Native des Hauts-de-Seine, elle partage son temps entre ce département et la Seine-et-Marne où elle a sa maison familiale. C’est là que va naître une très belle carrière qui a fait d’elle une « voix » française, dont on aurait du mal à se passer aujourd’hui…
Lou Tavano
Une voix sans frontières….
Michel Martelli : Lou, tes premières influences, que peut-on en dire ?
Lou Tavano : Mon père était batteur. Un batteur plus blues, rock… Mais bon, c’est lui qui va me mettre le pied à l’étrier et surtout, me donner l’amour de la transmission musicale. Et puis… son parcours personnel va aussi faire naître en moi une certaine urgence à exprimer ce qui se passait en moi. Il a toujours été formidable, il m’a donné aussi un sens pointu de l’harmonie – qui lui manquait un peu… A cinq ans, on va m’inscrire au Conservatoire de Montrouge, en section piano. Et j’en ai fait dix ans. Une période qui va me donner le goût « d’interpréter »… Le seul « bout de toi » que tu peux donner dans ce genre de structure, c’est dans ton interprétation qu’il se niche. A l’âge de quinze ans, j’arrête le Conservatoire, et je fais encore derrière une année de cours particuliers… Un mot sur ma mère, qui n’était pas musicienne, mais qui, en revanche, a toujours eu l’amour des mots. Notre maison était une vraie bibliothèque. Pourtant, mon goût pour la lecture n’est venu que beaucoup plus tard. A cette époque, j’étais dans le « faire » et, si tu veux, la lecture éveillait en moi un côté « passif » pour lequel je n’étais pas faite…
M.M. : Ton entrée dans la musique est faite… et le chant, alors ?
L.T. : Dès l’âge de dix ans, je vais commencer à m’accompagner, au piano. Et notamment, sur un album précis de Céline Dion – qui n’était pas ma chanteuse préférée – celui que lui a composé Jean-Jacques Goldman. Là, j’ai vraiment « découvert » ma voix. Ma voix, et surtout le bonheur que me procuraient les vibrations du chant. A cet âge-là, c’était un rapport très intime, très particulier. J’ai eu, à un moment, un besoin urgent de « écoutez-moi ! », et le chant m’a apporté cette clef. Ça a été très fort, sur le moment. Une véritable révélation. Ma façon de chanter, je ne l’ai jamais « cherchée ». J’ai toujours chanté ainsi… Tu sais, grâce à mon père, j’ai toujours baigné au milieu de beaux musiciens. Il avait une discothèque très riche : Neil Young, Jimi Hendrix, Frank Zappa, Simon and Garfunkel, Steve Coleman…. jusqu’à Francis Cabrel, pour son côté « compositeur »… Otis Redding a aussi beaucoup compté dans ma vie mais, tu vois, je n’ai jamais voulu reprendre l’un de ses titres. Je retiens d’Otis Redding sa façon de « vivre sa musique ». Lorsque je fais une reprise, encore aujourd’hui, il faut vraiment qu’elle « vibre » en moi.
Mon père et moi avons partagé le goût des interprètes qui « mettent leurs tripes sur la table » et pour m’avoir fait partager ça, je lui en serai éternellement reconnaissante. Il avait aussi, vis-à-vis de moi, une exigence assez dure. Mais au final, ce fut un bienfait pour que je puisse bien grandir…
Mais j’ai eu cette chance que mes deux parents m’ont poussée dans cette voie artistique. Et la chance aussi d’avoir près de moi dans cette aventure Sarah Sanders – la « Nadia Boulanger du chant » – qui a su me construire à la perfection. Une dame brillante, une « vraie ». Je n’aurais pu rêver mieux…
M.M. : Et, côté scolaire, quel autre facette vas-tu travailler ?
L.T. : Je vais choisir la filière « L », simplement parce qu’il y avait une option « théâtre ». Une voie dans laquelle je me suis engouffrée. J’ai donc développé les deux voies, musicale et théâtrale, en parallèle. J’étais très heureuse de cette seconde direction parce que j’y trouvais là, en quelque sorte, un nouvel espace de sécurité. Je me suis véritablement révélée dans un monologue de la pièce « Hernani ». A cet instant, j’ai compris que j’étais vraiment à ma place dans « l’interprétation ». De plus, je me sentais comme « protégée » par les lumières de la scène… Ma mère a bien compris que j’avais là trouvé ma voie. Au cours d’une représentation, au Théâtre de Malakoff, à la fin de laquelle des personnes sont venues lui faire des commentaires très élogieux sur moi. Alors, du coup, je me suis lancée à fond. Je peux dire que j’ai eu mon Bac en grande partie grâce au théâtre, et j’ai ensuite fait partie de la « Compagnie du Magasin » de Malakoff…
M.M. : Et côté musique ?
L.T. : En parallèle, alors que j’ai quinze/seize ans, je vais m’investir dans mon tout premier groupe de musique, grâce à une amie d’enfance, Agnès, qui connaissait ces musiciens. Eh bien, figure toi que l’on a fait quand même pas mal de « dates » ensemble… Le groupe s’appelait « Les Moustiques » – pour la petite histoire, on répétait dans un garage qui était infesté de moustiques… bref – . Nous étions cinq, et le leader était le petit copain d’Agnès. Sylvère à la guitare, Alain en seconde guitare, Adrien à la batterie – qui a été vite remplacé par Julien, et Martial comme bassiste ont été mes premiers musiciens, moi j’étais au chant. J’ai commencé comme choriste… pour finir leader de ce groupe. Par la suite, cette aventure s’est arrêtée parce que j’ai bien compris que nous n’avions pas les mêmes exigences pour notre futur mais, tu vois, ce qui a été très important pour moi dans cette histoire, c’est, et dès le premier jour où j’ai chanté avec eux, de voir dans leurs yeux une grosse dose de reconnaissance. Ça m’a beaucoup aidé, sur le plan « libération ». Ce groupe a été pour moi une véritable bulle d’air… Ça durera quatre ans..
M.M. : Comment tranches-tu, entre ces deux voies ?
L.T. : C’est vrai qu’après mon Bac, en 2004, je vais hésiter entre le théâtre et le chant. Je suis même partie six mois en faculté de cinéma, pour voir, mais je me suis très vite demandé ce que je faisais là… La musique devenait quand même de plus en plus importante. Les « scènes » commençaient à prendre.. Alors, en 2005, je vais intégrer l’American School of Modern Music. A Paris, et Boulogne.
Et là.. nouvelle révélation. Ma route va croiser celle de Peter Giron – un contrebassiste américain – qui va être mon professeur d’harmonie, et de solfège. Ce que je n’aimais pas trop, en fait. Eh bien, sur ces deux chemins-là, Peter m’a en quelque sorte « montré la lumière » et il m’a fait culpabiliser (intérieurement) sur le fait de ne pas y avoir montré plus d’intérêt bien avant. Parce qu’avec lui, j’ai adoré d’entrée.
Mais je vais aussi, et surtout, rencontrer Alexey Asantcheeff. Alexey qui était élève en même temps que moi mais, en première année, nous ne fréquentions pas les mêmes classes. Ce n’est qu’en deuxième année que l’on va véritablement se trouver, dans la classe de « répertoire » – la classe où on apprend tous des standards que l’on jouera ensuite tous ensemble, dirigée par Bernard Vidal. J’étais, je me souviens, assez stressée… et j’entends Alexey travailler le standard que nous devions apprendre sur son piano. Je me suis approchée et lui ai demandé si nous pouvions le travailler ensemble, il a écouté ma voix…. et puis cette petite anecdote a été en fait le début d’une belle histoire d’amour et de partage, musicale dans un premier temps et… plus privée par la suite.
M.M. : Les bases d’un édifice qui continue aujourd’hui…
L.T. : C’est ça. Et qui a commencé parce qu’Alexey avait un « pied-à-terre » régulier sur Paris, qui va devenir notre véritable « laboratoire », là où, véritablement va naître notre duo piano-voix. Une base qui va constituer notre noyau dur tel qu’il existe encore aujourd’hui. Dans nos projets, tout vient se raccrocher autour de ce noyau. Je pense sincèrement qu’Alexey et moi, nous nous sommes mutuellement nourris depuis le jour où nous nous sommes rencontrés. Il a très vite compris ma volonté de cultiver ma différence… Je t’ai dit que je n’aimais pas trop les reprises.. eh bien avec Alexey, nous avons construit tout un répertoire en fonction des mots, les mots qui ont une nécessité de résonance en moi. Et dès notre premier EP, tu peux voir déjà, ou entendre, la couleur de ce que l’on fait aujourd’hui…
Nous avons fait quatre ans à l’American School of Modern Music, mais dès la troisième année, le patron de l’époque du « Café Universel », vers Port-Royal à Paris, qui nous a fait confiance très vite, nous « donnait les clefs » de son établissement pour organiser la jam hebdomadaire. Un deal extra, qui nous a enchantés et que nous assurions avec contrebasse et batterie en plus. Dans le même style, le « Théâtre des Rendez-vous d’ailleurs », en bas de chez nous, nous faisait jouer une fois par mois. Nous invitions des musiciens différents, sur des répertoires différents…
M.M. : A partir de là, vos noms vont commencer à circuler…
L.T. : Disons que les choses vont s’enchaîner assez bien.. Keith Rodriguez, qui est batteur, va venir là nous écouter, il va jouer avec nous et va nous faire entrer au « Baiser Salé », un endroit où l’on va jouer en quartet, avec Damien Varaillon à la contrebasse. Pour le coup, on va entrer en même temps dans l’univers de la « rue des Lombards », avec le « Duc », le « Sunside »…
Et puis, j’ai oublié de te parler de mon (petit) lien avec ton département [Ndlr : la Drôme] ! Dès 2009, nous avons participé au concours du Crest Jazz Vocal (voir ici). D’abord, Alexey et moi, puis en 2013 (voir ici) en quintet et enfin en 2017 (voir ici), mais là dans le cadre de la programmation officielle, j’étais venue me produire avec ma formation… Voilà, oubli réparé !
Pour en revenir à Paris, ça va être le moment aussi où on va commencer à faire appel à moi sur d’autres projets. Comme Michael Cheret qui va me faire venir sur l’un de ses albums. Là où je rencontrerai Olivier Truchot. Ces « incartades » ont aussi été de très beaux moments…
Alexey et moi commencions à avoir une jolie réputation au « Duc » comme au « Sunside ». Chaque fois, nos prestas affichaient « complet ». Lors du « Jazz Day » nous avons joué au « Duc » juste avant Gregory Porter… c’était en 2013.. juste après notre premier EP, sorti en 2012. Nous avons été programmés pour « Jazz à Porquerolles » mais le « Duc des Lombards » reste notre maison mère – on y a joué jusque dix fois dans une même année… grâce à Sébastien Vidal.
M.M. : Quelle évolution vous êtes-vous donnée, tous les deux ?
L.T. : Musicalement, déjà… avec Alexey, nous avons envie de « casser les barrières » créées par les fausses idées que peuvent avoir les gens sur le jazz. Ça, tu vois, on l’a ressenti très fortement lorsque nous sommes allés tourner au Maroc, où la musique jazz rencontre un engouement extraordinaire.
Au « Duc », qui est devenu aussi un peu un labo pour nous, Sébastien Vidal nous a dirigés vers Siggi Loch, le patron du label « ACT » en Allemagne, un des plus gros labels européens. Pour nous accepter, il veut nous écouter. C’est le deal. Malheureusement notre échange de dates possibles ne débouche sur rien de concret ! Du coup, nous allons rebondir sur une de ses propositions de date pour organiser, au pied levé, un « show-case » qu’il pourra venir écouter. Grâce à Sébastien, cela s’est fait au « Duc » en tout début d’après-midi ! On avait fait le job pour réunir un peu de public, et nous avons donné un concert de quarante cinq minutes. A la fin, Siggi Loch était conquis, mais nous demandait une semaine de réflexion, pour prendre en fait le pouls de sa propre « team ». Une semaine plus tard, nous signions. Et notre premier album sous le label ACT a été un album de presque que des compositions – il y a une seule reprise dedans – que nous avons faite en sextet, avec Alexandre Perrot à la contrebasse, Ariel Tessier à la batterie, Maxime Berton au saxo et Arno de Casanove à la trompette. Nous avons tourné six ans avec ce sextet. Une vraie famille pour moi, avec une construction solide et beaucoup de dates engrangées…
Pourtant, tu vois… paradoxalement, le bon accueil qu’a eu cet album a été un peu terni par des moments compliqués qui nous sont tombés dessus, pour Alexey et moi. Au point que nous sommes partis nous ressourcer en Écosse, dans une maison familiale qu’Alexey possède là-bas. Sur place, j’ai pris une véritable claque par rapport à la nature, par rapport aux changements de temps très soudains… Et il est né de tout ça notre album « Uncertain weather ». Tout frais puisque sorti le 31 janvier dernier. Un album aussi qui est sorti sous notre propre label « L’Un l’Une ». Nous nous sommes séparés de « ACT » pour être plus libres dans nos choix musicaux.
C’est bien sûr notre actualité du moment, dont nous sommes très fiers. Sur cet album, Ariel et Alexandre sont là, pour la section rythmique, et nous ont rejoints Guillaume Latil, et son violoncelle. Et Sébastien Vidal, pour la réalisation. Une aide précieuse pour nous…
La suite ? Ce sera encore une bonne dose de belles pages à écrire !…
Propos recueillis le vendredi 10 avril 2020.
Des remerciements appuyés, Lou, pour ton accueil, ta disponibilité et la couleur que tu as su, aussi, donner à cet entretien. C’est toujours très agréable de croiser la route de personnes aussi belles sur scène que dans la vie. A te revoir vite.
André Henrot nous donne, sorties de sa galerie de trésors, de belles images de cette belle « voix »
Discographie de Lou Tavano :
- 2011 : « Manaverem » – album de Michael Cheret
- 2012 : Lou Tavano meets Alexey Asantcheeff
- 2016 : « For you »
- 2016 : « Chicken do it » – album de RP Quartet (manouche)
- 2020 : « Uncertain Weather » (voir la chronique de Michel Clavel)