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Entretien avec Mamia Chérif

On trouve des voix d’exception sur tout le globe. Et le jazz n’échappe pas à cette chance. Celle qui nous ouvre ses portes aujourd’hui illumine la scène, de l’Orient à l’Occident, puisqu’elle a eu la bonne idée de nous faire profiter de son talent, sans compter. Une belle voie s’est ouverte, une de plus. Mais quel plaisir !….

 

 

Entretien avec Mamia Chérif

 

Aussi amoureuse des mots… que du jazz…

 

 

Michel Martelli : Mamia, assez bizarrement, le chant n’a pas été facile d’accès pour toi ?

Mamia Chérif : On peut dire ça, oui. Je suis née à Lille, au sein d’une famille peu portée sur le chant, même si ma mère, en totale amatrice, chantait mais aussi jouait de la darbouka. Mais n’imagine pas ça sur une échelle importante : ça restait dans le domaine très intime, dans le cadre de soirées entre femmes, surtout. Chez nous, les “chanteuses de cabaret” n’étaient pas très considérées. C’était un rapport très particulier viv-à-vis de ce domaine-là. Pourtant, même indirectement, je crois pouvoir dire que c’est ma mère qui m’aura inspirée. Malgré ces tabous, je ressentais un grand besoin d’expressivité, parce que le chant, je crois que je l’ai toujours eu en moi et je le voyais de plus en plus comme “une nécessité de dire”. Mais, crois-moi, sur le moment, ce n’était pas simple : ma mère me défendait de chanter devant mon père.

Pourtant, le chant va me permettre de m’affirmer, non seulement en tant que femme, mais aussi en tant que chanteuse. Même si, pendant presque vingt ans, le côté “artistique” ne sera qu’un à-côté, puisque, en parallèle, je me suis dirigée vers des études “médicales”, plus exactement, je suis devenue technicienne en radiologie. J’ai fait une grande partie de cette vie-là à Paris, où, du reste, je connaissais un artiste-peintre, qui chantait aussi à ses heures, et qui m’a un jour conseillé d’aller me produire au “Piano zinc”, en me disant que, si j’arrivais à chanter là, je chanterai partout. C’était un établissement gay et, lorsque j’y suis entrée, j’y ai croisé beaucoup d’artistes efféminés. Mais j’ai fait ma soirée quand même.

Et puis, à peu près dans le même temps, il y a eu aussi “La Quatrième Mi-temps” – qui se trouvait dans les locaux de l’Olympia, où là, c’était un tout autre public, de rugbymen. Voila les scènes qui ont connu mes tout-débuts.

 

M.M. : Et tu as poursuivi ce rythme pendant vingt ans ?

M.C : Oui. Je faisais mon métier dans mon service de radiologie, tout en allant régulièrement faire du be-bop acrobatique, au Caveau de la Huchette. Eh oui, je suis entrée par cette porte-là aussi. Et j’ai commencé aussi à chanter devant des orchestres de jazz, moi qui, à la maison, écoutait plutôt du raï, et au travail beaucoup de chansons de variétés. Tu vois, le jazz était, pour moi, très loin. Mais le be-bop, que j’ai commencé à vingt-cinq ans, j’en ai fait d’abord au Caveau, et puis au Slow Club, à l’Hôtel Montgolfier. J’aimais danser. A cette période aussi, j’ai découvert la contrebasse. J’ai trouvé d’entrée cet instrument magique. C’est un instrument à cordes qui est en même temps très percussif. L’instrument m’a véritablement passionnée. Et puis, côté “voix”, je suis quasiment tombée amoureuse de Billie Holiday. Combien de soirées, de nuits, ai-je passé en sa compagnie. Viendront ensuite, dans mon top-five, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan et… Edith Piaf, que je considère comme LA chanteuse de blues française. Tu sais, le blues, c’est comme le raï : c’est un courant musical qui porte l’amour sans cesse, à l’image de Piaf qui était une femme libre, et qui aimait la vie. Et puis enfin, Oum Kalthoum, bien sûr.

 

M.M. : Ta première école, ce sera où ?

M.C. : C’est en 1988 que je vais entrer au C.I.M. de Paris, et j’y resterai quelques années, dans mes cours évidemment, mais aussi, plus tard dans le cadre de l’atelier de chant que j’animais.

En 1994 aussi, je vais entrer dans le collectif “A la Goutte d’Or’ où j’aurais la chance de rencontrer là de grands noms comme Archie Shepp, comme Wayne Dockery ou encore le batteur Sunny Murray. Je crois que là, j’ai dû être parmi les premières à faire les premières “jams” de chant. A cette époque-là, que ce soit au Sunset, ou aux Ducs des Lombards, tu ne trouavis rien de la sorte. Et les chanteurs ont commencé par arriver, et de nombreux musiciens. Comme Médéric Collignon, qui passait de temps en temps et puis, un trio au top, avec Emil Spanyi au piano, Eric Sindorf à la basse et Lionel Boccara à la batterie.

Pour se retrouver, il fallait passer sous un porche et, tout au fond, tu avais la salle où on pouvait répéter et jouer. parfois, des musiciens y dormaient, même. J’ai pu jouer avec le super trompettiste Mra Oma, sur plusieurs jams et, grâce à lui, beaucoup d’Américains nous rejoignaient. Nous avons même accueilli des sculpteurs, qui venaient exposer.

En parallèle, j’étais entrée dans l’association “Jazz on the blocks”, dont la marraine était la grande chanteuse Michele Hendricks. Comme secrétaire du collectif de “La Goutte d’Or”, je regrettais vite que ces deux associations ne se fréquentent pas. Alors j’ai tout fait pour, et ça a marché. Les “meneurs” de “Jazz on the blocks”, Jean-François Roux – le saxophoniste – et Gilles Pesnot qui donne des cours de chant aussi. Et du coup, d’abord les mercredis puis les jeudis, nous faisions pas mal de soirées communes. Ca a duré quelques années, et c’était à chaque fois très chouette.

 

M.M. : Et ton premier groupe ?…

M.C. : Mon premier groupe, eh bien je crois que je l’ai monté au C.I.M. avec Bruno Angelini au piano, Gilles Mercier à la basse, et Serge Gâcon à la batterie. On l’avait appelé “Mamia’s Band”… Et puis, très vite, Bruno a volé de ses propres ailes, donc cette formation a accueilli d’autres musiciens, comme Olivier Cahours – guitariste –  qui nous a rejoints, et puis aussi le contrebassiste Thierry Colson. J’ai aussi pu faire venir deux “claquettistes”, Shim et Sham, qui étaient géniaux, et puis j’ai aussi pu jouer avec le contrebassiste (et compositeur) Jean Bardy, avec l’harmoniciste Olivier Ker Ourio, avec Eve-Marie Bodet, Damien Argentieri et, bien sûr Ibrahim Maalouf, que j’inviterai par la suite sur mes deux albums. Mais, avant qu’il ne prenne son envol si mérité, j’ai pu faire de nombreux concerts avec lui. Je n’oublie pas, bien sûr, Mathias Berchadsky, un “prince du flamenco” incroyable et nombre de concerts avec toute l’équipe de “l’Orchestre National de Barbès”, et Karim Ziad à la tête de ce merveilleux collectif. Qui m’a permis de me produire en Afrique du Nord, et crois-moi, c’était très important pour moi.

 

M.M. : Et tes albums ?

M.C. : Mon premier album “Double vie” est sorti en 2005. Je me suis entourée de beaucoup, beaucoup d’artistes. Car tu peux y retrouver : Olivier Cahours et Karim Albert Kook à la guitare acoustique ; Mathias Berchadsky à la guitare flamenca ; Pierrejean Gaucher à la guitare électrique ; Jean Wellers à la guitare basse et au violon ; Said Mesnaoui au hajouj… aux percussions, ils étaient cinq : Amar Chaoui ; Bernard Fellous ; Philippe Dreï ; André Charlier et Olivier Petitjean… et bien sûr Ibrahim Maalouf à la trompette orientale. Côté chœurs, Claire Chambers-Farah ; Céline Lenfant et Rhim Zerguine. Et Karim (Albert Kook) qui chante, aussi.

“Double vie”, c’était un peu la mienne, celle qui oscillait entre l’hôpital et la musique. Les morceaux “Double vie” et “Couscous béchamel” sont, pour moi, très parlants…

Le deuxième album, “Jazzarab”, sort en 2011, avec une toute autre équipe. Pour ce projet, j’avais réuni Damien Argentieri au piano ; Matteo Bortone à la contrebasse ; Antoine Banville à la batterie ; Christian Toucas à l’accordéon ; Charles Sidoun aux percussions ; Brahim Dhour au violon et au oud et Ibrahim Maalouf à la trompette.

Cet album aura été, en quelque sorte, un aboutissement dans mon travail d’adaptation, un travail que j’avais commencé au “Petit Journal Montparnasse”, quand un ami m’avait demandé d’adapter Summertime à la “Bab-el-Oued… Et même si je n’avais pas trouvé le résultat particulièrement probant, sur ce titre-là en tout cas, ça me mettra le pied à l’étrier quant aux adaptations de standards de jazz en arabe. Comme My favourite things de Coltrane, ou Afro Blue, ou encore Whatever Lola Wants… Le chanteur algérien Lili Boniche, malheureusement décédé aujourd’hui, m’a énormément inspirée dans cet univers là, le tango oriental.

Je trouvais que toutes mes origines se retrouvaient dans le jazz. Comme les mots sont aussi une musique, je trouve que l’arabe est une musique cyclique qui se marie à la perfection avec le jazz. Et crois-moi, je suis profondément attachée à cette musique. Comme aux mots, et surtout comme à la poésie.

 

M.M. : Tu enseignes, aussi…

M.C. : L’enseignement, je l’ai débuté en 2000. A Paris, bien sûr, au C.I.M. – où ça me servait à payer mes cours – le C.I.M. qui reste, pour moi, “l’école de la vie du jazz” où il fallait, malgré tout, jouer des coudes pour faire son chemin. Un vrai microcosme…

J’ai aussi suivi une formation de coach vocal.

Et puis, j’ai pu travailler au Conservatoire de Drancy, au département “Musiques actuelles”, et puis également à l’Ecole ATLA de Pigalle, à l’origine une école de guitare mais où, très vite, le chant a pu aussi s’y imposer, jusqu’à y avoir douze professeurs pour le servir ! Mais, à ce moment-là, la demande était très forte.

J’ai pu créer ensuite mes cours d’expression scénique. Tu vois, c’est l’artiste sur scène qui m’intéresse et je m’efforce de faire ce qu’il faut pour développer tout son potentiel.

J’ai aussi été intervenante au Centre des Musiques Didier Lockwood. Une expérience exceptionnelle. Pierrejean Gaucher y a créé le département “guitare”. Moi, j’apprenais aux élèves quelques notions de respiration, toute la gestion du souffle. Jy suis restée de 2004 à 2008.

Et puis, j’ai travaillé également au Conservatoire de Pierrefitte.

 

M.M. : Et aujourd’hui, te voici drômoise…

M.C. : Oui. Depuis 2010, je me suis installée dans la Drôme. En Drôme Provençale. Au début, j’ai fait les allers-retours sur Paris et sa couronne mais, assez vite, j’ai choisi de faire  grandir mon activité dans mon département d’adoption. Ici, j’organise divers stages, et je donne des cours particuliers. Et comme je te l’ai déjà dit, m’intéressant aux mots, je considère qu’une chanson, c’est comme trois minutes de théâtre : mon rôle est d’apprendre comment faire vivre son texte, comment bien se l’approprier et comment le fluidifier grâce à la musique.

En règle générale, les stages que je propose sont sur deux jours. Les “élèves” doivent s’y présenter avec deux morceaux – choisis ou composés – qu’ils connaissent en tout cas parfaitement. Et c’est parti ! En ce moment, je travaille avec la merveilleuse pianiste Sandrine Marchetti. Pour les lieux, nous sommes souvent à la “Maison des Deux Terres” à Grignan – où il y a un “salon de musique” – ou bien au “Petit Palais de Chaillot” – à Colonzelle, chez la pianiste Rebecca Chaillot.

Côté projet, je travaille actuellement un spectacle autour de Serge Reggiani, “L’Italien est de retour”, en résidence à l’Espace Saint-Germain de Roussas – une belle salle de spectacle. Un spectacle est prévu, le 25 juin prochain, à Roussas.

Plus près de nous, ce samedi 15 avril, je serai à Montélimar, pour assurer la partie musicale d’une soirée dédiée à l’association AFTIMMM, qui s’occupe d’enfants insuffisants mentaux, et qui est emmenée par le Docteur Slaheddine Tebib. Ce sera un spectacle en deux parties, d’abord autour de la poésie d’Alfonsina Storni (avec du tango, aussi), et la seconde partie sera ouverte à la musique arabo-andalouse, très “orientale”.

Le 13 mai, nous serons au “Petit Palais de Chaillot” pour présenter notre “lecture poétique musicale” que je conduis avec le vibraphoniste, et percussionniste Julien Moussiegt, un projet que nous avons appelé “A Mots d’Ailes”… Une ode aux “poétesses sans frontières” où Billie Holiday viendra faire un petit signe.

Un spectacle que nous redonnerons, le 15 juin, à la librairie-galerie “Chant Libre” de Montélimar.

Je termine – pour le moment – en te disant que je porte le concours de poésie “Poésia”, en partenariat avec les Médiathèques de Montélimar, de Bollène, de Saint-Paul-Trois-Châteaux et de Nyons – où la finale du dernier concours a eu lieu. Un très bel évènement.

 

 

Propos recueillis le lundi 10 avril 2023.

 

 

Merci, Mamia, pour cet échange si riche. C’est très agréable de trouver en plus, derrière la super artiste, une belle personne. Ce que tout le monde dit, et que je confirme aujourd’hui à la puissance mille. A très vite de te rencontrer.

Ont collaboré à cette chronique :