Décidément, cette chronique de Jazz Rhône-Alpes fait voyager… Après un très beau détour sur l’île de Cuba, c’est (en partie) le Portugal qui va faire vivre cet entretien. La musicienne qui nous reçoit est jeune, mais son talent est déjà bien affûté et sa belle route ne fait que commencer.

 

Entretien avec Lou Teixeira

Où le fado vient en appui du jazz… pour l’exalter

 

 

Michel Martelli : Lou, ton nom parle pour toi.. tu nous viens du Portugal ?

Lou Teixeira : Eh bien, pas tout à fait… puisque je suis née à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. Mais oui, mon père est Portugais, et ma mère de l’Île Maurice. J’ai la chance de faire partie d’une grande famille, en revanche, je dois être la seule à avoir embrassé la musique. Mes parents ne sont pas musiciens, en revanche, ils ont toujours écouté beaucoup de musique, mais dans le seul univers du rock. Alors les Stones, U2 ou encore Prince. j’ai eu l’occasion de les écouter “en boucle”. Le rock à la maison, c’était “l’exclusivité” musicale. Et ma petite sœur, qui est encore au lycée, ne semble pas vouloir suivre cette voie-là non plus. Une de mes cousines, Lucie Gravier, est danseuse de modern-jazz, une autre cousine, Lisa Teixeira, est mannequin et comédienne, quant à Maxime, le frère de Lisa, il est footballeur professionnel à Sochaux ! Ma grande famille, je m’en sens très proche, et je me suis rendue compte que mes origines m’ont apporté énormément de bonnes influences.

Lorsque j’étais petite, mes parents voulaient absolument que je fasse de la guitare. Mais moi, je ne voulais pas ! Ce n’est que vers l’âge de douze/treize ans que je suis allé écouter un guitariste – je ne me souviens même plus de son nom- mais il a su, rien que par le fait de l’écouter jouer, faire naître en moi cette envie. Et c’est suite à ça que j’ai entamé ma route musicale, au Studio Roosevelt, l’école de musique de Mantes, sous la direction de Jean-Luc (j’ai zappé son nom de famille, qu’on n’utilisait pas), et dans la classe de qui je resterai quatre ans. Mais j’avais des idées très arrêtées : dans ma tête, il fallait que ça aille vite, cet apprentissage, et en plus sans trop apprendre ! Je ne doutais de rien, mais je dois reconnaître que Jean-Luc m’a surtout donné l’envie de jouer, de jouer “au feeling”, avec un doigt de technique quand même. Et à cette période, j’étais plutôt branchée pop rock.

 

M.M. : Pourquoi as-tu obliqué vers le “vocal” ?

L.T. : Parce que déjà, pendant ces quatre années, lorsque je jouais de la guitare, je m’accompagnais en chantant. Et plus j’avançais, plus le chant me procurait une nouvelle envie. A tel point d’ailleurs que je vais complètement arrêter l’instrument pour me consacrer pleinement au chant et toujours dans la même école, avec, cette fois, Sarah Nardon comme professeuret. Oui, j’étais hyper imprégnée de musique, pourtant, c’est le chant qui sera le véritable déclencheur de ma voie musicale. Mais la guitare a eu aussi un rôle important. Lorsque j’étais toute petite, il paraît que j’étais un véritable garçon manqué. Je crois que la guitare m’a, en quelque sorte, “re-féminisée”. Mais chanter, je le ressentais comme un véritable besoin. Finalement, je resterai dans la classe de Sarah quatre ans aussi, jusqu’à l’année de ma Terminale, année où je me suis bien questionnée sur mon avenir.

 

Parce que je me dois de dire que, chez nous, vivre d’une passion n’était pas forcément évident. En plus, mes notes scolaires montraient que je pouvais très bien m’engager dans une voie toute différente, moins “artistique”. C’est comme ça qu’après mon Bac (littéraire), je me suis dirigée vers des études en Langues Etrangères Appliquées. Une aventure qui a très vite tourné court ! Après ? Eh bien, j’ai dû un peu batailler pour imposer mon envie de vivre de cet art qui ne demandait qu’à vivre en moi. Et d’ailleurs, Sarah me poussait, de son côté. Outre le fait qu’elle m’a énormément apporté, techniquement parlant, elle a toujours été pour moi d’un grand soutien.

A force, mes parents capituleront et cette ouverture va me permettre d’envisager désormais plus sereinement mon avenir musical, mais en m’entourant d’un peu plus de technique qu’auparavant !

 

M.M. : Et tu ne vas pas hésiter à viser haut ?…

L.T. : J’ai passé l’audition de l’American School, qui se situe dans le quinzième arrondissement de Paris. Je vais réussir cette audition. Pourtant, je leur ai dit d’une manière très franche que j’étais incapable de remplir le questionnaire technique que tous les futurs élèves devaient remplir. Face à ça, et plutôt que de me rejeter, ils m’ont fait lire un ouvrage qui nous donnait toutes les bases de l’harmonie. Car, à l’American School, les chanteurs suivent les mêmes cours que les instrumentistes. Et finalement, j’ai adoré suivre ce cursus-là.

A l’American School où je vais rester quatre ans, j’ai fait de belles rencontres. Dès ma première année, mon professeur de chant sera le jazzman américain Charles Turner, lui-même chanteur jazz/swing.Il m’a avant tout appris la rigueur et j’en avais bien besoin. En fait, j’ai adoré sa classe.

Pour ma deuxième année, c’est Lou Tavano qui était ma professeure. Elle a été pour moi une seconde révélation. Parce qu’elle est venue me bousculer sur un point bien précis : la “vérité”dans ce que je voulais chanter. Pour ça, elle m’a poussée dans mes retranchements, et je crois bien que le discours qu’elle m’a tenu restera en moi encore très longtemps.Tout n’a pas été rose dans cet enseignement. Pourtant, je le referais avec plaisir.

Avec Charles, avec Lou, je te parle de mes professeurs de chant, bien sûr. A côté d’eux, j’en avais d’autres, cinq en tout, qui m’accompagneront pendant ces quatre ans. J’ai nommé Charles et Lou parce que je tenais à les mettre en avant, d’abord parce que l’un et l’autre ont beaucoup compté pour moi, et puis parce qu’ils m’ont donné des clefs dont j’avais vraiment besoin.

En fait, Lou m’a fait faire un très gros travail sur moi-même, pour que je puisse avoir quelque chose à raconter dans ma musique, ou mon chant. Qu’est-ce qui m’importait ? Qu’est-ce que j’avais envie de chanter ? Et là, les langues de mes origines sont remontées naturellement à la surface et ont commencé à dessiner en moi les contours de mon futur projet.

 

M.M. : Alors, ce projet… tu nous en dis plus ?

L.T. : Je vais y arriver… step by step. Car bien des facteurs sont rentrés en ligne de compte. En premier lieu, et dans le cadre de l’American School, il nous arrivait de nous produire au Sunset. J’ai fait aussi, à côté de ça, quelques autres petites scènes mais, sur ce plan-là, le Sunset aura eu le rôle le plus important.

Et le jazz, dans tout ça ? Force est de reconnaître qu’avant mon entrée à l’American School, le jazz m’était tout à fait étranger. Mais à l’école, la base de l’enseignement était “jazz”, et il a bien fallu, au départ, que je m’adapte à ces standards. Le jazz aussi m’a apporté une certaine forme de rigueur et, à force de le côtoyer, j’en suis tombée réellement amoureuse. Ce qui m’a surpris un peu, je l’avoue. Car je te redis qu’à la base, rien ne m’attirait dans ce genre musical-là.

Malgré son impact de plus en plus important, je n’en oubliais pas pour autant mes autres influences musicales et, en premier lieu, le fado bien sûr, qui a toujours été au centre de notre famille, comme chez beaucoup d’autres familles portugaises. Le fado nous entraîne jusqu’au bout de la nuit. C’est un fait qui est toujours d’actualité chez moi, dans ma famille j’entends, et le fado m’a apporté beaucoup de moments magiques, qui m’ont marquée avant même que j’aie eu l’envie de faire de la musique.

Quant au portugais, je l’ai appris à l’école. Mon père ne me l’avais pas appris, parce que ma mère, Mauricienne ne le parlait pas non plus puisque c’est l’anglais qui prédomine là-bas. Du reste, ma mère est devenue professeure d’anglais.

Maîtrisant ma langue d’origine, j’ai pu m’intéresser aux textes du fado. Et je ne te parle pas de la place qui est donnée, dans cette musique, à la voix, à la fois très puissante et d’une sensibilité terrible. Car les textes me bouleversaient, par les histoires, souvent tristes, qu’ils racontent. le fado reste, à ce jour, ma principale source d’inspiration.

 

M.M. : Forte de tous ces paramètres, comment vas-tu réaliser ton projet ?

L.T. : Alors que je suis en dernière année à l’American School, la pandémie de Covid va nous envahir. Du coup, l’école va nous confiner chez nous, mais avec des “devoirs à rendre”. Je pars donc de l’école avec le projet de composer un morceau – libre – et d’en faire une “live-session”. Ce sera la première fois que je me mettrais véritablement la pression pour finir une de mes compositions. Tout ce que j’avais commencé à composer jusqu’alors, je l’abandonnais en cours de route, mais là, c’était différent

Je suis assez reconnue comme une fonceuse, pourtant j’ai toujours été en questionnement sur moi-même. Cette expérience-là va vraiment me mettre le pied à l’étrier pour la suite, et me lancer en quelque sorte.

Le morceau que j’avais composé, “Ill being” deviendra le premier morceau de mon EP, “Soul Care”, un disque qui a été pour moi comme une véritable thérapie. Dedans, tu trouves tout ce dont j’avais envie, je dirai même “besoin”, d’exprimer…

 Mais d’autres morceaux auront une importance tout aussi forte. Comme, par exemple, lorsque je reprends le morceau “Meu Amor sem Aranjuez”, lui-même issu d’un concerto datant de 1939, qui s’appelait juste “Aranjuez”. Vocalement, ça a été aussi un gros tournant pour moi : j’ai vraiment pris conscience là de ce que le fado pouvait apporter dans mon univers musical. Et puis je reconnais aussi que la mélodie, dans ce morceau, est juste “à tomber”…

 

M.M. : Revenons à ton EP. De qui t’es-tu entourée ?

L.T. : Je me suis entourée de musiciens hors pair. A savoir… Mélanie Centenero à la batterie, Florian Berret au piano, Rémi Chabanel à la basse, et Nicolas Conesa – avec qui j’ai composé cet album – à la guitare. La rencontre avec Nicolas aura encore été une autre révélation. Nous sommes issus d’univers complètement différents, pourtant nous nous sommes complétés merveilleusement bien. Nicolas aura été un porteur idéal de ce projet, en sachant comprendre ce que je voulais que ça devienne.

Tous ces musiciens comptent aujourd’hui véritablement pour moi. Et d’ailleurs, je commence à mettre en forme, dans ma tête, un nouvel album, et il est d’ores et déjà hors de question qu’ils ne fassent pas partie de cette aventure-là.

 

“Soul Care” est sorti le 15 février dernier. Chacun des morceaux qui le composent retrace un moment particulier de ma vie personnelle. Tu comprends mieux pourquoi, dans cet album, j’ai sciemment décidé de me dévoiler comme jamais j’aurais pu le faire jusqu’à maintenant. Bien au-delà d’une quelconque “intimité”, c’est MA vérité qui s’étale ici. Et j’y tenais absolument.

La “release-party” de cet album s’est faite au Sunside, le 8 mars dernier. Et aujourd’hui je me concentre sur mon prochain album. Mais de cela, nous reparlerons en temps voulu…

 

 

Propos recueillis le lundi 5 décembre 2022.

 

Lou, ta jeunesse m’aura bluffé. De bout en bout. Ta personnalité est déjà bien affirmée, et t’écouter est – déjà aussi – un réel plaisir. Comme si tu avais de longues années de carrière derrière toi. En tout cas, merci de ta spontanéité, qui aura conduit à un échange très détendu, comme je les aime.

Et un grand merci à Mathilde Plotton, super photographe, pour les clichés qui accompagnent cette chronique.

 

Ont collaboré à cette chronique :