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Entretien avec Léo Jeannet

Il est natif du très beau département des Hautes-Alpes. Et même si le jazz ne s’y est pas particulièrement enraciné, il a su, à force de travail et de volonté, se faire une belle place dans cette musique, à la trompette…

Léo Jeannet

Du compositeur au producteur… un artiste musical complet..

Michel Martelli : Léo, peut-on dire que tu étais prédestiné à cette carrière de musicien ?

Léo Jeannet : Prédestiné, je ne sais pas. En tous les cas, je suis entré très tôt dans le monde de la musique, et très vite aussi j’ai décidé d’en faire mon métier. Après mon Bac, je commencerai une Fac dans laquelle je ne resterai que… quinze jours. Du côté de ma famille, mon père a eu un rôle incontestablement important dans mon parcours. Il était guitariste de jazz [NdlR : Claude Jeannet], et il enseigne au Conservatoire de Gap en jazz, musiques improvisées et actuelles. Mon père m’a beaucoup appris, tu imagines bien. Il fait encore de petits concerts, mais localement, voire régionalement… Ma petite sœur était très douée, elle aussi, mais elle n’a pas souhaité suivre cette voie.

Mon père va me donner mes premiers cours de solfège. Et puis, à trois ans, je vais entrer à l’école de musique de Veynes, à côté de Gap – où je resterai environ deux ans – pour étudier le solfège encore et le piano. Ensuite, alors que je vais vers mes six ans, j’entre au Conservatoire de Gap, et c’est dès cet instant que je vais décider de me mettre à la trompette. Pourquoi la trompette ? Déjà parce que je trouvais l’apprentissage du piano assez difficile – mais j’étais très jeune, en même temps – et surtout parce que j’avais eu l’occasion d’écouter un concert de mon père, dans lequel jouait un de ses copains trompettiste, Robert Izoard. J’avais, cette fois-là, flashé sur l’instrument.

Du coup, je vais entrer dans la classe de Pierre Escolle, avec qui je vais commencer mon cursus de trompette classique. Et, à côté de ça, je vais aussi participer aux ateliers jazz que proposait mon père. Tu vois qu’il était toujours présent. Ce sera aussi l’opportunité pour moi des premiers petits concerts, grâce à l’ « Association de Jazz Improvisé », une association qui était conventionnée par le Conservatoire… et qui était le seul endroit où tu pouvais entendre du jazz à cette époque.

M.M. : Tu as réellement reçu des bases solides…

L.J. : Avec Pierre Escolle, je vais rester presque dix ans. Il est aujourd’hui en retraite, mais je garde l’image d’un professeur très motivé et très motivant. S’il n’était pas prof de jazz, il en était quand même très amateur. C’est lui qui a formé le Big Band du Conservatoire – grâce à lui, donc, que j’ai découvert les grands ensembles – un Big Band qui tourne encore à l’heure actuelle, et qui a acquis une très belle réputation. Beaucoup de musiciens professionnels sont passés par cette formation. Ce Big Band m’a fait découvrir Ellington, Basie,… et tous les classiques que nous jouions. C’était de la musique écrite, bien sûr. Peu de compositions…

Mais dans le même temps, toujours grâce à mon père et à l’A.J.I. , j’ai commencé à faire des petits concerts, à sept/huit musiciens…, c’était à géométrie variable, en fonction des musiciens qui fréquentaient les ateliers paternels. Mais une expérience vraiment géniale pour débuter… Mon père m’a aussi emmené sur ses propres plans de musicien, dans divers restos et/ou cafés. On était là dans un univers assez proche de celui de Chet Baker – mon père était très fan de ce grand musicien, nous jouions sur une formule guitare/trompette/contrebasse. Et, à la basse, c’était soit Philippe Gallet, soit Gilbert Renaudin… Avec ce trio, nous avons écumé énormément d’endroits. Là j’ai vraiment appris ce qu’était le « jazz traditionnel »… Au sein du « Trio Léo » comme avait voulu le baptiser mon père…

M.M. : Très vite aussi, tu vas avoir envie de bouger…

L.J. : Oui. Parce qu’à cette époque… le jazz, dans les Hautes-Alpes, c’était pas le top. Pratiquement pas de concerts. Dis-toi qu’à quinze/seize ans, j’allais, en stop, écouter des concerts de jazz à Vienne ! Notamment Erik Truffaz, dont les concerts, à l’époque, m’ont énormément marqué. Enfin.. comme « je m’ennuyais » un peu dans ma région, je vais « émigrer » au Conservatoire de Chambéry, où je vais faire la connaissance de Pierre Drevet. Enfin, plutôt retrouver Pierre Drevet, parce que mon père l’avait invité à Gap, pour un concert. Et Pierre, qui est d’une générosité incroyable, m’avait à cette occasion donné beaucoup de son temps, de ses conseils, éclairé sur certains outils… tout ça alors que nous étions dans les loges – nous faisions sa première partie…

J’arrive donc en Savoie à seize ans. J’y obtiendrai mon Bac (accessoirement) et, même si je ne serai pas pris à l’examen d’entrée du Conservatoire, Pierre m’y fera suivre les cours quand même, « par la bande »…

C’est l’époque où je serai en colocation avec Romain Baret, mais, à l’internat du lycée, j’ai rencontré beaucoup de musiciens d’aujourd’hui comme Fanny Ménégoz, Greg Julliard, Romain… on se retrouvait au Conservatoire. Romain a fait partie de mon tout premier quartet, avec sa guitare, et avec également Hugo Reydet à la contrebasse et Thibault Dijoud à la batterie. Le premier groupe où je vais amener mes compositions, un groupe qui peut sembler anodin, mais qui m’a véritablement ouvert la voie. Grâce à lui, je me suis décidé à devenir musicien professionnel. Composer, voir évoluer ma musique, la jouer sur scène… c’était vers ça que je devais aller…

M.M. : Tu vas « grandir » aussi sur Grenoble, sur Lyon…

L.J. : Je vais rester au Conservatoire de Chambéry quelques années, mais je vais aller habiter aussi, dans la même période, d’abord sur Grenoble, puis sur Lyon. A Grenoble  je trouvais qu’il y avait relativement peu d’endroits pour y jouer du jazz, à part, bien sûr, « La Soupe aux Choux » qui reste une référence grenobloise… C’est pour cela que j’arrive assez vite sur Lyon, en 2007. une ville plus intéressante « jazzistiquement parlant ». J’y resterai cinq ans. Et je vais rejoindre l’Orchestre Régional des jeunes musiciens qu’emmenait Denis Badault. Denis a eu une grande influence aussi, dans ma carrière. C’était un vrai chef d’orchestre. Nous étions une quinzaine, dans cet ensemble, avec des gens comme Félicien Bouchot, Romain Dugelay, Fanny Ménégoz et plein d’autres, qui sont tous devenus professionnels…

Une expérience qui m’aura permis aussi de faire la rencontre des musiciens du « Grolektif », dont je ne te rappelle pas l’importance dans la dynamique lyonnaise.

Dès 2007 aussi, Félicien va me proposer d’intégrer son groupe, « Bigre! ». Dès le départ. Ce qui me permettra d’entrer de plain pied dans l’univers des musiciens lyonnais. Au « Périscope » notamment, que l’on fréquentait assidûment.

Je suis bien sûr entré au Conservatoire de Lyon « pour boucler mes études jazz ». Avec notamment Jérôme Regard, un nom que tu as dû souvent citer, qui m’a énormément appris. Pour la trompette, j’ai eu aussi la chance de tomber entre les mains de Pierre Lafrenaye, qui m’a donné une très belle approche de la musique, et de l’instrument…

Je passerai mon DEM à Lyon.

En passant mon « Prix du Conservatoire » – pour cette occasion, même – je vais monter mon premier « grand ensemble », ma première expérience de chef d’orchestre – c’est-à-dire celui qui écrit, qui planifie, qui organise…. Cet ensemble, ce sera « La Substance ».

« La Substance » est un ensemble où je vais souhaiter réunir plein d’instruments différents, tenus par des musiciens « super ». Entre autres, tu vas pouvoir trouver Fanny bien sûr, à la flûte et au chant, Thomas Mayade à la trompette, Tom Bourgeois au saxo alto et à la clarinette basse, Lou Lecaudey au trombone, Anne Quillier au piano, Guillaume Chappel à la batterie, Michel Molines à la contrebasse, Dimitri Saussard à l’accordéon – un mec extraordinaire – ou encore Quentin Langlois, au violon et à la guitare, qui est titulaire de je ne sais combien de prix différents.

A la base, cet ensemble était résolument « jazz ».

M.M. : Pourquoi dis-tu « était » ?

L.J. : Parce qu’en parallèle, je m’intéressais aussi beaucoup au hip-hop, et au reggae. Et, petit à petit, « La Substance » va se muer en ensemble hip-hop et rap. Et, à cette occasion, « Fish le Rouge », (Martin Chastenet pour l’état civil) va nous rejoindre. C’est un rappeur excellent, qui a une très grande ouverture d’esprit. Autant j’amenais la musique dans l’ensemble, autant lui a amené ses textes et, sur cette formule, nous avons joué dans plein d’endroits. Jusqu’en 2013, année où « La Substance » s’arrêtera.

2012/2013 sera aussi la période où je rentrerai dans le groupe « Broussaï », un vrai groupe, un vrai collectif de reggae (avec notamment le chanteur Eric Waguet). Ce groupe avait aussi la chance d’avoir un gros « tourneur », qui nous a permis d’enchaîner les concerts à un rythme élevé. Il y a eu une époque où les concerts, c’était trois ou quatre fois par semaine pendant deux ans.

Une période, tu le vois, pendant laquelle j’ai fait autre chose que du jazz. Outre « Broussaï », je me suis mis à accompagner plein d’artistes de reggae, autant français qu’internationaux… Je trouve que le reggae a un côté « blues » dans lequel on peut trouver plein de choses. Il y a une certaine forme de simplicité mais en réalité, c’est un son spécial qui est relativement compliqué à jouer.

« Broussaï » m’aura donné l’occasion de faire de grosses scènes, devant des publics importants.

L’accumulation de toutes ces scènes me fera aussi obtenir mon statut d’intermittent du spectacle.

M.M. : Et puis… la Capitale ?

L.J. : Après cette belle page écrite avec « Broussaï », je vais revenir à mes premières amours, à savoir le jazz, et l’écriture. Ça va être le temps aussi de « monter à Paris », parce que ma compagne était à Paris. Le Conservatoire, là-bas ? Je ne vais y faire que six mois. Peut-être étais-je trop vieux (!!!)… en réalité, j’ai toujours préféré « faire MA musique », à ce titre, je n’ai jamais été très « scolaire »… En revanche, je vais rencontrer encore plein de belles personnes, comme Sylvie Cieren, qui porte haut les couleurs de la danse, le batteur Pierre Demange ou le tromboniste Denis Leloup…. et je vais commencer à jouer dans des groupes parisiens, dans lesquels je suis encore aujourd’hui, pour beaucoup.

Comme « Les Rugissants », un tentet jazz emmené par Grégoire Letouvet – nous avons enregistré quelques disques… C’est un projet dans lequel tu peux retrouver Thibaud Merle, Théo Philippe, Rémi Scribe, Raphaël Herlem, Corentin Giniaux, Léo Pellet, Alexandre Perrot, Jean-Baptiste Paliès et, en « guest », Ellinoa (Camille Durand) au chant, Milena Csergo et Théo Chédeville en récitants.

Il y a aussi le « Healing Orchestra », que j’ai rejoint en 2012, un groupe très « free jazz » des années soixante, qui regroupe quatorze musiciens, emmenés par Paul Wacrenier, le pianiste et vibraphoniste (et compositeur). Tu y trouves Fanny Ménégoz, la violoniste Sarah Colomb, Xavier Bornens à la trompette, Arnaud Sacaze au sax alto, Jon Vicuna au sax baryton, Jean-François Petitjean au sax ténor, Victor Aubert à la contrebasse, Mauro Basilio au violoncelle, Benoist Raffin à la batterie et Sven Clerx aux percussions.

Et puis, depuis 2016, je joue dans le « Dedication Big Band » de Philippe Maniez, à la batterie et aux compositions. Côté musiciens, on va y trouver Vladimir Médail à la guitare électrique, Bastien Brison aux piano/claviers, Etienne Renard à la contrebasse, Pascal Mabit au sax soprano, Guillaume Guedin au sax alto, Bastien Weeger au sax ténor, Pierre-Marie Lapprand aux sax ténor et soprano, Balthazar Naturel au sax baryton, Robinson Khoury, Michaël Ballue et Jules Boittin au trombone, Luca Spiler au trombone basse, Alexis Bourguignon, Jules Jassef, Noé Codjia et moi aux trompettes.

Dans tous ces groupes, je suis « sideman trompettiste ».

M.M. : Et les tiens, alors ?

L.J. : Dans les groupes pour lesquels je suis « leader », il y a évidemment le « Panoramic »…

Lorsque j’arrive à Paris, je n’avais plus d’orchestre. Or, pour moi, un orchestre, c’est un moyen d’expression. Je voulais refaire quelque chose, mais quelque chose de différent de « La Substance », qui serait plus « cuivré », plus sonore. Avec la présence d’une guitare, aussi. Mon équipe 2020, pour ce projet, c’est : Sylvie Cieren, pour la partie danse, Valentin Pellet à la trompette et au bugle, Nicolas Benedetti et Clément Amirault aux trombones, Etienne Juan-Gesta au sax alto, Xavier Trombini au sax soprano, Rémi Scribe au sax ténor, Guillaume Guedin au sax baryton, Ivan Quintero à la guitare, Thomas Julienne à la contrebasse et Pierre Demange à la batterie…

Nous avons déjà joué dans de nombreux lieux parisiens. En 2017, nous avons enregistré un EP numérique.

Nous avons aussi décroché une résidence au « Baiser Salé », où l’on a joué tous les deux mois pendant deux ans. De quoi bien rôder notre musique et notre répertoire pour un album qui devrait sortir au mois de novembre prochain. Son titre ? « Nature Inside ».

Est-ce que je t’ai dit que j’adorais la danse ? Improvisée, contemporaine… J’avais envie d’écrire pour la danse, de travailler un thème, d’écrire une histoire. C’est comme ça qu’est née la pièce « Grandir », en quatre mouvements. La musique est jouée par le « Panoramic » et c’est Sylvie Cieren qui danse en solo dessus.

Le compagnon de Sylvie, Camille Berthelin a réalisé un clip, qui est en train d’être monté.

M.M. : Et puis, tu as également d’autres casquettes.

L.J. : Je ne te redis pas les difficultés, aujourd’hui, de faire tourner de « grands ensembles ». Face à ça, j’ai souhaité développer un côté « producteur », en montant d’abord la boîte de production « Pousse Pousse Productions ». Cette structure a déjà permis de monter de nombreux projets, notamment au festival « Constellations » – le festival-off de « Jazz à La Villette..

Dans l’optique de « vivre de la musique que j’écris », j’essaie de développer des initiatives qui contribuent à entretenir ma créativité, et celle des autres. C’est comme ça que la Web-télé « Ad Lib Télé » a vu le jour qui a permis, pendant la période de confinement que nous avons traversée, de monter quelques concerts en streaming, en super qualité sonore comme vidéo. Depuis la mi-mai, c’est un concert par semaine qui est proposé.

L’objectif est de retransmettre en direct live les concerts. Je me charge de toute la production, et tu imagines qu’il faut du temps pour obtenir un bon résultat. Je crois qu’aujourd’hui, peu de producteurs prennent des risques, pour les artistes émergeant. On a tous quasiment l’obligation d’être « multitâches » et ce n’est pas forcément évident.

Aujourd’hui, géographiquement, nous sommes venus nous installer dans la Drôme. Pas très loin de la gare TGV-Valence. Pour monter travailler à Paris, c’est quand même plus simple. Pour le moment, j’y ai encore le gros de mon activité, mais les projets « provinciaux » arrivent.

Propos recueillis le vendredi 19 juin 2020.

Humble, volontaire et terriblement efficace à la trompette (comme en gestion..), Léo, tu ne dépareilles pas la galerie des musiciens entamée par Jazz-Rhône-Alpes.com, qui constitue une très belle et très grande famille, qui n’arrêtera pas de grandir…

A te rencontrer, toi aussi, très vite…

Ont collaboré à cette chronique :