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Entretien avec Mélina Tobiana

Elle est une valeur sûre. Dans le paysage jazz d’aujourd’hui, difficile de ne pas connaître sa voix ou son visage. Au travers de ses formations, ou du quintet « Bloom » qu’elle a créé avec Laurence Ilous, elle s’est fait une belle place sur la scène française, ajoutant un capital sympathie énorme à son talent affirmé. Un talent qu’elle souhaite transmettre aujourd’hui en dispensant des cours.

Mélina Tobiana

Petite étoile dans la nuit du Jazz…

 

Michel Martelli : Mélina, l’art semble, d’entrée, indissociable de ta personnalité…

Mélina Tobiana : C’est vrai que j’ai grandi dans un milieu artistique, puisque je suis fille de comédiens. Et des deux côtés. Ma mère, par la suite, obliquera vers la mise en scène. Quant à moi, du plus loin que je me souvienne, je me vois chanter. Les instruments de musique vont venir se greffer là-dessus un petit peu plus tard. Entre six et sept ans, véritablement, l’âge qui me verra commencer les cours de piano, grâce à une voisine, qui était très amie avec ma mère.

Mon premier Conservatoire sera celui d’Aubervilliers-La Courneuve, où je vais entrer en 1997. Ensuite, ma mère déménageant dans l’Essonne, je vais intégrer l’école de musique de  Méréville, où je resterai jusqu’à mes dix-huit ans. En même temps que j’accéderai à la majorité, cette année-là me décidera à entamer une carrière de chanteuse. C’était une intime conviction, car, à ce moment-là, je ne connaissais rien, véritablement, de mon niveau vocal. C’est pourquoi je vais rentrer à l’I.C.A.P de Paris 20 (Institut for Artistic and Cultural Perception), une école de chant-jazz, disparue aujourd’hui. Et ce sera dans cet institut que ma route va croiser celle de Benoît Daniel, qui est pianiste, pianiste de jazz -mais pas que- car Benoît a quelques cordes à son arc. Avec lui, en duo, je vais commencer à entrer dans le monde des petits concerts, autour d’un répertoire principalement fait de standards. A cette époque-là, j’avais dix-neuf ans. Mais je ne ferai pas que ça. Comme je m’étais installée à Paris, et que j’y occupais divers emplois en vente ou en service, je vais avoir l’occasion de me produire dans quelques établissements, comme “Les Trois Mailletz” – avec un « z » à la fin, au “Relais de la Huchette” ou encore au “Petit Pont”… sans compter plein d’autres petites scènes, sur lesquelles j’alternais de la chanson française, des standards de jazz, de la soul, de la variété… Je tournais uniquement avec des pianistes, Benoît, donc, mais aussi Cédric ou Stéphane Tordjman. Et c’est aussi grâce à Daniel que je vais croiser la route de Martin Guimbellot, qui aura par la suite toute sa place au sein de « Bloom ».

C’est aussi à cette période que je vais avoir l’occasion de travailler avec le batteur Leon Parker. Sur ce projet, Leon cherchait des chœurs. Naturellement, je vais me tourner vers ma professeure de chant de l’époque, Letizia Morelli, au cas où elle ait quelques pistes… Au final, ce sera juste judicieux, puisque cela va me faire rencontrer Laurence Ilous, qui va me rejoindre sur le projet de Leon. Et même si cette aventure avec Leon a tourné court – ce qui nous avait quand même bien frustrées – l’important était que le contact avait bel et bien été scellé avec Laurence, et que cette union allait nous entraîner sur une belle route. Quelques mois plus tard, en effet, elle me rappelait, pour me faire part de son envie de monter un trio. Un trio vocal. Elle, moi, et une amie, Sylvia Walowski. Voilà comment le groupe “Bloom” a été mis sur les rails.

 

M.M. : Un concept que vous avez forgé à la force du poignet et un vrai ticket gagnant, aujourd’hui ?

M.T. : Je crois que l’envie a été là, dès le début. Quand tu veux vraiment quelque chose, et que tu travailles dur pour y parvenir, tu aboutis souvent à de belles choses. D’entrée, nous nous sommes lancées à fond dans les répétitions à trois. Laurence et moi avions déjà, chacune de son côté, quelques compositions dans l’escarcelle. Dès le début, nous voulions aussi faire nos arrangements nous-mêmes. Cela nous a pris du temps, il faut le reconnaître, mais nous y sommes arrivées. Martin, dont je t’ai déjà parlé – et qui avait déjà travaillé avec moi sur l’album “Mélina Tobiana” – a rejoint l’aventure à ce moment-là.

Dans ce projet de « Bloom », nous souhaitions associer des instruments harmoniques, en l’occurrence nos trois voix, avec des instruments rythmiques – comme les percus – et la contrebasse de Martin. Mais nous ne souhaitions rien d’autre. Ni piano, ni guitare.

Le temps passant, Sylvia, pour des raisons d’ordre professionnel, nous a quittées, et ce sera Léa Castro qui viendra la remplacer. Comment s’est faite notre rencontre ? La première fois que l’on a rencontré Léa, c’était pendant une édition du concours du Crest Jazz Vocal. Sur le moment, nous avions bien sympathisé. Et puis, environ une année plus tard, “Bloom” fait un concert à Paris, qui, pour la petite histoire, s’avérerait être le dernier pour Sylvia. Ce soir-là, Léa était venue nous écouter, elle faisait partie du public. J’ai trouvé cette coïncidence géniale, d’abord parce qu’on s’était retrouvées avec beaucoup de plaisir et, en même temps, parce que le groupe allait avoir besoin d’une nouvelle “troisième voix”. Et cette voix s’offrait à nous avec sa venue. Et, en plus, ce fut une bonne pioche pour “Bloom”, puisque Léa arrivera avec son compagnon, Antoine Delprat, qui est violoniste et pianiste, et qui deviendra ensuite très vite notre arrangeur.

Et puis, j’ai oublié de parler de Nils Wekstein, qui va prendre en mains les percus, dans le groupe. Nils, toujours très influencé par les musiques cubaines, ou sud-américaines…

Cette expérience m’a confirmé – et c’est la même chose pour Laurence, comme pour Léa – que la polyphonie, ça te prend aux tripes et c’est un véritable bonheur à chacun de nos concerts. Et lorsque tu portes ça en toi, tu n’as qu’une envie, c’est de communiquer ton bonheur d’être sur scène à toutes celles et à tous ceux qui sont venus t’écouter.Cette recette a fait ses preuves aujourd’hui…

 

M.M. : C’est quoi, le visage 2021 de Bloom ?

M.T. : C’est vrai que la formation a connu, en peu de temps, deux changements importants. Le premier, qui date d’il y a un peu plus d’un an, a vu Ariel Tessier remplacer Nils Wekstein. Ça s’est fait juste avant l’arrivée de la Covid. Autant Nils était “percus”, autant Ariel est plus un batteur, je n’ai pas besoin de le présenter. Quant au deuxième changement, il est tout récent, puisqu’il date du mois de décembre dernier. Pour raisons personnelles, Martin a décidé de décrocher du groupe, ce que nous avons acté avec tristesse. Pour pallier son départ, nous avons pris des contacts avec Arthur Henn, je dirais même des contacts sérieux.

Est-ce que cela aura de l’influence sur la “couleur” de Bloom ? On pourrait le penser, si on se base uniquement sur le fait qu’on bossait tous les cinq ensemble depuis sept ans maintenant. Mais, même si les jeux d’Ariel ou d’Arthur diffèrent un peu, forcément, cela n’entraînera pas de changements radicaux sur le groupe, non. Rassures-toi, il gardera son âme. Nous sommes, du reste, déjà tous sur de nouveaux projets…

 

M.M. : Qu’est-ce que tu peux nous dire de tes autres formations ?

M.T. : Je peux te reparler de ma première formation, le “Mélina Tobiana Quintet”, que j’avais créé en 2015, avec Martin qui, en plus de la contrebasse, apportait aussi ses compositions, mais aussi Stephan Moutot au saxophone, Remy Voide à la batterie et Emmanuel Duprey au piano. Cette composition est la composition de base, celle avec laquelle je suis allée jusqu’en Inde. Mais aujourd’hui, le quintet est en phase de composition, et pour celle-ci, je me suis entourée du pianiste Édouard Monnin pour la musique, et de Letizia Morelli (oui, ma prof..) pour les textes. Quant à la formation musicale elle-même, qui fera partie de cette nouvelle aventure, eh bien je ne peux pas encore te le dire…

Dans les projets qui me tiennent à cœur, il y a aussi “Nanan!”, le projet de Lydie Dupuis dans lequel j’interviens depuis quelques années. J’adore ! Parce que nous nous donnons à fond pour les enfants, qui sont – je ne t’apprends rien – très spontanés et qui, contrairement peut-être à certaines idées reçues, adorent le jazz ! Malheureusement, pour ça aussi, la Covid nous a supprimé pas mal de dates, ou plutôt reporté. Nous, on n’attend qu’une seule chose : pouvoir remonter sur scène ! Pour “Nanan!”, tu retrouves Vincent Périer au saxophone, Lydie, bien sûr, à la batterie, Julien Sarrazin à la contrebasse et Romain Nassini au piano. Une belle équipe autour de ma voix, comme tu peux le constater.

 

M.M. : Tu te sens plus interprète, ou plus compositrice ?

M.T. : Je pense que ce sont des énergies totalement différentes, mais dans lesquelles je me sens bien, au fond. Quand tu es en phase “composition”, en fait, tu es plutôt dans l’ introspection, parce que tu n’arrêtes pas de te questionner : quel style ? avec qui ? Ce genre de choses. Et lorsque cette phase est terminée, arrive celle de l’excitation, et une certaine forme de peur aussi, parce que tu te demandes si ce que tu as créé va faire mouche, va plaire. Évidemment.

En réalité, la différence essentielle, c’est que sur scène, tu donnes. Tu donnes au public qui est venu t’écouter. La compo, c’est simplement avec toi-même. Et je me connais quand même un petit peu, je suis quelqu’un de très tourné vers l’extérieur, qui aime donner. Tu peux donc en déduire que je suis parfaitement bien sur une scène.

 

M.M. : Et que tu vas donner, à présent, sous une autre forme, puisque te voilà prof de chant ?

M.T. : Oui, et c’est tout récent. Je pars du principe, partagé par beaucoup, que la culture, et même la Culture avec un grand “C” est essentielle à chaque être humain. Nous en avons tous besoin, c’est comme une véritable nourriture. Et puis, il y a aussi, dans cette décision, l’exemple de ma sœur, qui est psychologue. Elle fait beaucoup dans le “don” vers les autres, et m’a communiqué cette envie. Avec l’impression de ne jamais donner assez, dans mes prestations musicales. On dit parfois que les artistes “aiment” se regarder soi-même, et je ne voulais pas tomber dans ce cliché-là. Tout ça réuni a fait qu’en 2017, j’ai suivi la formation Richard Cross à Paris, une super formation dans laquelle je me suis éclatée, vraiment. Une fois cette formation finie, je voyais mon métier autrement, parce que tu le perçois au travers d’autres mécanismes.

Je n’ai pas encore pris ma vitesse de croisière, en tant que professeure. Parce que j’ai été ces derniers temps très investie dans ma phase “composition”. Et puis, il y a ce virus, qui bouleverse tout… Mais cela va redémarrer sous peu. Et les élèves viendront chez moi pour suivre leurs cours, dans un esprit identique – tu me connais – à celui que je mets dans mon métier de chanteuse. Quand tu aimes les gens, tu souhaites le meilleur pour eux. Et d’autant plus si ce sont tes élèves !…

 

 

Propos recueillis le mardi 12 janvier 2021.

 

 

Je termine toujours ces entretiens par une note perso, mais celle-là, je l’écris très facilement. Mélina, on se connaît maintenant depuis quelques temps, tu as dû te rendre compte que j’aimais beaucoup les « belles personnes ». De ce côté là, tu es bien placée au classement, au même titre que les deux « L » de Bloom. Travailler avec le cœur, tu sais ce que cela veut dire, et tes élèves seront particulièrement bien lotis.

A suivre tes prochains projets – notamment ton nouvel album – dont on fera l’écho.

 

On pourra retrouver Mélina, “normalement”, le 20 mars prochain, à Thionville (à L’Adagio) avec Bloom. D’autres dates à venir au printemps, avec « Nanan! ».

 

Merci aussi à mon ami André Henrot qui, au pied levé, a fouillé dans sa photothèque pour en extraire (toujours) de beaux clichés.

 

 

A suivre sur le site : www.melinatobiana.com

Ont collaboré à cette chronique :