”.
Je dirige aussi un petit orchestre amateur – de vingt-cinq musiciens quand même – qui s’appelle “L’Estudiantina d’Annecy”. Une structure qui a presque cent-vingt ans – elle a été fondée en 1904 – et à qui on doit la création de cette classe de mandoline…..
Propos recueillis le mardi 14 mars 2023
Vive le Chili… qui nous donne parfois un de ses enfants, doué pour la musique. Merci, Felipe, pour cet échange au top, qui m’aura fait effleurer l’Amérique du Sud. Un continent aux musiques chaudes et tellement attirantes. A très vite, sur scène.