Il est natif de Vénissieux, mais d’une famille originaire du beau département de l’Ardèche. Il s’est fait un nom à la batterie, multipliant les belles expériences, pour notre plaisir à tous…
Nicolas Serret
Un batteur à l’attraction « magnétique »….
Michel Martelli : Nico, comment passes-tu de l’héritage agricole familial à la musique ?
Nicolas Serret : Ce côté-là, c’est quand même plus ancien, pour moi, mais c’est vrai que l’agriculture et même le pastoralisme ont beaucoup compté pour mes aïeux… Le « grain de sable » musical est venu par mon père. Qui jouait de la guitare, et aussi de la batterie avec des potes à lui sur le village de Thuyets, en Ardèche. Il jouait dans la fanfare locale, dans de petits groupes très locaux… mais il a gardé longtemps ce goût-là. Et lorsque, en 1982, nous arrivons à Saint-Marcel-lès-Valence, je le voyais encore, le soir ou pendant les week-ends, jouer de sa guitare. Mon père chantait Ferré, Aufray, Ferrat… Donc, j’ai grandi dans tout cela, mais sans pourtant m’y intéresser outre mesure. Mon père avait tout de même monté un groupe, un quintet, « Patchwork » – parce qu’ils y jouaient des reprises de plein de styles différents. Chacun des membres de ce quintet était multi-instrumentiste, et leur groupe, amateur, a tout de même tourné pendant une quinzaine d’années. De plus, comme mon père présidait l’association de jumelage, ils avaient pu jouer en Roumanie, dans la ville jumelée avec Saint-Marcel.
M.M. : Quand rentres-tu « dans le circuit » ?
N.S. : Vers mes dix ans. Quand mon père et ma mère en auront assez de me voir jouer (et taper) avec ma fourchette et mon couteau pendant que nous sommes à table. Ils vont alors m’inscrire à l’école de musique de Saint-Marcel. Là, pendant huit ans, je vais rester dans la classe d’Olivier Capelli – qui, d’ailleurs, y enseigne toujours. Olivier a fait partie aussi, je crois, des fondateurs de l’ARPEMA, l’école de musique de Bourg-de-Péage.
Pendant ces huit années, ce seront des études classiques, et je vais passer mes trois cycles. Je reconnais, moi aussi, que le solfège ne me convenait pas plus que ça, et je finirai par l’abandonner, ce que je regretterai par la suite.
A dix-huit ans, mon Bac en poche, je vais partir pour Grenoble, à la Faculté de Musicologie. Et, bien entendu, pour l’examen d’entrée, on va me demander une dictée de notes… pour laquelle, manque de solfège oblige, je vais me sentir « à la rue ». Mais les miracles existent, puisque je vais être tout de même accepté.
Ça n’empêchera pas que, dès la première année, je constaterai que je suis très en retard, tant au niveau de l’oreille que de la théorie musicale. Face à ça, je vais mettre les bouchées doubles, et travailler parfois jusqu’à trois heures par jour mon oreille, la lecture de notes, de partitions… Mon professeur d’harmonie à la Faculté, François Luzignan, était très sévère. C’était, certes, un grand compositeur, mais en cours, il était à la limite de l’antipathie. Toutefois, et c’était bien là le plus important, il était super compétent et moi, « à coups de fouet », j’ai pu bien grandir musicalement.
J’ai eu mon DEUG en trois ans, avec la moyenne à mon partiel en harmonie.
En revanche, pendant toute cette période, pas de batterie ! Théorie musicale uniquement. Heureusement qu’en parallèle, je redescendais sur Valence jouer avec mes potes.
Dans mon cursus de Fac, je me suis retrouvé avec le guitariste macédonien Stracho Temelkovski, qui fait une belle carrière aujourd’hui… mais… à la fin, alors que j’ai vingt-et-un ans, je vais me rendre compte que mon seul débouché va être d’être professeur en collège. Et de ça, je ne voulais pas.
M.M. : Parle-nous un peu de tes groupes… ils ont commencé quand ?
N.S. : A l’adolescence. Alors que nous avons quinze/seize ans… Le tout premier va être « Jesus Fish », un groupe très punk, très grunge, à la Nirvana. Ce groupe, je vais le constituer avec Colin Marghallan-Ferrat, qui est aujourd’hui luthier sur Valence, et qui jouait de la basse, et Jean-Charles Debeaux, qui était le guitariste et le chanteur. On avait commencé par des reprises, mais, très vite, nous avons joué nos compos. On a fait pas mal de concerts à Valence, et notamment chez Saïda, au Café de la Paix, et aussi à « l’Oasis ».
En parallèle à cette aventure, avec deux autres copains, on avait monté un trio plus rock-folk – là on était plus sur du répertoire Tracy Chapman ou Wampas – qu’on avait baptisé « Les trois Z’Boubs » (pourquoi ? Je te dirai un jour..). Alex Laïda était à la guitare, à l’harmonica et au chant, et Grégory Aubert à la basse. Avec Greg, on était super potes depuis le collège. On lui avait même procuré sa toute première guitare.
Le groupe « Jesus Fish » s’est arrêté avec mes dix-huit ans. Le second groupe a perduré pendant mes années Fac mais tu remarqueras qu’il n’y avait toujours pas de jazz à l’horizon… Ce que j’avais reçu jusqu’alors, en batterie, avait plutôt des accents rock.
M.M. : Et comment arrive t-il à toi, alors ?
N.S. : Pendant toutes ces années Fac, j’ai, tu t’en doutes, beaucoup écouté. Notamment Charlie Parker. Dans tout ce que j’avais pu écouter auparavant, j’avais entendu un jeu du batteur très répétitif, or moi, j’avais envie de sortir des cadres, d’improviser en fait. Et voilà que je découvrais que, dans le jazz, c’était exactement ça… D’où mon intérêt grandissant pour ce monde-là.
Un album aussi, va être déterminant. « Ju-ju » de Wayne Shorter sur lequel c’est Elvin Jones qui est à la batterie. J’ai pris ce jour-là une grosse claque dont je me demande encore si les effets sont passés… Elvin Jones à la batterie, pour moi c’est un must. Et je voulais jouer dans cet esprit-là.
Après mes trois années de Fac, je vais revenir sur Valence. Et là, j’entends dire qu’une classe d’un département jazz va se créer au Conservatoire de la ville. Je vais y postuler très vite, j’en avais vraiment très envie. Un « troisième cycle » spécialisé en jazz, ça m’attirait beaucoup. Le diplôme pourrait me servir pour enseigner la batterie, aussi… En septembre 2000, je vais donc me présenter à l’examen d’entrée, alors même que je n’ai jamais fait partie d’un groupe de jazz, que je ne connais strictement rien à l’improvisation jazz… Pourtant… je vais être pris (encore un miracle!), malgré le refus de tout le jury. De tout le jury, sauf un : Emmanuel Scarpa qui va plaider ma cause, peut-être parce qu’il avait entendu « autre chose » dans ma presta, que les autres n’avaient pas capté.
Bref, grâce à Emmanuel, j’intégrerai cette classe, dans laquelle nous étions quatorze, tous instruments confondus. Cette classe était conduite par François Méchali, un contrebassiste parisien qui descendait spécialement, deux jours par semaine. C’est Jacques Bonnardel, qui présidait Jazz Action Valence, qui avait été à l’origine de cette ouverture du département jazz. Et il se trouve que Jacques a été un de mes professeurs pendant quatre ans, jusqu’à mon DEM. Parmi mes potes de promotion, à cette période-là, je peux te citer Jean-Pierre Moncada, au sax, il a joué avec Salif Keita, ou aussi Boris Goby (aujourd’hui au « Train Théâtre » de Portes-lès-Valence) qui jouait de la guitare.
M.M. : Et puis, après ton DEM… tu mets les voiles !…
N.S. : Oui, un petit break, c’est vrai. Ma compagne est irlandaise, et elle est née en Australie. Mon DEM en poche, nous avons décidé de partir, pendant quelques mois, autour du monde. Un process qui se fait beaucoup chez les anglo-saxons. Une sorte d’année sabbatique. Dans la formule que nous avions choisie, tu fais tes étapes « à la carte » et tu disposes de plusieurs forfaits en fonction des continents que tu souhaites visiter. Nous, nous avons fait l’Inde, pendant trois mois, l’Asie du Sud-Est, pendant trois mois aussi et l’Australie (et la Nouvelle-Zélande) pendant deux mois. Sac au dos – c’était génial – et… la batterie dans le placard !
A notre retour, en 2005, je vais commencer à donner des cours de batterie, dans diverses écoles de musique comme à Grâne, à Hostun, ou à La Voulte… mais ça va être aussi la formation de nouveaux groupes, à commencer par le « Siam Trio » que je vais monter avec Etienne Vincent, excellent guitariste de jazz, et Alexandre Bes, à la contrebasse. Étienne, nous nous connaissons depuis la maternelle. Il y était même mon meilleur camarade. Nous nous étions retrouvés au lycée. Et il a été dans le jazz bien avant moi.
Quant à Alexandre, c’est un touche-à-tout de génie. Il est batteur à la base, puis s’est mis à la contrebasse, et il s’est mis maintenant au sax alto ! Et il peut te faire tout un concert avec n’importe lequel de ces instruments !
« Siam Trio » a tourné pendant une dizaine d’années. Nous jouions des standards, ainsi que des compositions de nous trois.
En parallèle, je vais me brancher sur un autre projet, notre trio encore, avec, en plus, Manu Domergue – qui chante, qui joue du cor d’harmonie, ainsi que du mellophone. Ce quartet va rendre hommage pleinement à Chet Baker (dans le son comme à la voix), et va tourner pendant cinq années. On appellera notre groupe « Mellophonic Quartet ».
2007 sera une année riche, puisqu’elle verra ma rencontre avec Anne Sila. Nous allons inviter Anne avec le « Siam Trio » alors qu’elle n’a que dix-sept ans. Mais elle était déjà « un phénomène » et, avec elle, nous ferons pas mal de dates.
La même année, je partirai, avec Etienne, à New-York, où nous prendrons, chaque nuit, de grosses claques dans les clubs de jazz, pendant les bœufs… J’y croiserai Ari Hoenig, qui va devenir un bon copain.
M.M. : Et puis va commencer ta « page Magnetic »…
N.S. : Lorsque je rentre des USA, je suis gonflé à bloc. Et peu de temps après mon retour, je vais recevoir un appel de François Gallix. François arrive juste en Ardèche, et il cherche des musiciens dans le giron local, dont un batteur. On a commencé à jouer ensemble, et le courant est passé immédiatement. Je jouais avec lui et Linda, sa femme.
Ensuite, nous allons rentrer dans le « Red Planet », un quartet suisse (sax, piano, basse et batterie) avec lequel on va tourner cinq/six ans en Suisse, en Allemagne, en France aussi bien sûr.
En 2010 – je connaissais déjà Benoît Thévenot – on va se retrouver chez moi, à Chabeuil (François, Benoît et moi) et on va jouer le morceau « All the things you are » la chanson écrite par Jerome Kern et Oscar Hammerstein II. Il va alors se passer « un truc », une sorte de connexion instantanée. A la fin du morceau, on s’est dit : « ok, il faut qu’on fasse un truc ensemble. » Une attirance quasi magnétique s’était produite. D’où le nom que nous avons choisi. Tout a toujours été très « naturel » entre nous, et nous fêterons bientôt les dix ans du « Magnetic Orchestra ». En 2011, au « Webster Café » de Valence, on jouait une fois (puis, par la suite deux fois) par semaine. C’est là qu’on a vraiment forgé l’identité du groupe.
Anne (Sila) nous a rejoints ensuite, en 2012, quand nous décidons de la formation du quartet. On est partis là pour cinq années de folie. A nous quatre, nous avons écumé tous les festivals de la région… On jouait beaucoup de compositions d’Anne, converties à la sauce « Magnetic », et nous avons rapidement étendu nos concerts à la France entière et même à la Suisse. Notre énergie, notre fraîcheur, étaient réelles. Les gens venaient nous dire que l’on « faisait plaisir à voir ». Parce que, simplement, on avait plaisir à être ensemble, et à jouer ensemble.
M.M. : Et tes groupes à toi, alors ?
N.S. : Ils arrivent. En 2015, je veux, en effet, un groupe dont je serai le lead, avec mes compos. Ce sera d’abord « INUA » – un quintet – qui réunit deux sax, Gaël Horrelou et Boris Blanchet (alto et ténor), François Gallix à la contrebasse et Mathieu Rossignelly au piano. Dans ce groupe, on jouait un jazz très explosif, très intense. Des compositions d’Elvin Jones, par exemple.
Il y a aussi le « EARZ Quintet », qui tourne encore, qui se compose de François, toujours à la contrebasse, d’Étienne Deconfin au piano, Julien Bertrand à la trompette, Stephan Moutot au sax ténor, et moi. Ce sont donc mes compos que l’on joue, et un disque est déjà sorti.
Pour le « Magnetic », tu sais que l’on fonctionne avec des « invités », qui sont souvent plus que ça, d’ailleurs. Il en a été ainsi pour Stephan Moutot, Eric le Lann, mais aussi la violoniste Caroline Bugala.
Nos derniers concerts ont même été en quintet, avec Caroline au violon et Lou Rivaille à la voix.
Je vais terminer avec le « Swing Up Orchestra » de mon copain Grégory Aubert, un groupe où l’on joue du jazz des années trente et quarante, très Fats Waller, Duke Ellington ou Count Basie. Un groupe « fait pour les danseurs »… Nous sommes sept sur la scène. Autour de Greg, Lou Rivaille au chant, Fermin Munoz au sax, Valentin Meylan à la trompette, Lucas Verrière au piano, Damiens Larcher à la contrebasse et moi.
Depuis deux ans aussi, le « Magnetic Trio » s’est fondu dans le « Michel Fernandez Quartet ». On y joue les compositions de Michel.
Propos recueillis le mercredi 1er juillet 2020.
Super batteur, super musicien, merci Nico pour ce moment d’échange qui t’aura inscrit sur le Livre d’Or imaginé par Jazz Rhône Alpes, au milieu de plein d’autres talents.
A très vite sur scène.