Encore une voix dans cette chronique…. une voix « forte », riche d’héritages et de multiples heures d’écoutes de tous ordres. Une voix aussi empreinte d’humanité, qui sait le sens profond des mots

Du pur plaisir…

 

 

Entretien avec MV Guilmont

La musique ? Une perpétuelle recherche, pour s’enrichir…

 

 

Michel Martelli : MV, où commence cette belle route ?

MV Guilmont : Dans la capitale. Où je vais voir le jour, et où je suis encore aujourd’hui, même si ma famille, elle, a élu domicile aux quatre coins du globe ! En revanche, si on pourrait qualifier ma famille « d’intellectuelle », on ne pourrait pas lui accorder le qualificatif de « musicale ». Bon, elle a tout de même été émaillée de quelques personnalités qui « sortaient du lot », et je pense là à l’un de mes grands-pères, qui jouait du banjo et que tu pouvais voir en photo avec un perroquet sur l’épaule. Oui, on peut dire que lui sortait des sentiers battus. Et puis, j’ai le souvenir d’un oncle, aussi, qui était un chanteur d’opéra. Mais, plus proche de moi… non. J’ai des demi-sœurs, des demi-frères mais ni eux ni même mes parents – qui ne sont plus là aujourd’hui – ne s’étaient engagés dans cette voie artistique.

En revanche, et je pense que ça aura joué un rôle dans mon propre engagement, ma mère m’emmenait très souvent dans différents spectacles. Et c’était chouette. Mais tu vois, lorsque j’étais toute petite, et que l’on me demandait ce que je voulais faire « plus tard », je répondais « moi, je veux être écrivain célèbre ! ». Et c’est vrai que l’écriture m’a toujours beaucoup attirée, ce qui peut aussi expliquer – en partie, bien sûr – que j’ai connu un parcours « scolaire » relativement long.

 

M.M. : Mais ta route musicale… elle va prendre sa source où ?

MV.G. : C’est vers l’âge de sept ou huit ans que je vais véritablement entrer dans le « monde » de la musique, en poussant la porte du C.R.R. de Boulogne-Billancourt. Je t’ai dit que mes parents n’avaient pas eu, en propre, de carrière artistique, mais cela n’empêchait pas ma mère de jouer, en pure amatrice, du piano. Elle ne m’a pas poussée pour autant, note bien, mais cela explique pourquoi un piano trônait à la maison. Et puis, mes parents « écoutaient » beaucoup de musique. C’est un environnement que j’ai toujours connu.

Lorsque j’entre au C.R.R., donc, c’est bien sûr, la première année, en cours de solfège, mais aussi avec des cours de chorale. Et ces cours de chorale dispensés par Mark Shapiro. Pendant ces moments forts, Mark nous a donné le goût, tout au moins une première approche, du jazz. Arrive le début de ma seconde année et là, je me heurte à une liste d’attente, pour intégrer la classe de piano, longue comme le bras. Alors, du coup, je vais me rabattre sur le clavecin ! Sans trop de difficultés, car c’était un instrument que je trouvais déjà joli, et sensiblement analogue au piano même si les techniques de base sont différentes. En tout cas, ça ne m’a jamais gênée. Et je jouerai de cet instrument pendant les deux années suivantes. et puis c’est tout, car, au bout des trois ans, ma mère me retirera du C.R.R. Ce qui ne m’empêchera pas de « me parfaire » sur le piano familial, sur lequel je jouerai souvent.

 

M.M. : Mais ce retrait avait-il brisé quelque chose, quant à ton envie ?

MV.G. : Je reconnais qu’après ma sortie du C.R.R., on n’apercevait pas beaucoup de musique à l’horizon. Mais malgré ça, en réalité, je crois que je ne me suis jamais arrêtée. C’est dans cette logique que, lorsque je serai en classe de seconde et de première, avec plusieurs copines, nous monterons une chorale. Tu vois, l’envie poussait, malgré tout. Et puis, tu as compris tout l’intérêt que je portais à l’écriture. Depuis toute petite, cet intérêt, je crois, n’a fait que grandir.

Et puis, ensuite, cet intérêt s’est aussi porté sur les chorégraphies, en fait sur tout ce qui tournait autour de la création. Et ma voix, peut-être te demandes-tu ? Eh bien le fait que je lui porte de l’intérêt est venu progressivement. Mais ça peut se comprendre assez facilement, d’un côté. Comme j’ai très tôt écrit mes textes, j’ai eu assez vite l’envie de les mettre en musique, et de les chanter moi-même. D’ailleurs, ce que je ne t’ai pas révélé encore, c’est que j’étais une fan absolue d’opéras. Et je chantais des airs d’opéra depuis toute jeune. Une passion qui s’est étendue par la suite sur le monde de la comédie musicale.

Je ne t’ai pas dit non plus que ma mère était russe, originaire de Tachkent, en Ouzbékistan aujourd’hui. Ma mère m’a « ouvert les portes » de toute la richesse de son pays, au niveau des films, mais surtout de toutes les musiques de cette région du monde. Tu vois ? La musique, le cinéma… rajoute à cela que notre maison débordait de livres, et tu comprends que le mot « culture » avait quand même tout son sens chez nous.

 

M.M. : Ta première expérience de chant, c’était dans quelles circonstances ?

MV.G. : Je pourrais te dire que je chantais énormément avec ma maman – ce qui est vrai – mais mon but, à ce moment-là, n’était pas de me tourner vers le chant. Écrire ? Ça oui. Composer ? Oui aussi, dans une moindre mesure, mais le chant, et même le jazz ? Non, pas question ! Mon univers à cette époque, c’était plus dans le monde de la variété.

Et puis, à la fin de mes études supérieures, une de mes amies va me parler des « Tréteaux Lyriques », une troupe, parisienne dans sa grande majorité, qui crée des  spectacles alliant la comédie, le théâtre et l’opérette, le tout centré exclusivement sur des œuvres d’Offenbach (et elles sont nombreuses). Nous sommes là au début des années 2000, et je vais intégrer cette troupe, sans me douter au départ que je mettais le doigt dans un engagement énorme, très prenant. Peu de répit dans le travail de préparation d’une œuvre, que nous sortions au rythme d’une tous les deux ans. Au total, dans cette troupe, je resterai quatre ans, participant donc à deux spectacles complets, pour lesquels on faisait absolument tout.

Ah oui… avant ça… mais j’avais juste dix-huit ans, j’ai appartenu à un groupe rock totalement amateur, avec lequel on reprenait du Led Zeppelin, du Jimi Hendrix, et un peu tout le rock des années soixante-dix. C’était déjà une belle occasion de tester ma voix.

 

M.M. : As-tu poursuivi une autre carrière, autre que la « musicale » ?

MV.G. : Disons que les choses se sont assez bien déroulées pour que je ne perde pas le contact entre les deux mondes ! En 2003, en effet, je vais entrer au Conservatoire de Paris XV, où je suis d’ailleurs toujours, et non pas en tant que musicienne mais comme assistante de direction. Avec toute la partie gestion administrative de la structure à gérer, ce qui, pour moi, était loin d’être inintéressant. Parce que j’ai pu apprendre, dans cette position de travail, plein de choses qui allaient me servir par la suite, pour mon côté « artiste ».

Un côté, d’ailleurs, qui n’a pas mis longtemps à se manifester à nouveau, car j’ai monté une pièce, et quand je dis que je l’ai montée, c’est « entièrement » qu’il faut comprendre, et je me suis vite aperçue aussi que c’était énormément d’investissements. Alors, oui, c’était du théâtre pur, mais avec un côté « mini-comédie musicale ». Un spectacle, à l’origine anglo-saxon très drôle comme ils savent les faire, que j’avais bien sûr traduit et que j’avais baptisé « Silence ! Spectacle en cours » . Tu trouvais là du pur comique de situation, et puis, j’ai toujours aimé l’état d’esprit des anglo-saxons, qui bâtissent leurs spectacles à l’identique, quel que soit l’endroit où ils le jouent, sans adaptation particulière.

 

M.M. : Dis-moi… le jazz a mis un certain moment, avant de te rattraper ?

MV.G : C’est un peu vrai, mais je t’ai dit que ma route « purement scolaire » avait été relativement longue. Je ne veux pas m’éterniser là-dessus, mais entre le droit, les classes de littérature – avec Audrey Tautou, tiens – qui m’ont emmenée à la maîtrise, et puis trois ans de Sciences-Po, c’est vrai qu’il y avait, à ce moment-là, peu de place pour la musique. Pourtant, dans la bande de copains que nous étions, il y en avait qui adoraient le jazz et c’est comme ça que nous allons rapidement fréquenter le « Sunset » dont nous connaissions parfaitement le propriétaire.

Dans le même temps aussi, je vais faire la connaissance d’Anne Ferroud-Kessler, qui est sculpteur et qui est la petite-fille de Pierre-Octave Ferroud, le grand compositeur malheureusement décédé bien trop tôt. Anne jouait du piano à cette époque, et je peux dire qu’elle a joué un grand rôle dans le fait de me mettre le pied à l’étrier du jazz.

Jusque-là, je ne peux pas dire que j’avais écouté beaucoup de jazz, j’étais par contre très branchée « bossa-nova ». Et puis j’ai découvert cette merveilleuse compilation de quatre albums qu’est ” The Verve Story”, et surtout deux morceaux, d’abord Bird Alone – hommage à Miles – un titre de Abbey Lincoln et Stan Getz, sur lequel tu retrouves aussi le pianiste Hank Jones, il y a une intro de Stan Getz sur ce morceau qui me fait toujours flasher, et puis You won’t forget me de Shirley Horne… sublime. Cette compil’ m’a vraiment interpellée et puis  l’oiseau solitaire, ça me parlait assez, et ce titre m’accompagne encore aujourd’hui. Un peu plus tard, je me débrouillerais pour aller voir cet Abbey, et Shirley, sur scène. Lorsqu’elle se produit, Shirley a une maîtrise du silence extraordinaire, c’est une maîtresse en ce domaine. Mais Abbey aussi est prodigieuse. Abbey « incarne » quelque chose sur scène. Toutes les deux auront été des « clés » décisives pour mon entrée dans le jazz.

 

M.M. : Que tu concrétises comment ?

MV.G : Sur un conseil avisé d’Anne, en 2004, je vais entrer à l’A.R.I.A.M., une association dans laquelle je vais croiser la route de professeures comme Isabelle Carpentier ou encore Claudia Solal, la fille de Martial. Cette association donnait ses cours à la Cité Internationale des Arts et avec eux j’ai commencé à apprendre toutes les bases du jazz, l’écriture US, l’improvisation. Pendant tout une année, je vais baigner (et « infuser ! ») dans ce monde au maximum. Mais je me rendais compte aussi que l’association me donnait vite des limites, ce que je ne voulais pas. Moi, je voulais aller plus loin, découvrir encore. Ce que je recevais là était bien mais pas assez fort.

A la Halle-Saint-Pierre, je vais rencontrer Sara Lazarus qui, bien qu’américaine, vit et travaille en France. Je ne vais pas me démonter et je vais carrément aller lui demander si je ne pourrais pas être son élève. Et ça a marché, au final, puisque je vais rejoindre les cours qu’elle dispense, et dans lesquels je resterai deux années.

Sara a la capacité d’enchaîner théorie et pratique avec une facilité déconcertante. J’ai énormément appris à son contact. De plus, une fois par mois, nous avions des musiciens qui venaient nous épauler. Piano, sax, batterie. C’était à chaque fois des collaborations hyper intéressantes.

Après ça, ce sera une série de rencontres, de lieux, tous aussi riches les uns que les autres. En 2005/2006, je serai dans ton département de la Drôme, avec le Crest Jazz Vocal – une équipe vraiment géniale, du reste. Parmi mes rencontres fortes de cette période également, je ne peux faire autrement que de citer Laura Littardi, ou encore Michele Hendricks – la fille de Jon – au contact desquelles, moi qui venait pour apprendre, je serais comblée. Évidemment que je me suis nourrie, au contact de belles personnes comme elles.

J’ai aussi eu la grande chance de croiser la route de Youn Sun Nah – je l’ai connue à Marciac. Des rencontres qui se seront enchaînées naturellement, ou par des cours communs comme avec Mélanie Dahan, par exemple. J’ai connu Camille Bertault avant même qu’elle ne commence sa carrière.

 

M.M. : Et côté école ?

MV.G. : Côté école ? Je vais intégrer un temps la « Bill Evans Piano Academy » – créée par Bernard Maury mais – et c’est dit sans rapport avec la qualité de ce lieu – où je me sentirai à nouveau « un peu à l’étroit ».

Tout ça pour te dire que, lorsqu’à Boulogne, le DEM de Jazz a été créé, j’ai postulé tout de suite, et j’y ai été reçue. C’est un lieu dans lequel je vais rester trois ans, m’abreuvant d’harmonie, de « ear-training » mais… sans prof de chant la première année ! Et puis, ensuite, arrivera Laurence Saltiel qui va m’apporter aussi énormément. C’est une période au cours de laquelle je vais pouvoir faire pas mal de masterclass, dont une avec Roger Letson, entre autres, ou celle avec Claude Lemesle, tellement amoureux de son art qu’il dispense des cours en atelier chez lui, et totalement gratuits. Les plus récentes que j’ai pu faire ? Celles avec Becca Stevens, ou avec Rebecca Martin ou encore, dernièrement, avec Michelle Willis.

 

M.M. : Comment te qualifierais-tu ?

MV.G. : C’est difficile de s’auto-juger. Je pourrais te répondre d’abord que je suis quelqu’un « qui aime prendre le temps de… ». Tu sais ce qu’on dit du dialogue entre Bob Dylan et Leonard Cohen ? : « Combien de temps vous faut-il pour construire une chanson ? » Bob Dylan répond « deux jours », et Leonard Cohen « deux ans »… Je suis résolument du clan de Leonard Cohen ! Et puis, je trouve aujourd’hui qu’il m’est plus facile d’interpréter les chansons des autres plutôt que les miennes.

Lorsque je me produis sur scène, aujourd’hui, j’alterne entre des titres qui ne sont pas forcément très connus et de vrais standards de jazz. C’est en fonction aussi de l’équipe musicale qui va m’entourer sur le projet.

En tout cas, je continue à écrire, à composer. J’ai d’ailleurs pas mal de choses prêtes à être adaptées aujourd’hui. Mais je poursuis mon chemin sur cette route solitaire même si, je le reconnais très volontiers, j’aime travailler en collaboration. J’ai participé à quelques albums,  pas tous forcément « jazz ».

La Covid-19 m’a gênée, comme tant d’autres. Mais j’ai mis ce temps à profit pour continuer les créations en vue d’un prochain album. Car je n’en ai encore pas fait. J’explore plusieurs directions quant à la composition musicale, parce que j’aime aussi travailler en diverses formations, du duo au quartet. Je veux pouvoir profiter de toute cette palette sonore, et de la diversité qu’elle procure.

 

Propos recueillis le mercredi 18 août 2021

 

 

Cet entretien aura approché les quatre heures mais, à vrai dire, le temps s’est arrêté… J’ai compris que tu mettais haut l’opportunité des « belles rencontres », et cette fois, c’est toi qui m’auras permis d’en faire une.

Une de plus, car la famille « musique », et la famille « jazz » en particulier, en regorge. Et c’est très bien ainsi.

A te rencontrer vite…

Ont collaboré à cette chronique :