Interviews

Entretien avec Maxime Tritschberger

Il est né à Haguenau, dans le Bas-Rhin. Alsace, terre musicale aux forts accents manouche, dont il va savoir s’inspirer, au tout début de sa carrière. Aujourd’hui installé en Drôme Provençale, il continue sans bruit une carrière riche.

 

 

Maxime Tritschberger

 

L’école manouche ouvre bien des portes, dont celle de l’amitié…

 

 

Michel Martelli : Maxime, quelles étaient, à la base, tes prédispositions musicales ?

Maxime Tritschberger : Eh bien… aucune ! Personne, autour de moi, n’est musicien et/ou n’en a fait sa carrière. J’ai quelques vagues souvenirs d’oncles, qui grattaient un peu de guitare ou jouaient un peu d’accordéon, mais cela reste très marginal… J’ai aussi deux frères, dont un a joué aussi un peu de guitare, mais il n’a pas persévéré.

Du coup, je vais entrer en école de musique comme je serais rentré au club de football. Mes parents, pour me donner une occupation, m’ont inscrit à l’école municipale de musique de Reichshoffen, dans laquelle je vais entrer à l’âge de six ans. Ma première année, tu t’en doutes, va être une année de solfège et puis, à sept ans, va arriver le choix de l’instrument. Et moi, j’avais choisi : ce serait le saxophone. Pourquoi le saxophone ? Eh bien je te répondrai que je ne sais plus…. je me souviens qu’avec un de mes copains de la petite enfance, Anthony Mehl, on s’était dit qu’on jouerait du saxophone. Bref…. De sept à quinze ans, je vais suivre mon cursus normal de jeune saxophoniste dans cette école de Reichshoffen. Scolairement, je suis au collège.

 

M.M. : Au lycée, tu quittes ce « cocon » ?

M.T. : Oui, pour le lycée, je vais partir sur Haguenau… Musicalement, je dois te dire que j’avais déjà commencé à gratter un peu de guitare – en partie à cause de mon frère qui en jouait, comme ça – et, en arrivant sur Haguenau, je vais découvrir tout un monde autour de cet instrument, c’est à dire le monde manouche. Je ne sais pas si tu sais, mais la région Alsace est très riche en camps manouches, c’est une région de France qu’ils apprécient particulièrement. En plus, musicalement, ils savent très bien se diffuser dans nos rues alsaciennes. Grosse communauté, grosse présence… mon contact avec ce monde-là va me créer un choc, et je vais tomber amoureux de cette musique, carrément.

Au point, d’ailleurs, d’arrêter complètement le saxophone, pour me consacrer à la guitare, exclusivement. Mais tu vois, à ce moment-là, cette action avait, pour moi, une toute autre dimension : je faisais là un trait sur ma « vie d’avant », ma vie d’enfant : j’avais tiré un trait sur le sport, arrêté maintenant le sax que j’avais en mains jusqu’à mes sept ans, sax pour lequel j’avais suivi un parcours des plus classiques…. sur tout ce monde-là, je tournais la page.

 

M.M. : Pour ouvrir celle aux accents gipsy ?

M.T. : Oui… c’est Django qui va m’apprendre à jouer de la guitare – une image, bien sûr… mais, de seize à dix-huit ans, ça va être en total autodidacte (à part quelques cours ici et là) que je vais apprendre à maîtriser cet instrument. Alors manouche, oui, mais quand tu as cet âge-là, tu es aussi attiré par le rock, le métal… surtout quand tu es guitariste. Et donc je jouais un peu de tout ? Et ça, jusqu’à mes dix-huit ans, et mon départ pour Strasbourg où, après mon Bac Littéraire, je vais entrer en Faculté de Musicologie. Où je suis resté jusqu’à la Licence, mais pas dans le but d’être prof, non. Mon envie, c’était rencontrer d’autres musiciens, et faire de la musique… Tu sais, j’avais mon propre appartement – j’étais donc indépendant – et, musicalement, « l’offre » était beaucoup plus grande que partout où j’étais passé jusqu’alors. Surtout, donc, la musique manouche qui, à cette époque, commençait à arriver en force sur le devant de la scène en France.

Vers dix-neuf ans, je vais monter un premier trio, qui s’appellera « Hansi Swing », avec deux copains, Anthony Leroy et Nicolas Klee. Au bout d’un moment, on se disait que la meilleure façon d’appréhender cette musique, c’était d’aller à la base, c’est-à-dire aller voir ceux qui transmettaient cette tradition, ceux qui savaient la jouer.

Alors, je vais devenir l’ami de Francky Reinhardt, qui était le leader d’un groupe manouche, une sommité dans cette musique-là, qui va me donner… deux années de cours, au sein même de sa communauté. Tu imagines ? J’étais aux anges, car je recevais là un apprentissage on ne peut plus solide, qui allait du reste encore ensuite s’accélérer. Je vais, en effet rencontrer Yorgui Loeffler, un autre musicien manouche mais, lui, internationalement connu et qui va lui aussi « mettre sa patte » dans mon apprentissage, pendant une année.

Par la suite, et notamment au cours de jam sessions, je vais croiser la route de Bireli Lagrene, pour moi, sincèrement, le meilleur guitariste au monde. C’est sur cette route que je croiserai toutes les idoles dont je rêvais depuis des années.

 

M.M. : Pourtant, quelque chose en toi « n’était pas en place »…

M.T. : Cette période, si tu veux, m’a apporté la concrétisation de mon envie d’être musicien. J’avais sous les yeux mes premiers contrats « d’artiste musical », je commençais à engranger les cachets et de ça, j’étais super fier. Je prenais enfin conscience que je pouvais peut-être vivre de ma passion de la musique, et, devant moi, j’avais une belle vision de « la vie de bohème » au gré des concerts… Le manouche s’était bien infiltré en moi. Comme chez d’autres artistes, d’ailleurs. Sansévérino s’en inspire aussi beaucoup. Mais, tu vois, plus je la pratiquais.. et plus je me disais que ce n’était pas MA musique. La musique manouche, c’est toute une culture, une culture qui appartient aux manouches et non pas à un « gadgé » comme moi. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai décidé de modifier un peu ma route musicale. En revanche, tout ce que j’avais accumulé pendant ces années, cette pratique manouche, faisait que j’attirais sur moi pas mal de regards d’autres groupes qui voulaient intégrer mon style de jeu.

Fort de ce constat, je vais bientôt rejoindre deux groupes bien précis, dont j’assurerai par la suite la promotion – parce que c’est quelque chose que j’aime faire. Le premier va être « Les Dessous de la Vie » – tu peux trouver un album sur Spotify –  dans un univers de chansons swing français, et compos personnelles. Dans ce groupe, tu trouvais Anastasia Rauch, à l’accordéon et au chant, Gaël Muller, à la guitare et à la composition,  Loïc Rebouche à la basse, et deux batteurs qui se sont succédé, Arnaud Goepper et Victor Gachet. Ce groupe a tourné de 2009 à 2013 et, ensemble, on a sillonné les routes de France, et d’Europe. On tournait bien, jusque quatre-vingts dates par an.

Dans le même temps, je vais aussi rejoindre « Les Chapeaux Noirs », un groupe plus jazz, du coup, dans lequel on retrouve Victor Gachet à la batterie, mais aussi Nicolas Constans au piano et encore Nicolas Klee à la contrebasse. C’est un groupe qui existe toujours, même si je n’y suis plus aujourd’hui. Il produit un jazz assez peu classique, qui sort un peu des sentiers battus… En 2011, on sortira un album, éponyme, on fera le « Tremplin Réseau » de Jazz à Vienne, on tournera dans plusieurs Festivals… on avait réussi à se faire un petit nom dans le paysage du jazz alsacien.

 

M.M. : Mais, pourquoi pars-tu de cette région ?

M.T. : C’est vrai que ma période alsacienne va s’arrêter en 2013, alors que je suis musicien professionnel et que je connais une grande partie du milieu, administrativement parlant… Je pars… parce que j’avais envie de bouger. Quelque chose, sans doute, que je tiens des Manouches. Partir sur les routes, au gré des demandes. Mais, dans cette optique, tu ne te cherches pas forcément un logement… c’est vrai que payer un loyer, pour ne jamais être chez toi…. Sur ces entrefaites, au cours d’une tournée, je vais rencontrer la chanteuse Maggy Bolle, qui est de Besançon. Justement, elle cherchait un musicien susceptible de l’accompagner, et avec qui tourner. Entre nous, la sauce a vite pris, et nous avons tourné ensemble de 2014 à 2018. De mon côté, j’avais acheté un camping-car, très pratique dans mon optique d’être constamment sur les routes et, même si Maggy et moi n’avons jamais été en couple, je lui ai fait profiter de ma « maison sur roues ». Ce camping-car nous a permis de nous produire partout. On faisait quand même une grosse centaine de dates tous les ans, on tournait en France comme dans certains pays européens… Et deux albums sont sortis de cette collaboration , un sorti en 2014, l’autre en 2017. Notre style, c’était de la pure chanson française, humoristique et décalée, un peu dans le style de Didier Super, si tu veux. Pour tourner avec Maggy, je m’étais mis à la contrebasse. Et j’ai commencé, aussi, à chanter sur scène. Maggy, quant à elle, faisait un peu de guitare.

 

M.M. : Et aujourd’hui, alors ?

M.T. : En 2018, je vais rencontrer la chanteuse Nolwenn Tanet. Chanteuse et musicienne. Là, par contre, l’histoire va bien évoluer. Au point que l’on va venir s’installer dans le département de la Drôme. Pourquoi la Drôme ? C’est un département que j’avais traversé quelques fois au cours de tournées et son physique me plaisait depuis longtemps. En arrivant ici, nous nous installons dans le Vercors, à Saint-Martin-en-Vercors.

Nolwenn est donc dans la chanson française, mais elle joue également du piano, et de l’accordéon. Dans sa période « parisienne », elle a fait beaucoup de pièces théâtrales musicales.

Arrivés dans la Drôme, elle et moi allons monter un duo, le « Chauffe Marcel Duo », dont nous avons choisi le répertoire dans la chanson française et les musiques du monde et avec lequel nous nous sommes produits dans nombre de fêtes de village..

En 2019, je vais rencontrer Julien Bédrine, qui montait son groupe, le « Big Easy », mais tu en as déjà parlé récemment. L’aventure, une belle aventure, dure encore aujourd’hui… D’ailleurs, pour plus de commodités, nous avons aussi créé le « petit frère » de « Big Easy », à savoir le trio « Smoking Jive ». Et puis, toujours avec Julien mais c’est plus frais, ce projet de musique caribéenne où se mêleront calypso et biguine. Un quartet qui prend de l’ampleur, nous avons déjà une dizaine de titres dans la musette.

 

Côté personnel, nous avons déménagé dans la Drôme Provençale depuis un an, dans les environs de Bourdeaux. Où nous avons eu, aussi, l’envie d’être parents… Depuis, nous développons nos projets immédiats, en plus de ceux que je t’ai cités. Pour Nolwenn, un trio « swing vocal » féminin, avec Sabine Schaechtelin et Emilie Llamas, « The Memory Box ». Quant à moi, je peaufine un site à la fois bio et d’événementiel qui retrace mon parcours tant en manouche qu’en jazz, qui montre ce que je sais faire, en gros, et de quelle façon je peux le proposer. Le site s’appelle dromejazzetchansons.com.

 

Je crois que, pour Nolwenn comme pour moi, la route s’annonce pas mal. C’est tout ce que l’on se souhaite, être heureux en faisant ce qui nous plaît.

 

 

Propos recueillis le jeudi 28 mai 2020

 

 

Max, à l’identique de ton comparse Julien Bédrine, qui est passé dans nos colonnes récemment, j’avais eu le plaisir de te croiser dans la Drôme. Un plaisir, donc, de finaliser cette rencontre au travers de cet entretien qui peaufine le personnage.

On attend avec impatience votre quartet « dépaysant ».

Ont collaboré à cette chronique :