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Entretien avec Jenny Bonneau

Elle est Bourguignonne, et elle le revendique. Native de Saint-Vallier, à côté de Montceau-les-Mines, elle est aujourd’hui dans la région de Sassenage. Très éclectique, son répertoire lui a déjà fait pousser de belles portes.. 

 

Jenny Bonneau

 

Une voie royale, d’Al Jarreau… au Moulin-Rouge…

 

 

Michel Martelli : Jenny, à qui, ou à quoi dois-tu cette carrière ?

Jenny Bonneau : Oh, à mon père, sans hésitations… J’ai eu la chance d’avoir un père musicien, et musicien  professionnel. Il était batteur. Et en plus, il avait en lui une très grosse culture musicale, alors, forcément, j’en ai bénéficié aussi un peu… Toute petite, je pouvais entendre Frank Zappa, Al Jarreau ou Ella Fitzgerald… Dis-toi que, grâce à lui, ce n’est pas le chant qui m’a attirée à la base, mais bien les percussions… Et puis, si je suis native de Saint-Vallier, c’est au Creusot que je vais passer mon enfance. Et au Creusot, tu as la salle de spectacle « L’Arc », une très belle salle où Didier Lockwood venait se produire souvent, où j’allais écouter le trio de jazz-rock fusion « Uzeb » et aussi beaucoup de blues, « Memphis Blues », « Chicago Blues »… C’était une très belle salle, bon, elle existe toujours, mais ce n’est plus aussi « jazz » qu’avant…

Mon père a beaucoup accompagné la chanteuse grecque Maria Gilis. Et, lorsque j’avais sept-huit ans, il m’emmenait souvent avec lui sur des séances de travail. La maison a toujours été remplie de musiciens… Ma mère chantait, mais pas professionnellement. Par contre, aujourd’hui encore, elle organise, tous les ans, un festival de blues-rock qui s’appelle « Musicalium Festival », sur la ville du Creusot, donc, avec toute une bande de copains. J’ai même participé à leur toute première édition…

Tu vois, je n’ai pas de scrupules à dire que l’école et moi, c’était pas ça… Je n’avais que la musique dans la tête. Mon père l’avait bien vu, et compris. Alors, un jour, il m’a proposé un « deal » : « si tu veux, on monte un groupe ensemble » … Il pensait à moi pour le chant, parce qu’il faut te dire qu’en découvrant le répertoire d’Al Jarreau, je découvrais le chant en même temps. Autant Carlos Santana m’avait inspirée sur les percussions, autant là… Il m’a quand même laissé un temps de réflexion…

 

M.M. : Et tes réflexions te mènent où ?…

J.B. : Je me suis décidée au bout d’un mois ! J’avais seize ans… et c’était ça ou l’usine… J’ai dit oui à mon père pour rejoindre son groupe « Rythm’ and Flouze », du nom d’un titre-phare de Claude Nougaro, que l’on adorait à la maison, sur son album « Nougayork ». Mon père, Jacky Bonneau, était… à la guitare, François Schiavone à la batterie et Antonio Imburgia à la basse. Avec ce quartet, on tournait beaucoup, notamment dans les bars de la région, ça se faisait encore bien à cette époque, et on avait tout le public blues-rock derrière nous…

Par la suite, mon père m’a fait prendre des cours de chant. Des cours pour lesquels nous allions jusqu’à Dijon, c’est-à-dire une heure pour y aller et une autre pour revenir. Une fois par semaine, tous les samedis. Mon professeur était Jean-Paul Pacholec, très branché « jazz ». Grâce à lui, j’ai découvert plein de standards. Et l’improvisation aussi sans oublier la technique, bien sûr.

« Rythm’ and Flouze » va durer deux ans. Mais, dans l’intervalle, je vais aussi partir chez « Raoul Petite », le groupe français – plutôt rock – complètement déjanté et très inspiré Zappa aussi. Lorsque j’étais gamine, je m’étais amusée à travailler sur un de leurs albums. Et puis, à l’âge de quatorze ans, je vais leur écrire, pour leur proposer mes services de choriste ! J’avais osé parce que ce groupe me donnait (à raison) l’idée d’un état d’esprit très cool, emmené par Christian Picard, alias « Carton » et où j’ai eu l’occasion de croiser Dimitri Vassiliu, le fils de Pierre… Dans ce groupe, ça jouait « terrible », les arrangements étaient « top »… Malgré tout ça, j’avoue que j’ai eu un peu de mal à m’y intégrer. Je trouvais là un esprit vraiment très communautaire, et je crois qu’à cette époque, je n’étais pas encore « dans le mouv’… ». Peut-être un peu trop introvertie, aussi… N’oublie pas que je sortais juste de chez mes parents… Enfin, quoi qu’il en soit, ça reste pour moi une très belle expérience..

 

M.M. : Après cette expérience, comment rebondis-tu ?

J.B. : Je vais revenir dans le groupe paternel, « Rythm’ and Flouze », pendant six mois. Jusqu’au jour où mon professeur de chant de Dijon appelle mon père au téléphone. Il nous dit qu’un de ses amis est en train de monter un projet autour d’Al Jarreau, et qu’il cherche une chanteuse pour ça. J’ai dit « oui », bien sûr. Le groupe s’appelait « 501 ». Il proposait une ambiance très « jazz-funk ». Mais, avec lui, j’ai quand même tourné deux ans. Nous allions jouer jusqu’au « Mambo », à Saint-Tropez. Où, parmi les spectateurs un soir, nous avons eu George Michael – qui connaissait le patron de l’époque…

Après ces deux (belles) années, j’ai eu envie de changer. Radicalement. En 1994, je mets le cap sur Grenoble, où je vais aller m’installer, et je vais rejoindre l’orchestre de Gilles Pellegrini. Ça ne s’est pas fait tout de suite, bien sûr. Mon père connaissait bien Gilles. Et, bien sûr, il m’avait recommandée à lui. Mais, sur le moment, Gilles n’avait pas besoin d’une autre chanteuse. Ce n’est que six mois plus tard que la chose se matérialisera… L’audition que je vais passer va se dérouler à merveille. Je suis restée assez longtemps dans ce bel ensemble, où nous étions vingt-cinq… des cuivres, une section rythmique, des chanteurs, des danseurs, même une costumière… le gros truc. Une expérience qui a duré de 1994 à 2005, pour moi. Bon, j’ai fait deux pauses quand même…

 

M.M. : Des pauses ?

J.B. : Oui. La première, je la prends pour aller chanter, à Paris, sur un album de Laurent David. Laurent est bassiste à la base, il a beaucoup joué avec Ibrahim Maalouf, et aussi avec Yaël Naïm. Sur cet album, « L’eau », je vais faire un titre. J’ai composé la musique de « Weather » et… c’est ce titre que choisira Didier Lockwood pour venir jouer dessus… Tu imagines ma satisfaction, et aussi la chance que j’ai eu de pouvoir croiser la route de ce grand musicien qui doit manquer à beaucoup.

La deuxième pause, toujours avec Laurent dans la course d’ailleurs, va être consacrée à la production de MON album. En 2005, en effet, sort « Carrousel Neny ». Pour la petite histoire, Neny, c’est moi… Je vais m’entourer de Guy Waku, au chant, Guy qui a été un des choristes d’Ophélie Winter sur son titre « Dieu m’a donné la foi », de David Donatien, aux percus, David a beaucoup collaboré avec Yaël Naïm, de « Magic Malik » à la flûte – encore une merveilleuse collaboration, Sylvian Gontard à la trompette, Benjamin Petit au saxophone, Jean-Pierre Como et Martial Henzelin aux claviers, Thierry Arpino, Jean-Christophe Calvet et Raphaël Chassin à la batterie, Nadia Malowi au vibraphone, Romain Hugon au violoncelle, Guillaume Robrieux au violon et Eva Ellosi au violon alto. Et Philippe Figueira à la guitare. Voilà… je crois que je n’ai oublié personne sur ce projet qui me tenait à cœur. « Neny » a composé les mélodies, Laurent David les basses et Marc Vasquez les textes en anglais.

Des mix ont été faits aux États-Unis, dans le Connecticut, mais une grosse partie a été faite aussi au Studio Mélusine, de Sassenage, par Claude Millau. Cet album a été produit par Hervé Culoma, qui est, par ailleurs, un très bon bassiste…

 

M.M. : Et puis tu vas t’octroyer aussi une pause plus… maternelle ?

J.B. : C’est vrai. Après cet album, je vais faire un break. Un break de maman parce que le petit Cheyenne va arriver dans notre vie… Donc, la scène, je vais l’arrêter pendant trois ans. Mais ce qui ne m’empêchera pas de travailler toujours au Studio Mélusine.. 

Mais, après cette pause, les choses sérieuses vont recommencer. Parce qu’en 2008, je vais avoir la chance (encore) d’être appelée – en tant que chanteuse – pour entrer au Moulin-Rouge, à Paris. Dans l’orchestre qui « précède » la Revue, et qui joue sur des horaires hyper précis, à savoir de 19h15 à 20h40… Ensuite, j’introduis la Revue. Aujourd’hui, cette activité est toujours d’actualité, mais il faut que je te dise que je suis « remplaçante », tout simplement parce que je ne vis, ni n’habite, à Paris. En fait, ce « poste » compte une titulaire et trois remplaçantes. Ce qui ne me fait monter à Paris que deux ou trois fois par mois. Avec l’orchestre, on interprète du Diana Krall, comme des standards de jazz, comme de la chanson française. C’est assez diversifié. Notre chef d’orchestre est  le bassiste/contrebassiste Bernard Gallon.

 

M.M. : Et tu es prof, aussi ?

J.B. : Oui, j’ai suivi une formation, à Paris, pour être coach vocal. Et je donne des cours de chant, via le Studio Mélusine. Cette formation, je l’ai faite avec Richard Cross – tu sais, c’est celui qui a coaché Annie Lennox, et sa pédagogie est extraordinaire. Tous les mois de l’année 2019, je suis montée à Paris pour cela. Pourquoi coach ? Eh bien… mon père a donné, en son temps, des cours de batterie, et notamment à des personnes autistes. Il est bien malade, aujourd’hui, alors, j’ai eu envie de reprendre ce flambeau… Tous les étés, au Studio Mélusine, nous proposons des ateliers enfants-adolescents-adultes. Des ateliers chant, claviers… je souhaite leur ouvrir plein d’horizons…

Je pense que, cette année, d’autres intervenants viendront me rejoindre sur ce projet.

 

M.M. : Ton actu, assez bousculée viralement, j’imagine ?…

J.B. : Comme beaucoup, c’est assez perturbé, oui. Avant cette crise, j’ai pu participer à de jolis projets comme, l’an dernier, cette invitation du Jazz Club Voironnais, et son chef d’orchestre Fabrice Bon, dans le Big Band « Solis’Airs », où l’on explore l’univers de Ray Charles…

Un Festival de Jazz en juillet auquel je devais participer a été annulé… Je languis de repartir aussi au Moulin-Rouge…

Du coup… je travaille ma batterie. Et pour ne rien te cacher, je reviens au blues, en me penchant sur l’œuvre d’Otis Redding, d’Aretha Franklin ou de Little Walker. Tu vois, la batterie ne m’a pas quittée.

Si tu me permets, je voudrais terminer sur une note non musicale, mais plutôt littéraire : je viens de lire le livre d’Isabelle Filliozat « L’intelligence du cœur », et je ne peux pas m’empêcher de faire un rapprochement avec ce que l’on vit dans notre société d’aujourd’hui et plus encore dans ces situations de crise. Cette intelligence du cœur, elle manque cruellement. Y compris dans le monde de la musique, parfois. Une tendance à inverser…

 

 

Propos recueillis le vendredi 08 mai 2020.

 

 

Merci à mon complice Franck Benedetto qui m’a fait découvrir cette artiste adorable.

 

Merci à toi, Jenny, de m’avoir ouvert ton univers. Une belle expérience pour moi qui, définitivement, me confirme que ces rencontres sont très riches, humainement parlant.

Comme on se l’est promis, à très vite sur un spectacle…

Ont collaboré à cette chronique :