Une fois n’est pas coutume, j’ai ouvert ces colonnes à une « artiste » de la scène française qui, si elle n’en a pas fait « carrière », a toujours eu le jazz en arrière-plan, dans quelques-uns de ses projets. Une voix donc, qu’elle décline autant sur scène que devant une caméra… voire derrière, puisqu’elle est aussi réalisatrice.
Margot Abascal
De « Mirou » à Mireille Havet, entre musique et cinéma…
Michel Martelli : Margot, ta carrière va « éclore » en Bretagne et commencer par la musique…
Margot Abascal : Oui, j’ai grandi en Bretagne. Je suis native de Nantes où je vais passer mon enfance et où j’aurai quand même le temps d’écouter du rock, avant Rennes où j’arrive adolescente, et où je vais connaître mon premier choc musical. Ces deux villes ont leur propre identité musicale, c’est indéniable et, même jeune, je l’ai ressenti.
Mon premier choc donc, va se produire à Rennes lorsque j’aurais l’occasion d’écouter la chanteuse de jazz « Mirou ». Elle a fondé un trio jazz-blues-swing – avec Gilles Erhart au clavier et Eric Bedoucha à la batterie – et s’est produite sur l’album « Uno », avec le titre « What do you say » – NdlR). Malheureusement, cette artiste est décédée très jeune. Mais j’avais eu la chance de la croiser aux Transmusicales et dans les rues de Rennes, ville musicale où on voit souvent les artistes en concerts, dans les bars… Mirou chantait aussi au « Madrigal » à Rennes. Musicalement, c’était une artiste très forte, je dirais même resplendissante. Elle faisait des scats extraordinaires, et elle s’est souvent produite aux côtés de Daniel Paboeuf, le grand saxophoniste jazz.
M.M. : Une rencontre à laquelle tu rendras hommage, plus tard, dans une de tes réalisations...
M.A. : Oui, en 2001, lorsque je réaliserai « La voix de Luna », un film dont l’action tourne autour d’une chanteuse qui a perdu sa voix, avec notamment Jeanne Savary et Muriel Moreno (du groupe « Niagara ») et que j’ai tourné pendant les Transmusicales. Il y avait aussi, au générique Philippe Pascal, du groupe « Marquis de Sade ». Philippe qui nous a quittés l’an dernier et qui a laissé un grand vide. Pour ce projet, je voulais des bandes originales de la voix de Mirou et pour ça, Daniel Paboeuf m’a beaucoup aidée, en retrouvant certains enregistrements qu’il a nettoyés. Et que j’ai utilisés.
« Mirou » a été la professeure de chant de Muriel Moreno aussi, mais, pour moi, elle a surtout été un point de départ. Une « apparition », une révélation, tu peux employer le terme que tu veux, parce que c’était une artiste très talentueuse, qui donnait envie. Elle a été aussi forte, pour moi (!) dans ma vie, qu’Aretha Franklin ou les Beatles par exemple (rires) ! Elle était vraiment « jazz » et cela m’apportait autre chose que le rock, elle était différente.
M.M. : Le jazz a une place prépondérante, dans ta vie ?
M.A. : J’ai toujours été attirée par l’artistique. Et les concerts, j’ai toujours adoré. Rennes est une ville de musique. Et ce que tu n’écoutais pas à Rennes, tu traversais la Manche pour aller l’écouter en Angleterre. A cette époque, non, je ne pensais pas que cela ferait partie de mon métier. Aller dans les concerts faisait juste partie de mon identité.
La réalisatrice Pascale Breton a dit : « le rock a remplacé le breton chez les jeunes, comme une autre forme de résistance ». Eh bien, tu vois, le jazz est peut-être moins repéré comme tel, mais pour moi, c’est tout comme.
Pour reprendre ta question… quelle que soit la discipline dans laquelle je me suis investie, oui, le jazz a, d’une façon ou d’une autre, toujours été là, pas loin.
Je t’ai parlé de Daniel Paboeuf, qui a fondé des groupes de jazz, voire de free-jazz, dont le dernier est le « Daniel Paboeuf Unity » avec Régis Boulard à la batterie, David Euverte aux claviers, Laetitia Shériff au chant. J’ai eu le plaisir de les applaudir plusieurs fois, toujours avec le même enthousiasme !
Et Régis Boulard qui a joué avec le guitariste Olivier Mellano, et le bassiste gallois John Greaves [NdlR: que l’on verra cet automne 2020 au RhinoJazz(s)] . Avec John, j’ai chanté, aussi, sur la scène de l’Archipel à Paris à l’occasion d’un concert de Silvain Vanot, et avec le violoniste Laurent Valéro.
M.M. : Sur ta route, musique et cinéma se sont souvent mêlés…
M.A. : Oui. En fonction des circonstances, comme des rencontres, mais c’est bien souvent comme ça. Lorsque j’arrive à Paris, c’est pour entrer au Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique. Parce que ma vie professionnelle, je la voyais aussi au travers du cinéma, dans le jeu comme dans la réalisation. Mais la musique, le chant surtout, se sont toujours débrouillé de revenir, au détour d’un projet. Un exemple : lorsque je vais tourner le film « Nom de code : Sacha », du réalisateur Thierry Jousse [NdlR:rédacteur en chef des « Cahiers du Cinéma »], je vais retrouver Philippe Katerine, Noël Akchoté, ainsi que le pianiste de jazz Benoît Delbecq. Lorsque ce film a été présenté à Nantes, c’était au cinéma d’Arts et Essais « Le Katorza ». A l’issue de la projection , nous avons improvisé un des meilleurs concerts de jazz que j’aie pu faire, avec tous ces musiciens.
Philippe Katerine aura aussi été décisif dans mon parcours de chanteuse. Musicalement, je peux dire qu’il m’aura mis le pied à l’étrier.
Je t’ai parlé de Philippe Pascal, tout à l’heure… et je reviens à ce groupe, « Marquis de Sade » qui a eu également comme fondateur Frank Darcel. Frank a produit Daho, a joué avec Obispo, et il m’a proposé d’enregistrer plusieurs titres – aux couleurs plus « pop-rock ».
J’ai aussi pu enregistrer avec Philippe Eidel chez lui, en résidence. Philippe avait beaucoup travaillé pour le cinéma. J’y ai rencontré le musicien jazz et musiques orientales, Gilles Andrieux, je me suis produite sur un de ses titres. Son groupe « Lemon 5 » propose un jazz très ouvert, aux sonorités extraordinaires.
Bruno Leroux, lui aussi, a fait appel à moi pour un de ses projets – Bruno, c’est le groupe « Siam », notamment… Et comme tu as remarqué que mes diverses routes se mêlaient volontiers, je te dirai que, pour le tournage de mon second court-métrage, « Florides », j’ai fait appel à mon tour à Bruno, pour la composition de trois titres.
Un film dont le rôle principal est tenu par Marco Prince, le chanteur du groupe « F.F.F. », très funk et free-jazz. La première équipe de ce groupe réunissait le saxophoniste Philippe Herpin et le guitariste Yarol Poupaud, Nicolas Baby à la basse, Krichou Monthieux à la batterie. « F.F.F. », je suis vraiment fan, et je suis certainement une de ceux qui souhaitent les revoir bientôt !
M.M. : Et on retrouve encore la couleur jazz dans ton film « Poseur », de 2019, avec Charles Berling…
M.A. : Grâce au musicien Philippe Eveno – à la formation jazz – qui a composé la musique de la chanson présente dans ce film, que l’on peut entendre a capella comme en musique. Les paroles ont été écrites par Jean-Sébastien du Guerny. Et un maillon supplémentaire dans mon amour pour le jazz. Je t’explique : Jean-Sébastien a organisé de nombreux concerts au Virgin Mégastore des Champs-Elysées. Cette « institution », qui malheureusement n’existe plus aujourd’hui, accueillait des artistes internationaux et un public très varié. Un endroit qui a beaucoup compté.
Dans son hall, énormément de concerts de toutes les couleurs musicales que tu pouvais trouver. Tous les artistes étaient reçus de la même façon. Ici c’était « open », et c’est ce qui faisait son côté extraordinaire.
Pour moi, c’était surtout le « plus grand comptoir européen de jazz » que je pouvais trouver. J’y ai découvert Erik Truffaz, avec l’album « The Dawn » en collaboration avec le rappeur Nya. Leur « show case » m’avait tellement emballée que j’étais allée les écouter encore au « Sunset » par la suite.
Je me souviens aussi des concerts de Steve Coleman, André Ceccarelli, Richard Galliano… sur la scène, quasiment « à ciel ouvert » de l’immense Virgin Megastore. Des concerts que, grâce à la diffusion interne, tu pouvais entendre dans tout le magasin.
Tout ça a fait grandir ma culture musicale.
M.M. : C’est encore le jazz qui va s’inviter… à ton mariage !
M.A. : Oui, c’est vrai. Le pianiste de jazz Armel Dupas – qui est nantais– est venu assurer la musique en cette belle journée. Son album « Upriver » est un de mes albums préférés.
Armel s’est aussi produit avec Sandra N’Kaké, une artiste extraordinaire qui a remporté la Victoire du Jazz en 2012 pour son album « Nothing for Granted ». J’ai rencontré Sandra, aussi comédienne, au Festival de Cannes.
M.M. : J’aimerais quand même qu’on dise un mot de ta facette « cinéma »…
M.A. : Mon oncle est le comédien Florant, qui a fait partie de la Ligue d’Improvisation, et qui a appris l’art du mime au Canada avec Marcel Marceau. Je reste une très grande fan de tout ce qu’il a pu réaliser dans son art.
En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de tourner avec plein de gens. Le film « Promotion canapé » – qui avait été écrit à la base pour Coluche – m’a fait côtoyer Zabou Breitman, Thierry Lhermitte, Grace de Capitani, Claude Rich.
J’ai beaucoup aimé jouer dans « Le Rocher d’Acapulco » du Nantais Laurent Tuel (décidément!) en 1995, et puis deux ans plus tard dans le film de Sébastien Lifshitz « Les Corps ouverts », qui a reçu le prix Jean Vigo. Et, dans ce film, j’ai pu renouer avec le chant !
Et puis, je vais te citer aussi le film « Sagan », de Diane Kurys qui a connu une version longue pour la télévision.
M.M. : Et au théâtre ?
M.A. : J’ai monté un projet autour de la poétesse Mireille Havet, amie de Jean Cocteau et de Guillaume Apollinaire, qui a brûlé sa vie dans les drogues. Son journal intime a été retrouvé par hasard dans les années quatre-vingt-dix. Et a été réédité par Claire Paulhan dont les éditions sont de véritables objets d’art.
Ce journal, j’ai souhaité l’adapter en compagnie du grand metteur en scène Gabriel Garran, qui a lui-même connu la seconde Guerre Mondiale, ce qui est très important quant à la restitution sur scène d’un certain état d’esprit lié à l’histoire de Mireille Havet, enfant de la 1ère guerre mondiale.
Mireille Havet est pour moi l’objet d’un second projet, à l’écriture en ce moment. Toujours sur sa vie. Le jazz y revient, d’un certain côté. Car Mireille était une habituée du club de jazz « Le Bœuf sur le toit », à Paris.
La boucle est bouclée…
Propos recueillis le mardi 14 juillet 2020.
Cet article, on l’aura compris, ne donne pas la parole à une musicienne de jazz comme celles qui se sont déjà succédées dans ces colonnes. Mais, à l’instar des responsables de festivals jazz qui n’ont pas fait forcément carrière non plus, je trouvais intéressant de recueillir le témoignage d’une artiste chez qui cette musique tient tout de même une belle place.
Margot, tu présentes une carte de visite impressionnante (à découvrir sur www.margotabascal.com) et échanger avec toi a été un véritable bonheur. Évidemment, on suivra ta production cinématographique, mais, qui sait ?, peut-être aura-t-on la joie de t’écouter sur scène un jour ?
En tout cas, merci pour ce moment partagé.